Culture les cinq membres de “Shortkanj” mettent fin à leurs projets

L’histoire d’un court-métrage qui tourne court

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Yasmine AZZOUZ Publié 24 Mars 2021 à 21:48

© D. R.
© D. R.

Leur histoire est digne d’un film tragi-comique. L’aventure artistique des cinq cinéastes amateurs de Chlef (Shortkanj) se termine dans une forêt en plein tournage. Arrêtés, placés en garde à vue, jugés et condamnés à deux mois de prison avec sursis pour un banal défaut d’autorisation de tournage, brisant ainsi leur rêve de jeunesse. 

Ils sont cinq jeunes issus de la wilaya de Chlef. Il y a sept ans, ils décident, avec les moyens du bord, de former “Shortkanj”, un collectif qui publie des courts-métrages traitant de la politique, de la société et des galères de l’Algérien lambda. Pourtant, lors du tournage, il y a quelques jours, dans une forêt à Chlef, d’une série ramadanesque qu’ils préparaient depuis un an, leur matériel, leurs téléphones et leur voiture ont été saisis, et les cinq jeunes cinéastes interpellés et mis en garde à vue pendant cinq jours. 

Quelques jours plus tard, le lourd verdict tombe : ils écopent de deux mois de prison avec sursis assortis d’une amende pour chaque membre. Motif de la condamnation : tournage sans autorisation. En l’espace de quelques minutes, leur carrière et leur rêve sont brisés. Des années de labeur et de passion arrêtés en plein élan. Comment on est-on arrivé là ? A quoi obéit une décision aussi lourde ?

Il faut savoir que dans leurs vidéos, les membres de “Shortkanj” dénoncent les problèmes de corruption, de népotisme ou encore les pénuries que connaît l’Algérie à l’instar de celle de la semoule. D’ailleurs, leur compte Youtube compte actuellement près de 350 000 abonnés. Leur ton, sans concessions, fait mouche. La qualité de leur contenu et l’engagement de ces cinq jeunes, dont l’âge varie entre vingt-quatre et trente ans, parlent à la jeunesse ; les vidéos sont partagées, relayées, commentées. Leur impact est évident, et leur carrière était promise à un bel avenir.  

“Notre but était de faire connaître la culture algérienne” 
Dans une vidéo postée samedi dernier, intitulée « La fin », le groupe annonce mettre définitivement un terme à sa carrière. Yahnine Ziane, un de ses membres, explique : “On nous a saisi notre matériel, nos téléphones et notre voiture alors qu’on tournait notre série. On a délaissé nos études et nos carrières pour nous consacrer uniquement à cela. On a investi notre propre argent dans ce projet”. Et d’ajouter : “Depuis nos débuts, on réalise des courts-métrages. On a mis un point d’honneur à produire un contenu de qualité et familial. Pendant toutes ces années, l’unique raison qui nous a empêchés de flancher était votre soutien, vos commentaires et vos messages. Notre but était d’être reconnus et de faire connaître notre culture à l’échelle internationale.” 

A ces obstacles se sont ajoutés des problèmes d’ordre financier, ont-ils fait savoir. Leurs vidéos, même visionnées des millions de fois, ne rapportaient pas d’argent selon un membre. A l’heure où le ministère de la Culture et des Arts se dit prêt à “soutenir les artistes dans la concrétisation de leurs projets en leur garantissant un cadre juridique susceptible de les protéger de tout dépassement”, les appels de “Shortkanj”, pour une aide et un accompagnement, sont manifestement restés lettre morte. 

Pire, les créateurs de contenus  et  les  artistes  risquent désormais la prison pour le simple fait de prendre la caméra et laisser libre cours à leur créativité. Un blocus culturel qui ne dit pas son nom, et qui trouve, en partie, son origine dans la loi n°11-03 du 17 février 2011, relative à la cinématographie ainsi que dans le décret exécutif n°13-276 de 2013, relatif aux autorisations et visas cinématographiques.

Pour Ammar Kessab, chercheur et expert en management et politiques culturelles, “l’enjeu, pour le régime, est trop important pour laisser les jeunes réalisateurs et les jeunes comédiens s’exprimer librement, et toucher le maximum de public, car le cinéma éveille les consciences et attire l’attention des citoyens sur leur vécu.” Et d’ajouter : “C’est drôle de constater le silence du ministère en charge de la Culture sur cette affaire, qui le concerne directement.

En  effet,  pour  sanctionner  les  jeunes  du  collectif  Shortkanj, la  justice  a appliqué les dispositions  de  la  loi n°11-03 relative à  la  cinématographie de 2011, dite ‘Khalida Toumi’, qui est l’une des lois les plus liberticides en matière de cinéma dans le monde. Tant que cette loi n’est pas abrogée, tout discours sur le développement des industries cinématographiques en Algérie relèverait du mensonge.” Selon l’expert, tout comme “Shortkanj”, d’autres jeunes seront, à l’avenir, sanctionnés et emprisonnés, tant que cette loi existe encore. 

La mésaventure du collectif a, en outre, suscité l’émoi dans le milieu artistique et sur le net. Plusieurs artistes et anonymes se sont solidarisés du collectif, comme la comédienne Adila Bendimerad, le réalisateur et scénariste Yanis Koussim, ou encore le comédien Salem Usalas.
 

Yasmine AZZOUZ

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