Culture FOUAD TRIFI, DIRECTEUR DE L’AGENCE DE CASTING WOJOOH

“La protection des droits d’auteur doit devenir une culture”

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Yasmine AZZOUZ Publié 16 Janvier 2022 à 14:58

© D. R.
© D. R.

Co-fondateur de l’agence de distribution et de casting Wojooh, Fouad Trifi revient dans cet entretien sur la protection des comédiens. Malgré l’existence d’un arsenal juridique pour les protéger, il estime que ce qui fait défaut dans le milieu artistique algérien est l’inexistence d’une culture des droits d’auteur et droits voisins. Il est temps selon lui, qu’acteurs et comédiens fassent front pour changer les choses.

Concrètement, comment  un  acteur ou  un  comédien bénéficie de ses droits ? 
Quand un comédien est affilié à l’Onda comme artiste interprète, il récupère au niveau du canal de diffusion une attestation prouvant que le produit a été exploité une fois qu’une série ou le film passe à la télé. Il le dépose par la suite chez l’Onda et perçoit à partir de là ses droits. Sauf que cette procédure, c’est le parcours du combattant ! Une chaîne peut ne pas délivrer le document en question. J’ai l’impression que la question des droits d’auteur et droits voisins n’est pas prise au sérieux. Je crois que tant qu’on n’a pas cette culture, ce militantisme pour que ça change, le fonctionnaire restera fonctionnaire et l’administration restera une administration. Depuis la création de mon entreprise, j’ai envie de voir des gens militer autour de cette question. Les droits voisins c’est important, même si ça reste des “petits sous”. Une chaîne continue de diffuser une série où une de nos comédiennes a joué. Ça, ce n’est pas grave, puisqu’elle a accepté de tourner dans une production, et a cédé l’utilisation de l’image, mais elle a été lésée s’agissant des droits voisins. 
Pour jouer dans une série, le comédien signe un contrat avec la production. Il doit être payé avant, pendant ou après le tournage. Mais il y a des producteurs indélicats qui ne payent pas à temps ces artistes. Une fois le contrat signé, ce sont les chaînes qui payent par la suite des redevances en droits voisins. L’Onda, d’après ce que nous savons, répartit la même somme pour un figurant que pour un rôle principal. Disons qu’elle récolte 100 millions en droits voisins après rediffusion d’un feuilleton. Si 1000 personnes ont joué dans ce produit, ce n’est pas normal qu’un rôle principal et un figurant soient payés de la même manière. J’ai cherché à comprendre où se situent les failles juridiques, mais personne n’a pu y répondre. Ce qui est important pour moi aujourd’hui, n’est pas tant la somme, mais la reconnaissance de ces artistes. Le fait d’avoir des droits voisins, c’est laisser quelque part sa trace en tant que comédien, juridiquement parlant. 

Est-ce que nos comédiens et nos acteurs arrivent à vivre de leur art ? 
C’est très difficile, par ce qu’il n’y pas beaucoup de tournages à l’année et la demande est plus importante que l’offre. On n’arrête pas de critiquer, mais au final en 15 ans de métier, je vois que tout le monde veut devenir comédien. Mais il n’y a pas tant de films que ça. Et en vivre c’est pas simple. 

Qu’en est-il des films qui ne sont pas projetés, qui ne sont vus qu’une fois en  avant-première  généralement  et dont on n’entend plus parler après ? 
Les comédiens sont payés à la prestation une première fois. Pour ce qui est des projections, il n’y a pas tant de salles que ça. Je pense quand même qu’il y a une dynamique, une envie de relancer les choses. Ça va prendre du temps, je pense, mais il faut s’y préparer. Il faut que les professionnels du secteur s’y préparent.

Qu’en est-il aussi des  droits  à  l’image  que  reversent  les  chaînes de télévision ? 
C’est un problème de culture. On ne donne pas de l’importance à cela. Tant que les comédiens et les ayants-droit ne font pas du rentre-dedans, ça ne changera pas. Je ne peux pas en vouloir à une chaîne de ne pas payer si le comédien ne dit rien. On donne plus d’importance aux droits musicaux, parce que la culture musicale existe depuis longtemps. Pour ce qui est de l’actorat, il y a eu une période de coupure totale depuis la décennie noire. Puis, subitement l’ouverture de beaucoup de chaînes. Juridiquement c’est là, mais si on ne réclame pas, ça ne suivra pas. Certaines chaînes diffusaient des films étrangers sans avoir leurs droits, ça a fait beaucoup de bruits, mais concernant les droits d’auteurs, personne n’a encore débattu de ça, parce que ce sont des petits sous. Mais il faut en discuter ! J’ai souvenir d’une œuvre diffusée sur une chaîne française et dans laquelle a joué l’un de nos comédiens. J’ai été surpris de recevoir un mail pour ses droits voisins. Il faut que ça devienne une culture chez nous aussi. Ça commence doucement, mais ça deviendra important au fil du temps. 

Quelle est la fourchette des  rémunérations perçues par un acteur à la signature de son contrat avec un producteur ? 
Ce n’est pas régulé. Parce que tout dépend du projet, du comédien, des conditions de travail et de la production. Il n’y a pas de normes. C’est très aléatoire. Ça peut passer du simple au triple. Ça peut aller de 30 000 DA jour à 200 000 DA jour. C’est vraiment aléatoire et ça devient très problématique, mais je pense qu’il y a un syndicat et des associations de comédiens qui doivent réguler tout cela. Il y va de l’intérêt du comédien et des producteurs, afin qu’on commence à élaborer des budgets viables. Parfois, ça passe par la négociation. Chose qui est impensable dans des pays où une industrie cinématographique existe. Il y a des comédiens de catégorie A, et ils bénéficient aussi d’un minimum syndical. Chez nous, il n’y a ni l’un ni l’autre. En réalité, chez nous, les catégories sont définies par “les faiseurs”, elle est tacite. C’est clair que si on ramène un Souileh, que Dieu le guérisse, c’est une tête d’affiche. 

Votre agence a-t-elle un rôle à jouer en  termes  de  protection des droits de vos comédiens ? 
Il y a un premier travail que nous fournissons et qui est le conseil. Parce que le chantier est énorme. Il faut trouver un équilibre entre les droits du comédien sans détruire le tissu de production. On essaye de trouver un équilibre afin que personne ne soit lésé. Pour un début, ça ne peut être qu’à travers l’aiguillage. Parfois, on conseille même de ne pas prendre un rôle, qui serait préjudiciable pour la carrière d’un acteur. Il y a aussi une éducation à donner. Parce que beaucoup de comédiens commencent seuls. Je pense qu’il faut faire changer les mentalités. On commence à avoir maintenant des jeunes comédiens qui commencent dans le milieu directement à travers l’agence. Notre rôle est de défendre leur salaire, que le contrat soit équitable pour les deux, les conseiller en termes de droits voisins. 

Où se situe votre agence en termes de perception des droits voisins ? 
Nous sommes une entreprise. Un peu hybride entre agence de casting et agents. On essaye de collaborer avec l’Onda pour apprendre et avoir des conseils de leurs juristes. Récemment, on est partis les voir pour créer un pont. Mais concrètement notre rôle finit à la signature du contrat et le paiement du comédien par rapport à ses droits d’interprétation. Le conseil, on le fait dans une démarche militante. Il faut que nos comédiens croient en leur métier. C’est pour cela qu’on fait tout ça. Ça ne m’intéresse pas d’avoir un comédien qui joue une fois tous les cinq ans. On fait tout pour l’intéresser, le faire jouer, et lui faire gagner sa vie. 

Lire également l'article de #Liberté en cliquant sur le titre, ici: "Ces artistes qui peinent à vivre de leur art"
 

Entretien réalisé par YASMINE AZZOUZ

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