Culture HABIBA DJAHNINE, RÉALISATRICE, PRODUCTRICE ET FORMATRICE, À “LIBERTÉ”

“Le son peut changer le sens des images et l’écriture d’un film”

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Yasmine AZZOUZ Publié 23 Octobre 2021 à 18:11

© D. R.
© D. R.

“Paysages sonores de Timimoune” est un programme pédagogique que la réalisatrice a lancé dernièrement à Timimoune, dans le cadre de la résidence d’écriture documentaire “Imagine”. Sept documentaires sonores ont été créés à l’issue de cette formation qui propose “un regard intérieur” loin de l’exotisme et des idées reçues sur cette ville du Sud.

Liberté : Sept documentaires sonores seront prochainement mis en ligne, suite à une résidence de création que vous avez encadrée dernièrement à Timimoune avec des opérateurs du son. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet ?
Habiba Djahnine : Dans le cadre d’un projet qu’on a nommé “Imagine”, nous avons prévu plusieurs formations et résidences de création qui allaient avoir lieu de janvier 2020 à juin 2022, cela en essayant de couvrir tous les métiers du cinéma : image, son, écriture, diffusion, critique, archivage, etc. Notre programme a été quelque peu chamboulé à cause de la pandémie, mais nous avons à présent rattrapé le retard grâce à la mobilisation de l’équipe du collectif Cinéma Mémoire. 

Pour revenir à votre question, l’un des ateliers que nous avons initiés consiste en une résidence de création en plusieurs phases, destinée à des opérateurs et opératrices du son débutant.e.s ou confirmé.e.s et à des animateurs et animatrices radio (associatif ou professionnel). 
Pour cela, nous avons lancé un appel à candidature national, nous avons reçu une quarantaine de candidatures de tout le pays, le jury en a sélectionné sept (3 femmes et 4 hommes). “Paysages sonores de Timimoune” le programme pédagogique s’est construit à partir de l’idée d’impulser une pratique de prise de son dans le but de capter les sons de Timimoune et de raconter des histoires à partir de ces sons. Pour cette formation, j’ai sollicité trois personnes, Yassine Hirèche et Hocine Haddouche, comme opérateurs son qui maîtrisent la prise de son et le mixage, et Luc Chaulet, concepteur radio et réalisateur. Le premier jour, nous avons commencé avec Luc Chaulet qui a animé une master class autour de son parcours, son approche du son et une introduction du paysage sonore selon Murray Schafer qui écrit : “Nous proposons d'écouter le monde comme une vaste composition musicale – une composition dont nous serions en partie les auteurs.” C’est ce que nous avons proposé à nos participants. Après une initiation au matériel d’enregistrement de son, ils ont été à la recherche de divers sons. D’exercice en exercice, ils ont commencé à orienter leur choix, à analyser leurs sons et à apprendre à écouter. La première phase a duré 7 jours, qui a consisté à apprendre à utiliser le matériel, à enregistrer des sons, à écouter, à écrire et ensuite à choisir le paysage sonore que chacun et chacune voulait capter. La deuxième phase s’est passée à Tizi Rached, dans une association partenaire Axxam N-Dda Ali, qui nous a accueillis pour le montage et le début du mixage. La dernière phase a consisté à mixer les documentaires sonores, à les produire et à les diffuser. J’ajouterai que nous avions envie de donner la chance à des opérateurs et opératrices du son. On leur a demandé d’être créatifs, ce qu’on ne leur demande pas beaucoup sur les plateaux de tournage. Alors que c’est un métier très créatif et les possibilités sont infinies, il suffit de faire confiance aux techniciens.

Les sept jeunes opérateurs et animateurs que vous avez formés réapprennent à travers cet exercice à “réécouter” les sons les plus ordinaires de la nature. En tant qu’encadrant, comment ce lien s’est-il tissé au fil de l’apprentissage ? 
Les formateurs ont d’abord donné des exercices à faire aux stagiaires. L’enregistrement de voix, sa propre voix, des sons d’ambiance, des conversations, le silence de la palmeraie, le vent, les animaux d’élevage, les oiseaux, la musique, les sons du quotidien, etc. À travers ces exercices, les stagiaires se sont familiarisés avec l’univers sonore de Timimoune, chacun et chacune d’eux a choisi un univers, une thématique ou un axe de travail à explorer. Lors des séances d’écoute et d’écriture, nous les avons aidés à mieux cerner ce qu’ils voulaient faire. À partir de là, ils ont entamé la phase de réalisation, c’est-à-dire la collecte de la matière pour réaliser leur documentaire sonore. 

Certaines de ces œuvres tentent de rompre avec les clichés sur cette grande ville du Sud qu’est Timimoune… 
Je crois que même avec le son on peut déconstruire les clichés, et chacun de ces documentaires sonores arrive à proposer un regard intérieur qui nous éloigne de l’exotisme et des idées reçues. Le plus important c’est la rencontre, la vraie, et il me semble qu’elle a eu lieu. 

L’écriture sonore est moins mise en avant que l’écriture dite “traditionnelle” dans le cinéma. Pourtant, un travail tout aussi minutieux doit être fait en amont et pendant la construction de cet environnement sonore… Pourquoi cette défection du “son” au profit de l’“image” d’après vous ? 
Ce n’est pas vraiment une défection mais une sorte de mise au second plan du son. J’ai envie de dire qu’on ne remarque le son que lorsqu’il est mal fait. En réalité, dans chaque film, il y a une écriture sonore, certains plus que d’autres. 
Le son peut carrément changer le sens des images et donc de l’écriture d’un film. C’est en effet un travail minutieux, coûteux et aussi important que l’image. Après, il faut aussi que les salles de cinéma en Algérie soient équipées pour accueillir l’écoute de la précision de ce travail. 

Quel sera le moyen de diffusion de ces documentaires au profit du grand public, s’ils ne peuvent faire l’objet d’une projection en salles ? 
Ces sept documentaires sonores ne sont pas destinés à être diffusés dans des salles de cinéma. Ils pourront être diffusés sur les ondes de radios publiques et associatives, aussi être diffusés dans des espaces dédiés à l’écoute le temps d’un événement que nous allons organiser dans les mois qui arrivent. Cela peut être dans un espace associatif, une galerie d’art, etc. En attendant d’organiser tout cela, nous allons créer un événement en ligne pour les diffuser et les faire connaître en espérant que les radios et autres structures nous contactent pour les diffuser à leur tour. 

En 2017, vous organisiez une résidence d’écriture destinée aux femmes à Timimoun qui a révélé plusieurs jeunes réalisatrices. Quelle était l’importance de donner la parole à ces réalisatrices en herbe pour traiter de la condition féminine ? 
Depuis la dernière édition de Béjaïa Doc en 2014, plusieurs jeunes femmes m’avaient contactée pour les accompagner dans l’écriture et la réalisation de leur premier film documentaire. Je ne pouvais pas à l’époque assurer une nouvelle promotion à cause d’autres engagements professionnels. J’ai attendu que le projet soit mûr pour que je lance un appel à candidature destiné aux femmes. 
Il me semble que cela correspondait à un besoin fort de prendre la parole sur des questions liées à des destins et histoires de femmes, loin de la posture victimaire et loin des clichés habituels attribués aux féminismes et aux luttes des femmes pour leurs droits. Encore une fois, nous essayons à travers une démarche collective de construire une approche désaliénée de notre condition. Réfléchir par nous-mêmes, questionner notre condition de femme algérienne et faire émerger des résistances et des luttes qui sont parfois ignorées. Il ne s’agit pas de glorification, mais plutôt d’aller chercher dans ce qui constitue notre quotidien des moyens de prise de conscience de notre force. 
L’atelier de Timimoun n’était pas destiné à des réalisatrices en herbe, mais plutôt à des femmes qui voulaient faire leurs premiers pas dans le métier. Dans le groupe, une seule d’entre elles avait une formation préalable en audiovisuel. 

La formation est votre cheval de bataille depuis de longues années. Cela avait commencé en 2006 avec Béjaïa Doc et se poursuit maintenant avec des résidences d’écriture dans le Sud. Est-ce pour combler un vide ? 
Lorsque nous avions lancé Béjaïa Doc en 2006, deux choses avaient guidé notre projet. Le besoin fort de transmettre un métier qui nous passionnait et le désir de participer à construire des images sur nous-mêmes. 
Ces formations consistaient à apprendre le métier en faisant son premier film une année durant et même parfois plus. Il faut du temps pour développer une idée de film et se confronter au réel, sans compter tout l’apprentissage technique qui accompagne la formation théorique. Aujourd’hui, nous avons près de 40 films dans notre fonds, un bon nombre des personnes formées sont restées dans le métier, en réalisant d’autres films, en travaillant comme assistants à la réalisation ou dans les postes liés au son et à l’image. 
Pour rependre votre question, nous n’avons pas fait tout cela pour combler un vide mais plutôt pour construire un pôle de formation à côté d’autres initiatives et expérimenter des méthodes collectives de fabrication de films documentaires. Nous avons à cœur d’aider, d’accompagner des projets de films qui permettent la documentation de notre réalité, tout en développant des approches subjectives loin des formatages de la pensée et des formes.
 

Entretien réalisé par : Yasmine AZZOUZ

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