Culture “Le procès des insurgés de Marguerite” d’Ahmed Bencherif

La révolte du désespoir

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Ali BEDRICI Publié 03 Mars 2021 à 09:33

© D.R
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La tribu des Adelia (Miliana) était accablée, dès 1863, “d’impôts, de corvées, d’amendes forestières et de diverses humiliations. Ce n’est que tardivement, écrit Bencherif, qu’elle s’était plainte, quand elle fut en fait saignée à blanc”. Munis de fusils et d’armes blanches, les habitants attaquent le village européen de Marguerite. Leur insurrection alimentera celles à venir, pour déboucher sur le 1er novembre 1954. 

Les éditions L’Harmattan viennent de publier un livre de l’universitaire Ahmed Bencherif sur l’insurrection de Marguerite. Le 26 avril 1901, 125 habitants du douar Adelia se soulèvent contre la colonisation. Munis de fusils et d’armes blanches, ils attaquent le village européen Marguerite (Aïn Torki) situé près de Miliana. “Cette tribu était accablée d’impôts, de corvées, d’amendes forestières et de diverses humiliations. Elle était précocement frappée de dépossessions agricoles, dès l’année 1863.

Et depuis, elle continuait à les subir, sans foi ni loi. Elle subissait en se résignant devant la loi du plus fort, qui de surcroît était inique”, écrit Ahmed Bencherif, qui ajoute : “Longtemps, elle avait accepté les injustices flagrantes et les vexations, en espérant de meilleurs lendemains. Ce n’est que tardivement qu’elle s’était plainte, quand elle fut en fait saignée à blanc.”

L’historien Benjamin Stora précise : “On compte cinq victimes parmi les Européens. La répression se veut d'une violence exemplaire.” Sous l’influence des colons, le gouverneur d’Algérie Jonnart affirme que “la révolte était une explosion de fanatisme”. 

Les colons réclamaient le lynchage des insurgés. L’opinion publique française est alertée par la presse métropolitaine qui résumait ainsi sont état d’esprit : “La révolte de Marguerite est une colère de désespoir.” Selon Ahmed Bencherif, “la ligue des droits de l’homme en était scandalisée.

Les intellectuels et les libéraux en étaient révoltés, l’opinion découvrit l’internement administratif en violation du droit public français et le séquestre, vieilles pratiques de l’empire romain... Elle eut honte de cette déshumanisation voulue qui frappait le monde indigène auquel la politique coloniale suivie avait enlevé tous les moyens de survie”. 

Le procès des insurgés devait se tenir à Alger. “Consciente des dépassements judiciaires de la colonie, la haute cour de justice dessaisit la cour d’assises d’Alger et chargea la cour d’assises de Montpellier de l’affaire de Marguerite”, rapporte Bencherif. Le procès s’ouvrit le 11 décembre 1902. Il avait été fortement médiatisé et avait soulevé des passions phénoménales, “autant que l’affaire Dreyfus”. 

Dix-sept prisonniers avaient péri à la prison d’Alger et 80 étaient malades dont quinze vieillards, un aveugle. “C’est le produit de la détresse humaine”, rapportait la presse. Pour Ahmed Bencherif, “le champion du procès” était incontestablement maître Ladmiral, un avocat guadeloupéen commis d’office, “lui-même colonisé et assimilé français”.

Il se révéla par un plaidoyer ardent qui donna une véritable leçon d’histoire de la colonisation dans ses segments les plus tragiques : code de l’indigénat, déportation de musulmans, séquestre des terres des indigènes, succion fiscale, amendes forestières, pouvoir exorbitant des colons. L’avocat mettait en évidence “un code en situation de non-droit”, ce qui scandalisa les défenseurs des droits de l’homme.

Ses révélations choquèrent le public dont faisaient partie des dizaines de journalistes. “Le procès prit donc sa véritable dimension universelle humaniste, qui allait peser de son poids énorme sur le verdict.” Après 40 journées d’audience, “le verdict fut assez "clément", désavouant la politique coloniale d’oppressions et d’exactions suivie envers les indigènes”. Quatre-vingt-et-un accusés furent acquittés, 4 furent condamnés à perpétuité, 20 autres entre 5 et 15 ans de prison, avec interdiction de séjour. 

Les acquittés furent déportés dans le Sersou, leurs terres et leurs biens confisqués suivant un arrêté du gouverneur général qui ne leur avait laissé que trois hectares chacun pour survivre. La Dépêche de Toulouse commentait : “Si la France laisse subsister ce régime, elle perdra l'Algérie ou elle aura fatalement à réprimer des insurrections encore plus terribles.

” Pour les historiens, dont Benjamin Stora, “un demi-siècle avant la guerre d'indépendance, une révolte villageoise n'ayant pas duré plus de huit heures qui a pu suggérer un pronostic aussi lucide souligne combien cet épisode d'apparence minime est révélateur des réalités de la "pacification" coloniale”. Une “petite” révolte qui, comme de modestes ruisseaux, alimenteront le grand fleuve du Mouvement national qui débouchera sur le 1er Novembre 1954.

 


ALI BEDRICI

 


Le procès des insurgés de Marguerite (Algérie), Cour d’assises de Montpellier, 15 décembre 1902-8 février 1903, d’Ahmed Bencherif, L’Harmattan, 304 pages, février 2021.

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