Culture ADIB BENAZZI, AUTEUR DU ROMAN “MARÉE BASSE”

“L’Algérie a une Histoire riche mais peu exploitée”

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Yasmine AZZOUZ Publié 28 Janvier 2022 à 17:23

© D. R.
© D. R.

Avec   son  premier  roman  publié  en  décembre  dernier   aux  éditions Dalimen, Adib Benazzi  fait  une  entrée  remarquée  en  littérature.  Le  primo-romancier  traverse  le  temps  et   l’espace  dans  une  enquête  policière  singulière à l’empreinte  historique  marquée, qui   explore  les  méandres  d’un  passé colonial sinistre.

Liberté : “Marée basse” est  votre premier  roman  publié récemment aux éditions Dalimen. Comment est né le projet d'écriture de ce livre et quel a été l'élément déclencheur ? 
Adib Benazzi : Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été fasciné par l’Histoire en général, et l’Histoire de l’Algérie en particulier. Enfant déjà je parcourais les librairies d’Alger avec mon père d’où je ressortais souvent avec une bande dessinée sur l’Histoire du pays. L’une d’elle m’a d’ailleurs marqué. Elle illustrait le siège terrible de Constantine en 1836. J’avais sept ans et ces images résonnent encore dans ma tête. 
Dès l’adolescence j’écrivais mes premières nouvelles, dont l’une d’elles, publiée dans le journal du lycée, racontait l’histoire d’un guerrier numide qui s’opposait à Rome. Plus récemment, je suis tombé sur un thriller qui se passe en Sibérie et qui m’a fasciné. Cela a été le déclic ! Je me suis dit voilà, il faut que j’écrive un roman contemporain qui mélange à la fois un ancrage fort à l’Histoire de l’Algérie et voyage dans des contrées insoupçonnées. L’Histoire et le voyage, l’aventure font partie de ma vie, il était donc naturel que j’en fasse les piliers de mon récit. 

Walid, le personnage-narrateur, se  retrouve  malgré lui mêlé à une lugubre histoire  faite  de  violence  et  de  meurtres  d’enfants  qui remontent  jusqu'au  19e  siècle  dans  l'Algérie  sous  occupation française...
J’ai voulu créer un roman dont l’intrigue policière sort un peu des sentiers battus, où les raisons du crime se nichent dans les méandres peu explorés de notre Histoire. L’Histoire des peuples, notre Histoire n’est jamais toute blanche ou toute noire, elle est faite de nuances de gris. Par ce récit, je voulais montrer à quel point l’Histoire de l’Algérie et de la France sont emmêlées et la complexité que cela engendre. Cependant, j’ai voulu prendre du recul et sortir un peu de cette bulle Algérie/France en la plaçant dans un contexte global et ainsi mieux relativiser. C’est la raison pour laquelle, dans mon récit, cette histoire se mélange à d’autres événements historiques tels que la guerre civile libanaise, l’assassinat d’Indira Gandhi, la Première ministre indienne au début des années 80, ou encore l’épopée de Rommel en Libye. Bien évidemment, ces événements n’ont pas été choisis au hasard, et il y a un fil conducteur.
Je dis souvent que si j’habitais en Algérie ou en France, je n’aurais pas pu écrire ce récit, que je n’aurais pas eu le recul nécessaire. Le fait d’être un peu loin de cette “bulle” et d’évoluer dans un environnement anglo-saxon complètement déconnecté de cette Histoire m’a, je pense, beaucoup aidé. 

Comment arrive-t-on à réaliser une fresque de cette dimension sans se perdre dans les méandres de l'Histoire et les turpitudes de l’Homme justement ? 
Mon objectif principal était de créer un roman attrayant, agréable à lire, au rythme soutenu, avec des personnages forts et où le lecteur peut apprendre des choses. Il a fallu donc faire preuve de beaucoup de rigueur pour maintenir ce cap. En effet, tous les éléments qui ne servaient pas cet objectif, je me suis attelé à les éliminer, et c’était parfois douloureux. 
Par exemple lors de mon premier jet, j’ai décrit les divergences entre l’Émir Abdelkader et Ahmed Bey, le bey de Constantine, la tentative de prise de contact de l’Émir Khaled (le petit-fils de l’Émir Abdelkader) avec le président Wilson ou encore l’épopée de Mustapha Kamal (le futur Atatürk) en Libye au début du 20e siècle. 
Tous ces éléments sont très intéressants, mais n’apportaient rien à la compréhension de l’intrigue et surtout risquaient de perdre le lecteur et casser le rythme. Je les ai donc supprimés. Pour les personnages, cela a été le même processus. Je voulais leur donner assez de profondeur pour que le lecteur comprenne leurs motivations, la source (souvent profonde) de leur mal-être, leurs ambitions, éprouver des sentiments envers eux, que ce soit de l’empathie, du dégoût ou autre…, le tout sans altérer le rythme. Tout le long de ce récit, je me suis donc attelé à essayer de trouver un équilibre entre profondeur et rythme. Ça n’a pas toujours été facile. 

Antihéros par excellence, Walid passe du jeune premier bien installé à Manhattan, carriériste et opportuniste au début du roman, au justicier prêt à mourir pour la vérité, quitte à perpétrer de nombreux crimes. N’est-il pas paradoxal de présenter ce personnage de cette manière ? 
J’adore les antihéros ! On peut toujours s’identifier à eux. Les héros trop parfaits… beaucoup moins ! À travers ce récit, je voulais montrer que même un personnage comme Walid, que rien ne prédisposait à devenir justicier ou humaniste, a été capable de se transformer, dans la douleur certes, avec beaucoup de maladresse et parfois en faisant preuve de violence, mais au final, transformation il y a eu. Même un personnage comme lui a pu s’ériger contre l’ordre établi. Et donc montrer ainsi que nous sommes tous capables de cette transformation, et qu'en chacun d’entre nous sommeille un héros/une héroïne. D’ailleurs, l’Histoire de l’Algérie regorge “d’antihéros” qui n’étaient d’autres que des hommes et des femmes “ordinaires” et qui, pressés par l’Histoire, ont accompli l’extraordinaire. Également, j’aime l’idée qu’en chacun de nous, y compris les personnes les plus abjectes possibles (comme Walid au début du roman), il puisse encore y avoir un fond d’humanité. 

On découvre au début un Walid anéanti par le meurtre d'une fillette à Tamanrasset, introspectif puis “dégoûté” de lui-même, jusqu'à se découvrir une force incommensurable au service de la vérité. Chaque être sur terre doit-il passer, selon vous, par cette voie, métaphoriquement bien sûr, à la recherche de “sa” vérité ? 
Absolument ! Trouver son chemin, sa voie, sa vocation, sa passion…, il n’y a que cela qui peut nous donner cette énergie folle qui nous pousse à accomplir des exploits insoupçonnés, à nous dépasser ! Mais avant d’en arriver là, il faut passer par une étape indispensable, où malheureusement beaucoup échouent. Cette étape, c’est la remise en question. Dans le roman, Walid a mis du temps pour comprendre qu’en fait il n’avait pas réussi et qu’en plus de cela, il avait été un être abject. Il a fallu qu’il accepte de se regarder en face, de se remettre en question et finalement de se dire “je ne sais pas”. Cela peut être douloureux, mais c’est le passage obligé pour découvrir sa vérité. Si on croit tout savoir, on ne peut pas se découvrir, on ne peut pas changer, on stagne et quelque part, on meurt à petit feu, étouffé par nos certitudes.

Vous remontez à la naissance d'un conflit meurtrier entre les Ouffia, tribu ayant réellement existé, et les Tidjani sous le joug colonial. Vous opposez leurs ancêtres fictifs, Mohamed El-Ouffia et Moulay Tidjani, le premier fidèle compagnon de l'Émir Abdelkader, et le second qui a fait allégeance à la France dans votre roman. La haine traverse les générations, mais il faut bien du courage pour arrêter ce cycle meurtrier, auquel Walid met fin... 

Sur les éléments historiques de mon roman, je joue beaucoup, à dessein, sur le flou entre événements historiques avérés et fiction, je voudrais donc juste souligner un point important : les tribus Ouffia et Tidjani ont bien existé et les malheurs qui se sont abattus sur ces tribus au début de la colonisation sont bien réels. En revanche, les personnages du roman issus de ces tribus sont fictifs. Effectivement, la haine traverse les générations, et à travers ce récit je voulais montrer comment et pourquoi. Cette haine qui souvent se transmet dans les non-dits génération après génération. Briser ce cycle est très difficile, car il requiert de traiter la source du traumatisme et souvent de se remettre en question. C’est un exercice qui peut s’avérer être très douloureux et qui requiert souvent une grande sagesse. Le problème, qui est malheureusement courant, c’est que tant que le problème n’est pas “traité”, cette haine, ce ressentiment continue à se transmettre et ce cycle semble sans fin !

Vous évoquez également l'ouverture des archives coloniales à travers l'entreprise de l'un des personnages  afin  de  faire  la lumière sur ces meurtres d’enfants…
L’ouverture de ces archives est un sujet complexe qui fait l’objet de tractations d’État à État, et cela nous dépasse (malheureusement) tous. En revanche, on est en droit de se demander pourquoi certaines de ces archives sont encore confidentielles ? On peut aisément imaginer qu’elles doivent enfermer des vérités peu reluisantes, d’un côté comme de l’autre. D’un point de vue romanesque, cela ouvre la porte à toutes sortes de fantasmes littéraires. C’est la raison pour laquelle le sujet des archives occupe une place de choix dans le roman. Plus largement, pour moi le sujet de ces “archives secrètes” est également métaphorique, car il représente nos “3000 ans” d’Histoire qu’on ne fouille pas assez à mon goût. L’Algérie possède une Histoire extraordinairement riche, mais si peu exploitée. Une Histoire qui a eu une influence majeure sur toute la Méditerranée et au-delà et pourtant si méconnue en dehors de nos frontières. Notre passé colonial, aussi douloureux soit-il, n’est qu’une goutte d’eau dans notre Histoire. 

Il est également question de Hirak dans votre roman, de libertés, de responsabilité aussi de chacun pour prendre en main le destin commun de l’Algérie. Quel regard portez-vous sur la Révolution du sourire ? 
Comme beaucoup d’Algériens, j’ai été émerveillé par ce mouvement, par son pacifisme, par cet élan extraordinaire qui a parcouru le pays. Le peuple algérien a fait preuve d’une grande maturité politique et d’une intelligence collective incroyable. Cette joie contagieuse, cette effervescence, ce nouvel espoir m’a bouleversé.
Le  Hirak  a  été  cette  marée  basse  qui  a  révélé  un  peuple  d’une  grande sagesse enfoui sous les flots du fatalisme depuis trop longtemps. Cette marée basse nous a également révélés à nous-mêmes, car soudainement nous étions tous capables du plus grand civisme, d’avoir des rues propres, d’inclure tous les pans de la société sous la même bannière. Comme toutes les marées, elle va et vient, à nous de faire en sorte qu’elle ne fasse émerger que le meilleur.
 

Entretien réalisé par : YASMINE AZZOUZ

 

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