Culture Auguste Ngomo, auteur de “Massinissa, la légende berbère”

“Massinissa, un parfait panafricaniste”

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Kouceila TIGHILT Publié 16 Janvier 2021 à 22:41

© D. R.
© D. R.

L’auteur et diplomate gabonais consacre un roman historique au roi berbère, dans lequel il retrace son enfance, son ascension, ses combats et son rôle d’unificateur. Le parti pris de Ngomo est de faire connaître aux Africains leurs illustres ancêtres, les préserver contre l’oubli et la réécriture de l’histoire par l’Occident.

Liberté : Vous venez de publier un roman consacré au roi berbère Massinissa. Peut-on en savoir plus sur ce livre ? 
Auguste Ngomo : Le livre Massinissa, la légende berbère, publié aux éditions La Pensée, raconte l’histoire de la vie de Massinissa à l’époque de la deuxième guerre punique. Ce livre n’est pas un livre d’histoire mais un roman historique. C’est-à-dire qu’en plus de la réalité historique, il y a aussi une part d’imagination dans les récits racontés dans ce livre. Pourquoi un roman, me demanderez-vous ? Parce qu’on lit plus facilement un roman qu’un livre d’histoire.

Ce roman parle de l’enfance et de la vieillesse de ce grand roi. Ce livre raconte les intrigues et les difficultés auxquelles a été confronté Massinissa dans son ascension au trône et aussi dans son combat pour l’unification de la Numidie et des Amazighs. Ce livre raconte ses passions et son amour, et nous pouvons graduellement comprendre les changements d’alliance opérés par Massinissa. 

Pourquoi plus précisément un livre sur le roi berbère Massinissa ?
Le continent africain a connu des rois et des reines africains brillants et exceptionnels. Mais un roi africain qui, des milliers d’années avant notre époque, a dit au monde “L’Afrique aux Africains” est un roi qui interpelle. Un roi berbère qui, par ses choix stratégiques et ses qualités de roi-guerrier, changea le cours de l’histoire de Rome et, par conséquent, celle de la Méditerranée et du monde, mérite qu’on s’arrête sur lui.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, le Premier ministre anglais Wilson Churchill a joué exactement le même rôle pivot que celui de Massinissa des siècles plus tôt. Si ce Premier ministre avait écouté et accepté l’alliance de l’Allemagne nazie, et à l’époque l’Amérique isolationniste ne voulait pas entrer en guerre contre les Allemands, nous serions dans un autre monde. Pourquoi Massinissa ? C’est pour moi un parfait panafricaniste, un stratège unique, un roi valeureux que les Africains dans leur ensemble doivent connaître et honorer. 

Nous pouvons donc dire que vous êtes fasciné par ce roi berbère... 
Oui, absolument. C’est vraiment un roi exceptionnel. Non seulement par ses qualités militaires, mais aussi par ses talents administratifs, diplomatiques et d’analyste géopolitique. Et c’est aussi un être magnifiquement humain et tolérant. Aimer passionnément une Carthaginoise et pourtant se battre contre Carthage. Aimer un membre de la famille régnante de Carthage, les Barca, et pourtant, par ses victoires contre elle, la réduire à néant. Savoir faire la part des choses entre l’homme d’État et sa propre personne. Il y a tellement de valeurs et de leçons à apprendre de cet Africain qui a vécu des siècles avant nous.

Dans “Massinissa, la légende berbère”, vous avez opté pour un roman historique et non pour un livre d’histoire. Pourquoi ce choix ?  
Deux raisons fondamentales ont guidé ce choix littéraire. La première est que je souhaitais que les Africains, à travers mes écrits, découvrent ou redécouvrent leurs illustres ancêtres. Et cela non plus à travers les yeux des Non-Africains, mais plutôt à travers celui d’un Africain comme eux. Il y a donc un parti pris totalement assumé dans mon roman. 

Comme les historiens romains et autres, pour valoriser plus que de raison Scipion l’Africain ou dévaloriser Massinissa, ont assumé de présenter notre roi comme un traître ou une marionnette des Romains, moi j’assume en tant que romancier historique africain de le présenter en héros. Et il l’était. Et comme vous le savez, il est plus agréable de lire une histoire à travers un roman qu’un livre d’histoire. Donc j’ai choisi le roman comme moyen d’expression car il offre en plus un espace à l’imagination et à la créativité. 

La deuxième raison est que je ne suis pas un historien académique, donc je ne suis pas habilité à écrire des livres d’histoire. Mais surtout écrire un livre d’histoire m’aurait conduit à des débats stériles et contradictoires d’experts sur Massinissa. Et ces débats ne m’intéressent pas car, comme nous le comprenons maintenant, notre histoire a été très politisée et manipulée. Nous devons en sortir.     

Votre roman est depuis quelques jours en vente en Algérie. Quelles sont vos impressions et vos attentes ?
Permettez-moi à travers vos colonnes de remercier l’éditeur M. Mohand Arkat, directeur des éditions La Pensée, d’avoir décidé de publier et de distribuer ce livre en Algérie et dans la région nord de l’Afrique. Il a largement contribué à réaliser mon ambition de faire lire aux Africains leurs propres histoires. Merci infiniment. Je suis également agréablement surpris par les réactions positives de milliers d’Algériens et par leurs nombreux messages de soutien et d’encouragement.

Merci à tous pour cet accueil unique. Les interactions sur les réseaux sociaux, très passionnées et parfois même violentes, montrent à quel point l’écrivain et poète sénégalais Birago Diop avait raison en disant que “les morts ne sont pas morts”. Plus de 2000 ans après sa mort, on ressent que Massinissa est vraiment omniprésent parmi nous et revendique sa part de vérité sur son histoire.

J’espère que les Algériens et les Africains liront ce livre avec plaisir et qu’ensuite ils parleront de cet illustre Africain à leurs enfants. Nous ne devons plus oublier notre histoire, nous devons nous la réapproprier pour enfin redevenir ce que nous n’aurions jamais dû cesser d’être, des Africains. J’espère qu’un débat pourra être ouvert en Afrique pour enfin reconnaître et honorer nos héros et nos ancêtres des temps anciens. 

L’histoire du roi Massinissa doit appartenir à l’humanité afin de la préserver contre l’oubli…
La mémoire est essentielle à la structuration de l’humain et de notre société. Celui qui contrôle le narratif de notre mémoire nous contrôle de fait, car il peut nous faire croire ce qu’il veut. Notre histoire a tellement été retouchée, modifiée que nous ne savons plus qui nous sommes. Nous sommes réduits à regarder le monde à travers le prisme de celui qui détient notre mémoire.

S’il nous dit le Nord de l’Afrique a toujours été séparé du Sud, nous le croyons. S’il nous dit que l’Africain blanc est supérieur à l’Africain noir, nous le croyons aussi. S’il nous dit qu’aucun berbère n’a été pharaon d’Égypte nous pensons que c’est probablement vrai. Nous devons nous battre pour faire connaître notre part de vérité, notre histoire.

Raconter la belle histoire de Massinissa est notre contribution à faire connaître aux Africains et à toute l’humanité l’histoire unique de cet Africain qui a changé l’histoire du monde. Juste un exemple, sans Massinissa, Rome n’aurait pas gagné cette guerre contre Carthage et donc les Romains ne serait jamais arrivés en Palestine et ils n’auraient pas introduit dans ce pays l’exécution par crucifixion. Voilà la dimension de Massinissa, nous ne devons pas l’oublier.

Vous avez évoqué dans le livre, l’Afrique, un continent où ont vécu des femmes et des hommes extraordinaires. Pensez-vous qu’il est temps pour l’Afrique de se réapproprier son histoire ?
Oui totalement. Si nous voulons reprendre notre place en tant qu’humains sur cette terre et en tant qu’Africains sur ce continent, nous devrons  voir notre monde à travers nos yeux d’Africains. Ce regard est forcément différent de celui des autres. En Afrique, nous disons : “Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens”. Ce proverbe nous dit que si tu n’arrives pas à te projeter dans ton futur (où tu vas) regarde ton passé (d’où tu viens).

Actuellement, les Africains sont déculturés et perdus, mais notre passé peut nous ressourcer en nous indiquant quelles étaient nos valeurs, nos ambitions, notre trajectoire… Non pas dans un esprit de nostalgie, mais dans celui des retrouvailles avec notre identité. Le plus simple pour nous est de retrouver et de restaurer la vie de ces illustres fils et filles du continent dont les histoires, longtemps après leur mort, imprègnent encore notre présent et notre imaginaire. 

Est-ce que notre histoire, celle des Berbères en général et celle de Massinissa, en particulier, est enseignée convenablement dans nos écoles ?
Hélas non. Dans le calendrier kamite nous sommes en l’an 6257, dans le calendrier amazigh nous sommes en l’an 2971 et pour le calendrier chrétien en 2021. Combien de jeunes Africains le savent ? Qui est Massinissa, Sheshong 1er, Abubakri II, Piankhy, Yasuké etc… ? Difficile de répondre, même pour des adultes. Et pourquoi cette incapacité ? Parce que nous ne l’avons pas appris à l’école. Les programmes scolaires de nos écoles africaines enseignent l’histoire de Napoléon, Georges Washington, Gengis Khan, Jules César etc… et rien des nôtres.

Pis encore, les autres savent tout de leurs illustres ancêtres et rien des nôtres. Alors que nous, nous connaissons tout de leurs ancêtres et rien des nôtres. Nous devons changer cela. Le rôle de l’école est fondamental, car l’école est l’une des puissantes institutions qui nous ouvre l’esprit au monde et à notre réalité humaine.

L’école a la capacité de nous ouvrir l’esprit ou de nous le fermer. Les enseignements de l’école nous transmettent des valeurs, des croyances et des certitudes. Notre histoire et celle de nos illustres ancêtres doivent être apprises dès l’école primaire. Parler de toute l’histoire de l’Afrique et pas seulement, celle de son pays permettra aux enfants de regarder l’autre africain comme un frère, un humain pas un ennemi. 

Comment peut-on alors transmettre toute cette histoire aux nouvelles générations ?
Les Africains, comme tous les humains, vont de plus en plus vers la facilité quand il s’agit de se cultiver et d’apprendre.  Nous pouvons commencer par des programmes scolaires plus adaptés. Mais si nous souhaitons toucher le plus grand nombre, nous devons les accrocher par des romans, des films, des biopics, des bandes dessinées, des dessins animés etc….

Et si nous arrivions à susciter leur intérêt, nous devrions avoir des plateformes sur internet et sur les médias sociaux leur permettant d’approfondir leurs recherches et leurs connaissances. Bien entendu des forums, des salons ou des festivals historiques… sont aussi les bienvenus. 

Ne pensez-vous pas que la vie culturelle en Afrique, qui représente aussi un socle social, est menacée, non seulement par les conflits, mais aussi par les effets de la mondialisation ?
Depuis des siècles les Africains sont soumis à de multiples pressions culturelles. Et ces pressions sont en effet exercées à travers des guerres, à travers des modèles de consommation ou par des valeurs civilisationnelles extérieures. Notre modèle culturel est de plus en plus menacé aussi bien par l’extérieur que par certains africains se revendiquant du mondialisme.

Par exemple, l’individualisme de la société actuelle a pris le pas sur le collectif de l’ancienne société et sur la solidarité ; la compétitivité a pris le pas sur la coopération. Et les Africains, se retrouvant réellement déconnectés de ce type de valeurs, se sentent perdus. Nous sommes réellement en déphasage par rapport à ces valeurs si éloignées de ce que nous sommes.  

Bio express : 
Auguste Ngomo est né 1970 à Bitam, une petite ville du nord du Gabon. Passionné d’histoire, d’anthropologie, d’archéologie et futurologie, il utilise toutes les disciplines pour se projeter dans les temps passés de l’histoire ancienne de l’humanité et ainsi ramener à la vie les héros des légendes perdues. Il travaille actuellement en qualité de fonctionnaire internationale à l’Union africaine.
 

Propos recueillis par : K. TIGHILT

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