Culture Ben Mohamed, poète et parolier

“L’école inculque l’esprit de soumission”

  • Placeholder

Ali BEDRICI Publié 24 Mars 2021 à 00:09

© D.R.
© D.R.

Intellectuel et poète reconnu, parolier de chansons à succès mondial comme “A Vava Inouva” du regretté Idir, Mohamed Benhamadouche, alias Ben Mohamed, exilé en France comme tant d’autres artistes et écrivains durant la décennie noire, s’exprime, dans cet entretien, sur l’état des arts en Algérie, les conséquences de la décennie noire sur la culture et le rôle de l’école, qui “formate”, selon lui, plus qu’elle ne forme. 

Liberté : Dans vos interventions, contributions et participations à des débats, vous dressez le constat que l’art, dans toutes ses expressions, a décliné ces dernières années en Algérie. Qu’en est-il ?
Ben Mohamed :
C’est tout simplement la culture dans toutes ses dimensions qui est en déclin. Tous les arts se nourrissent de la culture et réciproquement. Le déclin des uns a forcément pour conséquence le déclin de l’autre.
Avant la décennie noire qui a tout cassé, il y avait une période d’effervescence culturelle plus ou moins intense. Je me base sur mon vécu à Alger. Il y avait des salles de cinéma, de théâtre, de spectacles, des salles d’exposition et surtout des rencontres de débat entre les créateurs et leur public, avec des questionnements sur la création artistique et littéraire, sur les choix politiques, sur le dit et le non-dit des œuvres culturelles en général. La Cinémathèque d’Alger accueillait de grands réalisateurs et critiques de l’époque. On y découvrait les cinémas, les cultures des pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe de l’Est, des Amériques, des voisins marocains, tunisiens, mauritaniens et des Youcef Chahine et Tewfiq Salah. 
Des films avec débat étaient projetés aussi dans des ciné-clubs et formaient des cinéphiles allant bien au-delà de la simple consommation d’images comme celle actuellement en cours. 
    
Le théâtre n’était pas en reste…
Il nous plongeait dans nos vraies préoccupations. Le TNA, ce théâtre officiel, a permis à Abderrahmane Kaki de mettre en valeur notre culture populaire. Le TNA a ouvert ses portes à Jean-Marie Boeglin pour monter Le Foehn, cette pièce qui traite de la bataille d’Alger sous l’éclairage plus poétique qu’idéologique du regretté Mouloud Mammeri. 
Le petit théâtre Mogador avait des créations et des débats en avance sur leur temps. Y émergeront le brillant et discret Réda Kriss – activant pourtant sous l’égide de la JFLN – et des hommes qui marqueront l’histoire du théâtre algérien comme Slimane Benaïssa et Azzedine Medjoubi, assassiné par les ennemis de la Lumière. 
  
Vous évoquez aussi Le Mouggar à Alger...
Cette salle polyvalente porte bien son nom, en amazigh, lieu de rencontres. 
En plus des films et du théâtral, on pouvait assister à des soirées poétiques ou littéraires avec de prestigieux auteurs algériens et étrangers. 
On pouvait également y écouter et débattre de témoignages et d’analyses qui ne confondent pas Histoire et légendes. Enfin, c’est dans cette salle que se sont révélés plusieurs jeunes poètes nationaux qui mettaient leur talent à l’épreuve des débats publics, dont la majorité a constitué l’avant-garde de la jeune poésie contestataire. 
  
Quel a été, selon vous, le point de rupture ?
Toute cette activité culturelle florissante a été interrompue par cette calamiteuse période des années 1990. Cela a commencé par l’arrivée des islamistes aux commandes de la majorité des municipalités. 
Ils se sont vite attelés à dévier les salles de leur mission artistique et culturelle pour les transformer en de tristes spectacles d’activités partisanes. 
La situation s’est aggravée par l’assassinat d’intellectuels, les massacres collectifs de civils, le dramatique exode rural vers les villes et vers l’Occident de tous ceux qui se sentaient menacés. La libre pensée s’isole et s’enferme dans la méfiance. 

La parabole et Internet ont pris le relais, dites-vous...
Face à la fermeture évoquée, l’avènement de la parabole ouvre de petites lucarnes vers une multitude de chaînes de télévisions étrangères, puis c’est au tour d’internet d’ouvrir portes et fenêtres sur le reste du monde. C’est toute la façon de voir la vie qui change. La censure aveugle qui frappe les médias de l’intérieur transforme en vérité incontestable tout ce que disent les médias de l’extérieur. 
Les moments de transmissions familiales tendant à tisser les liens avec notre culture ancestrale cèdent la place à d’autres valeurs transmises cette fois par la parabole, Google et Wikipedia, sans analyse ni débat contradictoire, donnant lieu à des échanges d’idées fortes et de vraies connaissances. 

Trouvez-vous que l’école a joué un rôle dans ce déclin ? 
Oui, car il ne peut en être autrement dans un pays où l’école a pour mission de formater au lieu de former. 
Au lieu de transmettre et de développer l’esprit critique et l’esprit créatif, elle s’acharne plutôt à transmettre l’esprit de soumission à la parole du maître du moment. Cette école, gravement idéologisée, ne transmet malheureusement qu’un savoir approximatif considéré en plus comme savoir suprême ; un savoir qu’il faut apprendre et répéter, tout en évitant la case intelligence du cerveau de l’Algérien.  

Propos recueillis par :  ALI BEDRICI  

 

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00