Culture LA CHRONIQUE LITTÉRAIRE DE BENAOUDA LEBDAI

DJAÏLI AMADOU AMAL ou la lutte au quotidien

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Benaouda LEBDAI Publié 21 Mars 2022 à 14:43

© D. R.
© D. R.

Djaïli Amadou Amal est la nouvelle figure littéraire camerounaise depuis la publication de son roman Les impatientes qui a obtenu le Prix Goncourt des lycéens en France en 2020 et le Goncourt des lycéens d’Algérie en 2021.

C’est un texte fort tant au niveau du thème que du style. L’écriture de Djaïli Amadou Amal coule de source, car elle est à la fois d’une grande simplicité et d’une grande complexité au niveau de la description des sentiments dépeints.

Le récit est riche en métaphores et en scènes évocatrices d’atmosphère d’un monde qui évoque l’intimité de vies familiales camerounaises telles que celles vécues par la romancière.

En effet, si on établit un parallèle entre la vie de cette merveilleuse conteuse qu’est Djaïli Amadou Amal et les vies des trois héroïnes du roman, il devient évident que le roman est clairement une autofiction, un récit inspiré “de faits réels”, fictionalisés et enrichis grâce à l’imagination généreuse de la romancière.

Les impatientes est un texte qui raconte trois voix de femmes, chacune avec un destin écrit d’avance par la société. Leurs vies s’entrelacent néanmoins, ce qui souligne combien leurs itinéraires se ressemblent, faisant écho aux vies de nombreuses femmes africaines.

La romancière met leurs récits en polyphonie, dévoilant ainsi combien elles sont soumises au diktat des hommes de la famille, mais aussi des femmes aînées qui perpétuent le système patriarcal. Les personnages de Ramla, Hindou et Safira incarnent des femmes qui subissent le poids des traditions, mais dans le même temps, le récit montre qu’elles ne se laissent pas faire, car elles se révoltent, chacune selon son caractère, selon ses circonstances.

Les trois histoires de ces femmes peules concernent principalement la question de la polygamie, du mariage forcé et de la pénibilité de la vie quotidienne des épouses dont les murs de leurs maisons se transforment au fil du temps en prisons, parfois dorées, souvent déprimantes. Le fil rouge du récit est l’ultime conseil donné à toutes les filles dès leur jeune âge, répété au moment de l’adolescence quand elles sont en âge d’être mariées, celui d’être toujours patientes.

En effet, le roman s’ouvre sur cette idée maîtresse que toutes les filles doivent apprendre le “munyal”, ce qui veut dire la patience en langue peule, comme le rappelle Ramla : “Patience, mes filles ! Munyal ! Telle est la seule valeur du mariage et de la vie. Telle est la vraie valeur de notre religion, de nos coutumes, du Palaaku. Intégrez-la dans votre vie future, inscrivez-la dans votre cœur, répétez-la dans votre esprit ! Munyal, vous ne devrez jamais l’oublier !” C’est le conseil de tous les pères qui décident un jour de marier leurs filles contre leur volonté.

Djaïli Amadou Amal sait mettre en scène les émotions ressenties de ses héroïnes comme Ramla qui baigne dans une immense tristesse et un désarroi total le jour de son mariage et celui de sa sœur Hindou qui ont lieu en fait le même jour.

Ramla est mariée à un homme beaucoup plus âgé qu’elle, Alhadji Issa, le riche notable de Maroua. Le problème est que Ramla a le même âge que la fille de ce mari désigné bon pour elle, pour son avenir et pour la situation sociale de son père qui gagne en notoriété grâce à ce mariage. Le malheur de Ramla est qu’elle aime un garçon de son âge.

Elle est arrachée à cet amour naissant et sain pour vivre une vie d’enfer, car elle devient la seconde épouse du riche commerçant. Sa sœur Hindou est forcée à se marier avec son cousin qu’elle percevait plutôt comme un frère, car ils ont grandi ensemble depuis la plus tendre enfance dans la cour familiale.

Le malheur de Hindou est encore plus grand, car toute la famille sait que ce cousin est un raté, un jeune qui boit et qui se drogue et surtout qu’il n’est pas prêt pour le mariage. Le père de Hindou l’a “donnée” à son cousin pour satisfaire son propre frère qui nourrissait l’espoir que ce fils voyou s’assagisse. L’amère réalité est que la vie de Hindou va devenir un véritable enfer, car son cousin de mari, Moubarak, devient très violent envers elle.

La vie à Maroua est suffocante et surtout pour les femmes qui travaillent dur au début du mariage, sauf pour les premières épouses qui ont avec le temps pris de l’ascendant ou pour la plus jeune épouse comme Ramla, éduquée et jolie, et qui vit auprès du riche époux une vie de princesse. Mais la première épouse comme Safira ne voit pas l’arrivée de la seconde épouse avec bienveillance, bien au contraire. Et l’art de raconter les luttes intestines entre épouses qui se jalousent est sans pareil chez Djaïli Amadou Amal.

Même pour Safira la première épouse, son époux lui signale qu’elle doit continuer à apprendre le munyal, la patience, celle d’apprendre désormais à partager son époux, le père de ses enfants, et ce qui lui fait le plus mal c’est que la seconde épouse a le même âge que sa propre fille : “Souviens-toi que personne ne doit soupçonner ton ressentiment. Personne ne doit deviner ton chagrin, ta rage ou ta colère. N’oublie pas. Maîtrise de soi ! Sang-froid ! Patience !”. Elle devient ainsi la daada-saaré, l’aînée, la première épouse et on lui inculque que c’est un titre honorifique. 

La romancière dénonce de façon subtile l’attitude de beaucoup de femmes qui se transforment en gardiennes des traditions patriarcales en lui rappelant : “Mais un homme a-t-il jamais appartenu à une seule femme ?”.

Sans dévoiler les savoureuses scènes que la romancière tisse tout au long du récit décrivant ces trois destinées de femmes africaines à qui on enseigne la patience, mais qui sont en fait des impatientes, car les trois rejettent les traditions, les violences, en remettant en cause un système qui est loin d’être en leur faveur. 

La romancière raconte à travers ces trois femmes l’histoire de sa propre vie et de ses propres révoltes, ce qu’elle appelle la “guerre de tranchées”. Par l’écriture Djaïli Amadou Amal continue sa révolution libératrice.

Elle sera présente au Sila, Esprit Panaf 2022. Son roman a reçu le Prix Orange du Livre en Afrique et le Goncourt des lycéens 2021 en Algérie. Les impatientes est un roman bouleversant. 
 

B. L.

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