Culture Lotfi Khouatmi, président de l’Association des amis de Miliana Art & Culture

“Faire revivre ces villes et les sauver de l’oubli”

  • Placeholder

Samira BENDRIS OULBSIR Publié 08 Janvier 2021 à 20:23

© D.R
© D.R

La protection d’une ville, la sauvegarde d’un patrimoine, c’est aussi une question de citoyenneté. C’est à partir de cette conviction que naissent des associations culturelles lancées par des locaux, inquiets de ce déclin qui guette leur ville et d’attendre que des institutions étatiques dormantes se réveillent enfin de leur léthargie. C’est le cas de Lotfi Khouatmi, chirurgien-dentiste de profession et président de l’Association des amis de Miliana Art & Culture, qui en parle avec ferveur. D’autant plus que sa ville vient de se voir classée “secteur à sauvegarder”, preuve que certaines démarches et beaucoup de persévérance peuvent porter leurs fruits.

Liberté : Comment est née votre association ? 
Lotfi Khouatmi :
Les Amis de Miliana Art & Culture est une association communale à but non lucratif et à vocation culturelle. 
Créée par des passionnés du patrimoine en mars 2017, elle s’est donné comme missions la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel de la ville de Miliana ; l’organisation de rencontres littéraires et d’hommages à des personnalités natives de notre ville qui ont marqué l’histoire de l’Algérie ; faire connaître ses monuments historiques, culturels et naturels et aussi développer aussi bien le tourisme culturel que religieux via des visites guidées dans les mausolées. Je dois dire que c’est ma sœur, architecte de formation, qui m’a poussé à créer cette association, et c’est notre défunt père, paix à son âme, qui nous a transmis l’amour de cette ville et de ses richesses. 

À vrai dire, notre premier acte de “sauvegarde” remonte au mois de décembre 2015 avec la remise en marche de l’horloge de la ville, qui a fini par sonner après un silence qui aura duré plus de vingt-cinq années. C’est Dr Toufik Brazzi qui l’a réparée, grâce au manuel d’entretien qui nous a été envoyé par l’association française du Jura Horlogerie Comtoise.

Qu’avez-vous organisé comme activités culturelles marquantes ?
Nous avons organisé une quarantaine de rencontres littéraires autour de divers thèmes ainsi que des hommages à des personnalités de la ville, dont Ysmaïl Dahlouk, Hadj Ahmed Benblidia, Nadir Bouzar, Abdelkader Belhadj… Nous avons commémoré la grande bataille de Miliana du 8 juin 1840 à Sidi Boulefred, organisé quatre éditions de la fête de la ville, ainsi que le Mawlid enabaoui au Palais de la culture d’Alger en 2018. Je pourrais également citer les trois éditions du grand tour pédestre de Miliana en hommage aux vingt-trois victimes de l’incendie du 31 octobre 1968. Et beaucoup d’autres rendez-vous. Comme nous avons aussi formé des guides touristiques pour faire connaître nos différents sites aux visiteurs.

Quel est votre impact aujourd’hui sur la population ? Est-elle consciente de la nécessité de sauvegarder ce patrimoine ? 
Oui, il y a une prise de conscience de la part des habitants de l'ancienne ville. Beaucoup de familles restaurent leurs anciennes maisons, et nous les avons sollicités pour développer des maisons d'hôte à Miliana, et surtout organiser des dîners ou déjeuners chez l'habitant. 
Malheureusement, nous n’avons qu’une seule maison d'hôte actuellement, et un seul hôtel qui n'a pas ouvert ses portes, alors que Miliana comptait quatre hôtels durant la période coloniale, mais tous bradés durant les années 80.

Cette année, la pandémie a plombé le monde en général et le monde culturel en particulier, mais vous avez persévéré…
Effectivement, nous étions parmi les rares associations culturelles qui activaient en Algérie ; avant tout, c’est un devoir, le pays a besoin de sa classe intellectuelle. En plus de la caravane Une ville une histoire, nous avons organisé deux grands événements : le premier est le club de lecture plaisir dans un jardin, en collaboration avec notre ami le pédagogue Ahmed Tessa, au mois de septembre 2020, et nous en sommes à la 8e édition, dont le principal but est la motivation des enfants à la lecture. 

Il s'agit d'une lecture libre en plein air, l'enfant ramène son propre livre. Et il y a eu aussi la dernière nuit de l'Émir Abdelkader : la commémoration des 173 ans de son exil forcé (23 décembre 1847), dont le programme avait débuté le 1er décembre 2020. Il y a eu la visite des villes bâties par l'Émir Abdelkader : Taza (wilaya de Tissemsilt) et Tagdempt (wilaya de Tiaret), en plus d’oued Taguine (à 40 km au sud de Ksar Chellala). Il faut savoir que cette région a connu un grand massacre de la smala de l'Émir un certain mercredi 16 mai 1843.

Certains historiens utilisent le mot “prise”, mais il s’agit d'un véritable “génocide” contre des femmes et des enfants (120 hommes, 280 femmes et enfants) commandité par le duc d'Aumale avec quelques traîtres dont le plus connu est l'agha Benferhat. Malheureusement, il n’y a ni musée ni stèle de l’Émir Abdelkader dans cette région ! Et dire que le plus grand tableau qui se trouve dans le château de Versailles est celui du génocide de la smala (et non pas la prise) du peintre Horace Vernet. 

Ce qui nous a choqués lors de cette visite, c'est la construction de maisons dans le cimetière des victimes de ce génocide, le cimetière de Sidi Bedrani. 
Puis, nous avons terminé cette activité à Ghazaouet Tounane Souahlia (w. de Tlemcen) là où l’Émir signa le traité de la Nakhla et passa sa dernière nuit un certain 23 décembre ; malheureusement, cette maison est devenue un café et la structure dépend de la direction des moudjahidine. 

Quel impact peut avoir la culture sur le tourisme et comment faire cette jonction selon vous ? 
Justement, le classement des anciennes villes précoloniales est très important. Il s'agit d'une urgence ; c'est le principal objectif de la caravane Une ville une histoire. Durant la période coloniale, les Français ont détruit et marginalisé ces anciennes villes, alors que l'histoire de notre pays est écrite et inscrite dans ces vieilles cités. 
Faire revivre ces villes et les sauver de l’oubli et du déclin vont permettre le développement d'un tourisme culturel, cultuel et surtout solidaire. Miliana était un musée à ciel ouvert durant plusieurs siècles. Une ville millénaire. “Les pierres parlent à ceux qui savent les entendre”, comme disait Anatole France. Son classement comme patrimoine à sauvegarder est le résultat d’un travail de longue haleine. 
Notre grand souhait est qu’un jour notre belle ville retrouve sa place dans le paysage culturel de l’Algérie. C’est une ville d’art et de culture. Nous espérons aussi unir toutes les associations qui militent pour la sauvegarde des anciennes villes d’Algérie. Et pourquoi ne pas avoir un jour une législation sur la protection du patrimoine historique et esthétique de l’Algérie, comme celle de Malraux en France ? Aimer sa ville c’est aimer son pays, n’est-ce pas ? 

Propos recueillis par :  Samira Bendris-Oulebsir

 

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00