Culture “COVID-19, LA MISE À NU DU POLITIQUE” DE MOHAMED MEBTOUL

Chronique d’une crise de confiance

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Yasmine AZZOUZ Publié 05 Juin 2021 à 21:33

© D. R.
© D. R.

Précieux baromètre d’un contexte politico-sanitaire et social sans précédent, la pandémie pour le sociologue et fondateur de la sociologie de la santé en Algérie, Mohamed Mebtoul, permet de relever la complexité “des rapports sociaux, du fonctionnement du politique et des bouleversements dramatiques vécus en particulier par les populations les plus vulnérables”.

Une année après le début de la crise sanitaire, le sociologue et fondateur de la sociologie de la santé en Algérie Mohamed Mebtoul publie Covid-19, la mise à nu du politique (Éditions Koukou), un ouvrage qui questionne, par le biais des sciences sociales, la gestion sociopolitique de la pandémie. “Refusant de s’inscrire dans la moralisation, l’auteur tente de dévoiler les multiples interpénétrations entre le biologique, le politique et le social en privilégiant la distance critique vis-à -vis du mal en soi.”  Précieux baromètre d’un contexte sans précédent, la pandémie pour Mebtoul, permet de relever la complexité “des rapports sociaux, du fonctionnement du politique et des bouleversements dramatiques vécus en particulier par les population les plus vulnérables”.

Si le coronavirus a permis de démontrer, sinon de rappeler une constante dans la gestion politique de toute crise, de quelque ordre qu’elle soit, c’est bien celle de la disparité dans les traitements réservés à la population, selon qu’elle appartienne à la classe aisée ou défavorisée. Ce que le professeur appelle “la négation de la citoyenneté par le politique”, a donc vu l’émergence de trois catégories : “les anonymes contraints à l’errance sociale et thérapeutique d’une structure de soins à une autre, les privilégiés pouvant mobiliser leur capital relationnel et financier pour se soigner rapidement et dignement, et enfin les protégés du pouvoir politique qui vont se soigner à l’étranger aux frais du contribuable.”  

“Inconscients, indisciplinés” : un discours politique infantilisant 
Pourtant la crise sanitaire aurait pu “représenter une opportunité historique et politique pour réformer en profondeur le système de santé en 
Algérie”. Force est de constater que les pouvoirs publics n’ont fait que “dans le maquillage rapide et coûteux” comme le démontre Mebtoul, se limitant à “surajouter telle ou telle structure nouvelle (agence de sécurité sanitaire, vice-ministère de la Réforme hospitalière…)”.  Une “gestion à distance” et méprisante envers la population, un discours infantilisant martelé à travers les canaux officiels (télés, radios, journaux…), qui a eu des effets contre-productifs sur les Algériens. Le discours de cette responsable au ministère du Commerce, que donne pour exemple Mebtoul dans la première partie de l’ouvrage “qui n’a cessé d’indiquer des évidences fortes que tout le monde peut prendre comme une vérité sacrée”.

Sanctions, masque, distanciation, gestes barrières…, autant de termes usités et rabâchés qui, au final, forment “un discours unilatéral et lointain pour montrer les dangers de la pandémie en vociférant contre les inconscients d’une part et, d’autre part, qui s’enferment, à la longue, dans une logique confortable de la  prévention qui consiste à reproduire à l’identique le discours médical”.  Au lieu de cette rhétorique dominante centrée sur la culpabilisation, le travail de sensibilisation vis-à-vis de la population aurait dû se faire sur le terrain : “Aller au-devant des populations, discuter avec elles, s’inscrire dans la persuasion, la compréhension et les remises en question nécessaires face à une réalité quotidienne sous-analysée.”

Au plus proche de la population 
Pour tenter de comprendre comment les citoyens vivent la pandémie et ses conséquences autant au niveau social, économique que psychique, Mebtoul a effectué un travail de terrain à Oran, ayant pour “préoccupation majeure d’objectiver les tensions, les inégalités sociales et les rapports multiples diversifiés noués par ses interlocuteurs”. Inscrit dans une dynamique scientifique horizontale et autonome, privilégiant une logique de réseaux avec l’aide de deux praticiens que sont les docteurs Kamel Bereksi et Nawal Belarbi, l’enquête du chercheur.  Contrairement au discours dominant faisant état d’une “inconscience” de la population face aux dangers de la maladie, la prégnance du “souci de donner un sens à la pandémie” donne à voir, au contraire, une “obsession cognitive”.

Les gens s’informent ou vont à la recherche de l’information (sur le Net, les réseaux sociaux, la famille, les parents médecins…), note Mebtoul, tout en ajoutant que “l’information diffusée par les médias publics et privés audiovisuels est superficiellement prise en compte”. Mais cette obsession cognitive “s’estompe progressivement. La longue durée de la pandémie produit une autre forme de routine pesante, lassante, crispante”. La redondance de phrases telles que “vivre avec”, “faire attention”, “s’isoler” dénote aussi d’un état psychique imposé à la population. “Le paradoxe tragique de la pandémie est celui de tenter de se protéger de l’autre, tout en étant un membre de sa famille.” Cette recherche permet à Mebtoul de noter que “la pandémie ne se réduit pas, loin s’en faut, à sa dimension strictement médicale. Celle-ci est transversale à toute la société. Elle questionne ses multiples vulnérabilités, ses valeurs (…). Elle dévoile les inégalités sociales de santé au cours du confinement, vécu de façon récurrente comme un enfermement (prison)”. 

Par ailleurs, les interlocuteurs approchés pour les besoins de ce travail de terrain “s’accordent à dire que la gestion de la crise a été dominée par la précipitation, l’opacité, l’incompréhension et l’absence de toute concertation avec la population”. De plus, certains jugent le couvre-feu décidé par les pouvoirs publics comme étant aléatoire. “Ouvrir, fermer, ouvrir, fermer, un coup on rassure, un coup on fait peur”, assène un jeune homme. Et à l’auteur enfin, d’alerter sur le rôle important et crucial qu’est celui de tout un chacun, de travailler de concert pour dépasser la crise. “La santé est un bien collectif. Il nous appartient. Il s’agit de notre corps pluriel. Il engage notre Être organique, psychique social et politique. Arrêtez s’il vous plaît de l’amputer, de le fragmenter, de le dissocier, de l’infantiliser, de vouloir façonner comme un corps-objet soumis aux aléas des puissants.”

 

Yasmine AZZOUZ

Covid-19, la mise à nu du politique, de Mohamed Mebtoul.
Editions Koukou, 209 pages. 800 DA. 2021.

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