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Miliana, Djamel Bensmail, Séquoia, Zaccar et la Tour Eiffel

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Amin ZAOUI Publié 19 Août 2021 à 09:12

© D.R
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À chaque fois que je visite Miliana, invité par l’Association des Amis de Miliana Art et culture ou par d’autres organisations de la ville, un sentiment inhabituel me hante. Pour atteindre Miliana, il faut escalader le chemin qui monte, une petite route sinuant dans une forêt vers le haut, vers le ciel, vers Zaccar, vers les prières de Sidi Ahmed Ben Youcef. Une montée en poésie pour arriver à un sommet de fer et des hommes de cœur ! Des hommes aux odeurs de la sueur sainte, autrefois mineurs, les faiseurs de la Tour Eiffel. C’est le fer miraculeux de Miliana, extrait pièce par pièce par les bras des Milianais et la patience des Milianaises, qui a créé, dans le mal de la colonisation, la splendeur de la Tour Eiffel de Paris.

Ici, dans cette cité reculée, de père en fils, sont nés les Bensmaïl. Ici au pied de Zaccar est né Jimmy, Djamel Bensmaïl lâchement assassiné et son corps brûlé par une horde de criminels, à Larbaâ Nath Irathène.  Dans cette ville gardée par son saint patron Sidi Ahmed Ben Youcef (1436-1524), un homme dont l’œil clément ne dort jamais. De son mausolée sa sagesse comble, de génération en génération, les enfants de Miliana. Le père de Jimmy est l’exemple vivant, un homme d’une grande âme. Un rare des hommes. 

Dans cette cité magique, jadis terre bénie par les paroles des saints et des poètes et des nationalistes engagés est né le jeune artiste Jimmy. Aujourd’hui, avec l’ensauvagement de l’administration et l’aveuglement de la bureaucratie, cette cité noble et forte par son passé glorieux est oubliée dans le silence de la mine de fer de Zaccar fermée et dans les prières récitées du sommet vers le Ciel proche.

Ici a grandi Jimmy, mais précocement assassiné et carbonisé publiquement avant de grandir comme cet arbre que tous les Milianais et les Milianaises chérissent : “Séquoia” de leur jardin public Magenta. Un arbre qui fait la fierté des citoyens de Miliana, debout dans ce jardin créé en 1870 dans le même esprit que le jardin du Hamma d’Alger. À partir d’aujourd’hui les Milianais et les Milianaises se trouveront avec un deuxième arbre, un nouveau Séquoia appelé : Jimmy, Djamel Bensmaïl. Le séquoia est l’arbre le plus grand du monde, dont la longévité peut atteindre plus de 3000 ans et Djamel Bensmaïl de même.   

Si les mineurs du charbon ont offert à la littérature française l’homme de J’accuse, Emile Zola, dont l’œuvre romanesque Germinal illustre les classiques universels, la mine du fer de Zakkar de Miliana a offert à l’Algérie littéraire le pionnier de la littérature algérienne d’expression française. Il s’appelle Abdelkader Hadj Hamou né en 1891-1953 à Miliana. Son roman intitulé Zohra la Femme du mineur, publié en 1925 aux éditions Associés est considéré comme le premier roman de cette littérature qui continue à nous subjuguer jusqu’au jour d’aujourd’hui. Zohra la Femme du mineur raconte avec simplicité la ville de Miliana des années 1920-1925, à la veille de la naissance du mouvement national moderne, une ville cosmopolite où vivent et travaillent des mineurs venus des quatre coins du monde.

Le roman relate l’histoire d’un couple algérien, Si Miliani un mineur de Zaccar honnête et croyant et sa femme Zohra. L’amitié avec Grimecci l’Italien le conduira à la boisson et la pente l’emmènera à la prison et au crime. Dans cette descente aux enfers du mari, l’épouse demeure le symbole gardien des valeurs de la personnalité algérienne dans un espace colonisé. Dans une coloration locale milianaise, le romancier dénonce l’exploitation de l’Algérien et l’injustice qui règne dans la mine de fer. Le roman critique le maraboutisme au service du colonisateur, la marginalisation des langues maternelles locales face à l’hégémonie de la langue française. 

Ici dans cette mémoire collective littéraire est né Jimmy horriblement assassiné et sauvagement brûlé ! Dans cette cité magique où l’Émir Abdelkader trouve accueil, confiance et soutien des Milianais, il construit sa fabrique d’armements et mène une guerre. Dans cette cité Miliana fascinante où Alphonse Daudet a commencé l’écriture de son chef-d’œuvre Tartarin de Tarascon publié en 1872. Dans cette ville généreuse est né Mohamed Bouras (1908-1941) précurseur du scoutisme algérien et fondateur de mouvement des Scouts musulmans algériens. Un mouvement pour la philosophie de l’éducation humaine, de la solidarité et de l’entraide. Dans cette Miliana qui a enfanté l’écrivain et journaliste Mohamed Benchicou l’ami de Said Mekbel fils de Béjaïa, qui ensemble, ont fondé Le Matin. Une plume courageuse, dès 2004 il a publié une biographie critique de Bouteflika Une Imposture algérienne. Il est condamné à deux ans de prison et son journal fermé. 

Dans cette matrice civilisationnelle, politique et poétique est né le père de Jimmy Djamel Bensmaïl assassiné et immolé publiquement à Larbaâ Nath Irathène, un père d’une humanité inégalée, un sens patriotique angélique et lucide qui a fait de lui un véritable “coupe-feu” contre une discorde nationale programmée qui cherchait à diviser le pays. 

 


A. Z.
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