Culture Omar Fetmouche, auteur, metteur en scène et président de la compagnie théâtrale Sinjab

“La crise sanitaire a impacté la production artistique et théâtrale”

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Aziz BOUCEBHA Publié 29 Octobre 2021 à 19:24

© D.R
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Dans cet entretien, le dramaturge Omar Fetmouche, un des piliers du 4e art algérien, évoque son parcours et salue l’émergence d’une nouvelle génération qui fait de belles choses, a-t-il constaté. Porteur de projets, il fructifie actuellement son capital expérience, qu’il met au service de la coopérative Sinjab.

Liberté : Après onze ans passés au Théâtre régional de Béjaïa, qu’est devenu Omar Fetmouche ?

Omar Fetmouche : Actuellement, je m’occupe de la compagnie de théâtre Sinjab de la ville de Bordj Ménaïel. C’est une coopérative que nous avons créée dans le cadre des grands changements et de la restructuration des grands théâtres et du mouvement associatif. Elle est née de l’expérience du théâtre de Bordj Ménaïel, car nous étions arrivés à une situation où il fallait soit continuer et créer cette compagnie de théâtre autonome et indépendante, soit rester dans le circuit du mouvement associatif qui est automatiquement dépendant de toute une organisation administrative. Dans ce cas de figure, vous êtes automatiquement pris en otage dans l’engrenage d’une bureaucratie latente qui gangrène les administrations publiques. Il fallait donc trouver une forme d’activité qui se détache de tout cela. Là, il y a eu la rencontre avec Alloula, paix à son âme, qui avait déjà et durant les années 1990 créé la coopérative théâtrale du 1er-Mai. 
Elle s’est faite sur la base des statuts juridiques des coopératives agricoles qui existaient déjà. Le théâtre s’est inscrit dans cette démarche, et avec les statuts d’Alloula, nous avons donc créé notre propre coopérative. C’est la deuxième au niveau national après celle d’Alloula. sauf que ce dernier avait la possibilité à l’époque d’avoir l’agrément du ministère (haut-comité à la culture). Mais comme nous n’avions pas cette possibilité, on s’est rabattu sur la création via l’acte notarié. Il signifie que les statuts juridiques de la coopérative seront approuvés par cet acte rédigé par un notaire dûment habilité. Cette démarche a donné à la coopérative tous les moyens et les possibilités d’intervenir. 
La coopérative existe depuis 30 ans déjà, et nous avons fait énormément d’activités. Elle n’ouvre pas droit aux subventions car elle n’est pas agréée par le ministère, mais peut toutefois bénéficier d’une aide qui s’inscrit dans un cadre de partenariat avec le ministère de la Culture. Maintenant, après avoir mis en place cette organisation, je m’occupe désormais de cette coopérative. Je suis en même temps membre du comité culturel de l’Unesco et porteur de projets au niveau international, notamment quand il s’agit de monter des spectacles en coproduction avec des compagnies étrangères. En deux mots, je suis en train de fructifier mon expérience pour servir la coopérative.

Le festival de Béjaïa n’est plus ce qu’il était et a perdu de son aura. Pourquoi ? 

Au sujet de l’organisation de cet événement, je préfère laisser l’appréciation et les commentaires aux habitants de Béjaïa, qui me semblent, a priori, désespérés de la manière dont le festival s’organise actuellement, car il est sorti de son contexte. À ce niveau-là je n’indexe personne, je dirais simplement qu’il est fort possible que ce festival ait perdu de son apport populaire, de son insertion et de son immersion au niveau de la citoyenneté et de la ville. Je considère personnellement qu’un festival, c’est quelque chose de festif, c’est la fête dans les villes, les villages et les douars. 
Durant mon passage à Béjaïa, c’est ce que j’ai essayé d’apporter, de la joie, de partager la fête. Cette notion de partage s’illustre à travers un maximum d’espaces de représentation, d’activité et d’animation. Je me souviens à l’époque qu’on est arrivé à faire trente espaces d’animation où on a pu faire la fête et apporter de la joie et du plaisir aux gens. 

Quel regard portez-vous sur la production théâtrale actuelle ?

Avant l’apparition de la crise sanitaire, il y avait un élan extraordinaire de la production artistique et théâtrale. Il y avait beaucoup de pièces très intéressantes et très importantes. Comme il y avait l’émergence de nouveaux metteurs en scène, qui ont produit de belles choses. Je cite, entre autres, le prix qu’a eu Mohamed Cherchell avec la pièce GPS qui a obtenu le Grand prix du théâtre arabe, il y a aussi la participation de troupes théâtrales au festival international, Ahmed Rezeg qui a fait de très belles choses, Faouzi Benbrahim, Nabila Brahim et j’en passe. En somme, c’est toute cette jeunesse qui a été formée au niveau de l’Institut supérieur de l’audiovisuel et des arts dramatiques qui commence à mettre en évidence cette expérience qui a donné des résultats probants, notamment lors des derniers spectacles proposés lors du Festival national du théâtre professionnel. Malheureusement, cette crise a freiné cet élan des producteurs, mais avec la décrue les choses sont appelées à s’améliorer. Il y a un souci de reprise. Pour preuve, j’ai vu dernièrement qu’il y a un bon programme au niveau des théâtres nationaux d’Alger et d’Oran et des théâtres régionaux qui commence à proposer des programmes. Cela augure d’une rentrée prometteuse.

Vous avez participé dernièrement au Festival international de Budapest, en Hongrie. Votre commentaire...

Nous avons effectivement réussi le pari de participer au Festival international de Budapest, en Hongrie, qui était un projet assez important pour nous. Un festival haut de gamme, qui abrite beaucoup plus les théâtres de l’Europe de l’Est et qui est considéré comme l’antre du théâtre international. C’est la région de Grotovski, de Stalisnavski, de Schekov, de grosses pointures du 4e art. ll faudrait que vous sachiez que l’Europe de l’Est a donné de grands noms au théâtre universel. C’était donc une réussite en soi de participer à ce festival. On a été sélectionné par la commission internationale pour la pièce Saha l’artiste. Notre spectacle les a intéressés au plus haut point de par sa performance artistique, celle d’un comédien, en l’occurrence Azazni Ahcene, qui a fait une performance en interprétant plus de sept personnages dans une pièce de théâtre. Je pense que cela a été très bien perçu et le spectacle s’est très bien passé car on a eu en plus la chance d’avoir le traducteur du président de la République qui a traduit notre spectacle et lui a donné toute cette connotation populaire qu’il a intégrée dans la langue populaire hongroise. Cela a été vraiment un succès extraordinaire.

Parlez-nous des projets en cours lancés avec la coopérative Sindjab...

Nous coproduisons actuellement avec la compagnie Absara de Genève et la compagnie théâtrale de Tunis une pièce intitulée Habibi qui a été montée en Tunisie en raison de la pandémie de Covid-19. En ce qui nous concerne, nous allons nous occuper de la tournée de ce spectacle qui sera produite dans pas moins de cinq théâtres régionaux en Algérie et ce, à partir du mois de janvier 2022. Avant la tournée, il va y avoir un stage de formation de comédiens en improvisation théâtrale qui s’étalera sur une période de six jours et se déroulera à la maison de la culture de Boumerdès ; elle ciblera les professionnels des écoles de formation de Bordj El-Kiffan et les jeunes amateurs semi-professionnels invités à y participer. Il sera encadré par Sylvie Légaud, une grande dame du théâtre canadien. Ce stage tournera autour de l’improvisation théâtrale, mais on sera appelé à sélectionner un ou deux comédiens, les meilleurs, qui vont participer par la suite à la pièce Habibi dans la tournée de Genève. La pièce Habibi traite du phénomène de la violence sous toutes ses formes subie par les femmes. C’est l’histoire d’une femme avec son mari qui lui fait subir les pires sévices et lui crée un tas de problèmes. Il s’agit des femmes victimes des violences conjugales. 
Nous avons voulu que cette pièce soit présentée également chez nous pour provoquer le débat autour de ce phénomène. Nous avons invité pour la circonstance l’association Besma de Bordj Ménaïel, les associations féminines qui existent au niveau d’Alger et qui sont dans la perspective de la défense des droits de la femme. Ce sera un projet en même temps de théâtre, mais également un projet prétexte pour ouvrir le débat sur la violence contre les femmes.À court terme, également, une tournée artistique et thérapeutique est prévue durant les vacances scolaires d’hiver au profit des populations des régions touchées par les derniers incendies de forêt. Nous serons accompagnés dans ce projet par l’Onda. On interviendra dans un premier temps dans les villages touchés par le drame à Tizi Ouzou, à Boumerdès et à Béjaïa. 
Le programme comprend du théâtre-thérapie, qui consiste à assister les enfants par des exercices de théâtre, des rencontres-débat, de la diction, du chant, de la musicothérapie et du dessin pour extraire les enfants des traumatismes, qu’ils peuvent illustrer sur une feuille de dessin. Ils seront accompagnés par des professionnels qui ont déjà donné leur accord pour ce projet, à l’exemple de Djamel Boualig, un peintre très connu et un pédagogue originaire de Béjaïa. 
Le plus important aussi dans ce projet consiste également à opérer un travail de préformation de gens, que ce soit des enseignants ou des acteurs de la société civile, ou des comédiens qui existent sur place ou des amateurs, pour commencer à les préparer à une formation d’art-thérapie qui se tiendra bien sûr juste après la tournée à Boumerdès durant une dizaine de jours pour bénéficier d’une formation pour pouvoir perpétuer l’esprit du projet.

 

Entretien réalisé par : Aziz Boucebha

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