Culture Contribution

De l’engagement de l’acte d’écrire

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Abdelkader Gattouchi Publié 28 Novembre 2021 à 09:04

Par : Abdelkader Gattouchi 
Enseignant de littérature francophone à l’université de Souk Ahras

La notion d’engagement en littérature est immanente à l’acte d’écriture lui-même, tant et si bien qu’il peut sembler, au premier abord, tautologique d’associer les deux termes, littérature et engagement.

Depuis que l’humain s’est exercé à l’écriture créative, en effet, il le fait en prenant fait et cause pour... une cause donnée. Depuis la lointaine et profonde Antiquité jusqu’à nos jours, en passant par des pans temporels importants, comme peuvent l’être le XVIIIe ou le XIXe siècle, nous constatons que la notion d’engagement a tout le temps été conviée au menu des écrits littéraires. Voltaire, considéré à tort ou à raison, cela prête encore à équivoque, comme le premier intellectuel engagé, à vilipender l’injustice et les injustes, l’intolérance et les intolérants, la guerre et les guerriers, a déblayé, ce faisant, le terrain hasardeux de la prise de position publique à d’autres, comme Victor Hugo, un siècle plus tard, qui usa de toute son aura pour appeler à abolir la peine de mort, donnant à lire, au détour d’une plus que sublime magie romanesque, les insoutenables dernières heures, minutes et instants ultimes, d’un condamné à mort... (Le Dernier Jour d’un condamné, 1829).

Émile Zola, engagé devant l’Éternel, n’a pas attendu l’affaire Dreyfus (1898) pour affirmer son âme de rebelle.  Dans Les Rougon-Macquart (1871) et Germinal (1885), il donne le ton en s’attaquant aux inégalités sociales, ainsi qu’aux conditions infra-humaines des couches défavorisées. 
Cela bat en brèche l’idée que l’engagement en littérature est situé dans l’histoire, en s’appuyant sur l’émergence, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’un mouvement contestataire, révolutionnaire, conduit par des surréalistes rêvant de changer radicalement le monde.
L’engagement dans les œuvres d’art, en général, est antérieur à cette poussée contestataire.
Jamais il ne viendrait à un esprit nourri dans le sérail des lettres et de l’art qu’une velléité d’écriture inventive de quelque portée qu’elle soit se fasse dans une stricte et froide neutralité, sans revendiquer le devoir de défendre une thèse. C’est parce qu’en tout bon sens toute œuvre littéraire est engagée, ne serait-ce qu’à travers la vision du monde qu’elle propose au lecteur.
Mais les choses ne se passent pas comme si elles coulaient de source.
Le terme “engagement”, suspect à souhait, a de tout temps été grevé d’une pesanteur sémantique, assez pesante pour prétendre pouvoir rester embusquée. Une flopée de significations gravite autour de ce mot.
Au sens premier, proposé par Le Petit Robert, “engager” signifie “mettre, donner quelque chose en gage” ; c’est aussi, suivant une autre acception, commencer, démarrer une activité, ou encore ébaucher une discussion avec quelqu’un ; on dit alors engager un débat, un dialogue, une entrevue, des pourparlers...
De même que s’engager revient à promettre, convenir avec quelqu’un à propos d’un acte à réaliser ; un contrat civil (vente, achat location ou autre) par exemple. Mais le sens objet du présent propos renvoie, lui, à l’idée de “se mettre au service d’une cause”, qu’elle soit d’ordre politique, social ou autre, à travers la lucarne littéraire.
À ce propos, Jean-Paul Sartre, le philosophe français (1905-1980), constitue, sans conteste, la figure de proue de cette tendance, qui aime à dire que l’engagement en littérature est avant tout une prise de conscience.
Dans son célèbre essai Qu’est-ce que la littérature, paru en 1947, il définit ce que peut être, selon ses propres critères, un écrivain engagé : “Un écrivain est engagé lorsqu’il tâche de prendre la conscience la plus lucide et la plus entière d’être embarqué, c’est-à-dire lorsqu’il fait passer pour lui et pour les autres l’engagement de la spontanéité au réfléchi.”
Être embarqué, la tournure chère à Pascal Blaise, est reprise à son compte par Sartre, qui invite tous les hommes libres du monde au devoir moral et éthique de voler au secours des lésés, des réprimés et de toutes les âmes en peine.
Pour Sartre, en s’engageant, on prouve qu’on est humain, et tout ce qui est humain ne nous est pas étranger, pour paraphraser Terrence.
S’engager, c’est accepter d’être acteur au lieu de se complaire dans le confort peu glorieux du spectateur ; c’est agir pour ne pas subir, prendre position pour attester, à soi, avant les autres, de la vitalité devant revigorer notre être.
Un être agissant ne peut, en l’état, rimer qu’avec entreprenant, étincelant, puissant. Tout le contraire, en tout cas, du “non-agissant”, faussement impartial mais réellement pusillanime et inerte à mourir.
En écho à cette attitude, toute en couardise, de l’écrivain atone, amorphe et égoïste, cette envolée de Napoléon Bonaparte : “Le courage ne se contrefait pas, c’est une vertu qui échappe à l’hypocrisie.”
L’engagement sans une once de courage ne serait, en effet, qu’illusion.
Pour les surréalistes du début de la seconde partie du XXe siècle, l’engagement en littérature est sous-jacent à l’écriture.
Écrire et s’engager ne font qu’un pour eux !
Louis Aragon a, néanmoins, pris le contrepied de ses compères en avouant vouer ce concept aux pires avanies. Dans une interview accordée à L’Express du 20-26 septembre 1971, il dit : “Je n’ai jamais été engagé et je déteste ce mot ; il relève du système philosophique de Jean-Paul Sartre, et ce mot n’entre pas dans mon humble mode de penser à moi.” Une orientation née, dit-on, de l’influence de son amante, d’origine russe, Elsa, qui a “réussi” à accaparer l’esprit d’Aragon, au point de provoquer une rupture avec son ami de toujours, André Breton.
Ces atermoiements et volte-face n’ont pas entamé la détermination de Sartre. Plus que jamais tenace, il écrit dans Qu’est-ce que la littérature : “L’écrivain engagé sait que la parole est action.” Plus fort encore, il assène sans sourciller : “Les mots sont des pistolets chargés.” 
Les écrivains algériens ne sont pas restés insensibles à la vulgate avant-gardiste naissante. 
Soumis au diktat et à l’oppression du système colonial, ils recourent à leur plume pour dénoncer, condamner et appeler à la liberté. De Mouloud Feraoun (Le Fils du pauvre, La Terre et le Sang, Les Chemins qui montent), mort le 15 mars 1962, assassiné par l’OAS, jusqu’à Mohammed Dib (La Grande Maison), en passant par Mouloud Mammeri (La Colline oubliée, Le Sommeil du juste, L’Opium et le Bâton...), Kateb Yacine, Assia Djebar, Mourad Bourboune, ils se sont tous, à des degrés divers, bien entendu, essayés à l’écriture engagée qui relevait, chez eux, et pour eux, du devoir sacré pour éviter de mettre la pierre tumulaire de l’oubli sur les crimes de l’empire colonisateur. La défense des intérêts et des territoires de la mère patrie tourne pour ces auteurs illustres au sacerdoce. En s’engageant, ils engagent tout ce qu’ils ont de plus cher : leur vie, à l’exemple du sort funeste qu’avait connu Mouloud Feraoun.
Cette évocation douloureuse mais enivrante de fierté ne manque pas de convoquer des parallèles, forcément antagoniques, avec les auteurs contemporains, se retrouvant sur la ligne de crête, écartelés entre le devoir éthique de prendre position contre tout ce qui est contraire à leurs convictions, mais aussi contraires aux valeurs et aux droits humains, au bien-être et aux privilèges, monnayés contre un silence complice mais coupable, celui de s’aliéner en s’alignant, soit par abdication, soit par cupidité, sur des thèses que la littérature, l’authentique littérature, non l’apocryphe, se fait un devoir de dénoncer et de combattre.

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