Culture Farès Khima, architecte du patrimoine

“Imedghassen n’a pas fini de livrer ses secrets”

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Yasmine AZZOUZ Publié 03 Mars 2021 à 20:23

© D.R.
© D.R.

Liberté : Le projet de restauration du tombeau d’Imedghassen a été relancé dernièrement par le ministère de la Culture. La nouveauté est qu’il sera réalisé exclusivement par des experts algériens. Qu’en pensez-vous ? 
Farès Khima :
On ne peut qu’applaudir ce regain d’intérêt. La mobilisation de la société civile a fini par sortir le monument d’un anonymat latent, et son attachement a fini par alerter sur son importance. Une nouvelle occasion pour concrétiser l’essai se présente, et il faut en profiter pour en faire un exemple.

Pour ce qui est de l’exclusivité de l’expertise algérienne, je reste persuadé que le pays regorge d’experts, de génies et de compétences intrinsèques dans tous les domaines. Si le potentiel existe, la clé de la réussite est dans la méthode, la démarche scientifique et l’expérience dans la gestion de ce genre de projets. Combien de restaurateurs diplômés en Algérie ? Très peu ! Combien sont formés exclusivement en Algérie ? Aucun, car la formation n’existe pas encore. 

Le domaine scientifique est, par essence, inclusif et multidisciplinaire, il ne doit connaître aucun clivage. Même si la fierté d’une restauration 100% algérienne est la bienvenue, elle ne doit pas occulter l’objectif premier : la réussite de l’intervention sur un monument emblématique. 

Des travaux de restauration du tombeau n’ont pu aboutir entre 2006 et 2012, puis entre 2015 et 2018 dans le cadre d’un programme en partenariat avec l’UE. Pourquoi ces projets ont-ils été continuellement marqués par des échecs ? 
La mission la plus aboutie fut la mission dite des Donati, au début des années 70. La mission de 2006 fut un fiasco qui a failli emporter le monument lors de la chute accidentelle d’un moyen de levage. Elle résume parfaitement les dangers liés à des interventions sur un monument sans des études préalables sérieuses. 

La mission de 2015-2018, dans le cadre du Programme d’appui à la protection et à la valorisation du patrimoine culturel en Algérie, devait prendre en charge ce monument de la manière la plus complète et aboutir à des travaux maîtrisés pour sa restauration et sa mise en valeur. 

Ce fut un rendez-vous raté avec l’Histoire et une occasion avortée de voir l’énigme du monument élucidée, et cela, vu les moyens mis à disposition. La qualité des études fournies par le prestataire étaient loin des termes initialement prévus. Il y eut une tentative, par la cellule de l’UAP (Unité d’appui au patrimoine), de mettre à niveau ces études à travers des diagnostics complémentaires et une analyse scientifique des différents relevés effectués.

Mais vu l’incohérence de l’étude rendue par l’équipe des prestataires, le ministère a décidé d’arrêter le programme. Je faisais partie de l’équipe d’experts séniors de l’UAP, et même si l’on peut être déçus de l’arrêt, on ne peut que comprendre le refus de la tutelle de voir se réaliser un projet qui consistait en le démantèlement partiel du tombeau, pour le reconstruire (anastylose), sans aucune certitude scientifique sur son système constructif.  Le problème réside principalement dans la démarche et la rigueur avec laquelle, on aborde ce genre de projets sensibles. 

Même si sa réhabilitation tarde à se concrétiser, y a-t-il eu des découvertes ou des relevés qui nous renseigneraient davantage sur l’histoire et la construction du monument ?
Les documents les plus intéressants concernant le tombeau ne datent pas des dernières études, mais plutôt dans la synthèse des données compilées depuis le milieu du XIXe siècle. Il y a bien eu une campagne de relevés avec des technologies de pointe (lors de la campagne de 2015), mais leur exploitation fut uniquement graphique et très sommaire par le prestataire.

Après leur analyse postérieure par l’Unité d’appui au patrimoine (UAP), plusieurs pistes, très intéressantes, mettent en doute les hypothèses courantes sur la construction du tombeau. Ces pistes doivent être confirmées par des diagnostics et des explorations techniques non destructives. Mais une chose est sûre : ce monument n’a pas fini de livrer ses secrets.   

Vous avez relevé lors de votre intervention que le mausolée, même avec la technologie dont nous disposons, ne pourrait jamais être érigé tel qu’il l’a été pendant l’ère numide…
Le monument tel qu’il est présenté de nos jours est juste impossible à construire selon le processus répandu dans les études présentées. Passer d’un tumulus à un monument, tel que le tombeau d’Imedghassen sans génie constructif, et penser que le monument est constitué d’un tumulus habillé de pierres de taille de plus de 500 kg avec 25 assises en gradins, est juste ubuesque.

Les traces de mise en œuvre sur les pierres en place témoignent que tout était taillé au sol avant d’être acheminé et placé au millimètre près… Même avec des grues de levage modernes, cet exercice est impossible sans structure stable sous quelques assises. On peut, dès lors, parler de plans de construction comme préalable à sa construction, et donc, d’architecte et de gestion de projet.

C’est pour cela qu’il est primordial de comprendre la manière avec laquelle il a été construit avant de procéder à de quelconques travaux hasardeux. Prétendre devoir l’éventrer pour découvrir ses secrets, tel que proposé dans certaines études, est juste inimaginable. Des études sérieuses et multidisciplinaires sont la condition sine qua non à toute intervention. 

Le problème récurrent des opérations de sauvegarde et de réhabilitation du patrimoine bâti demeure dans l’opacité de sa gestion… 
Le Patrimoine bâti (et même immatériel) est un legs précieux et un repère identitaire de toute une nation. La gestion du Patrimoine bâti ne doit pas se limiter aux opérations de sauvegarde, de “sauvetage” et de réparation. Elle doit s’inscrire dans une politique visionnaire et une programmation pluriannuelle maîtrisée.

On ne peut pas faire à l’État le procès des moyens. Cependant, les sommes allouées doivent imposer un niveau d’exigence plus élevé. On ne peut plus se permettre de restaurer sans programmation préalable, sans destination réfléchie et rentable. Il faut réellement sortir de la logique d’urgence, et aller vers une approche constructive qui permettra un retour sur investissement des deniers publics. Les textes de loi existent, il faut simplement les appliquer et laisser les compétences s’exprimer. 
 

Propos recueillis par : Y. AZZOUZ

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