Culture Lynda-Nawel Tebbani, romancière et docteure en littérature

“Mon roman cherche à réfléchir les contours sombres de l’humanité”

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Moussa OUYOUGOUTE Publié 17 Mars 2021 à 09:21

© D.R
© D.R

Dans “Dis-moi ton nom folie”, son deuxième roman paru en novembre 2020 aux éditions Frantz-Fanon,la romancière relate l’histoire d’un homme, Skander El-Ghaïb, interné dans un asile psychiatrique. Un registre qui témoigne de sa fascination pour Maurice Blanchot, philosophe et romancier français. Lynda-Nawel Tebbani est allée jusqu’à offrir à Alexandre Akim, le personnage du Ressassement éternel, son jumeau algérien.

Liberté : La lecture de votre second roman, Dis-moi ton nom folie, ne laisse pas le lecteur indemne. Comment à votre tour avez-vous vécu l’écriture de cette œuvre ? 

Lynda-Nawel Tebbani : Je ne sais si je dois être ravie par cette assertion mais la comprends ! Je ne suis pas sortie indemne moi-même de son écriture. Dis-moi ton nom folie a été une réelle aventure d’écriture d’une grande intensité dans le langage. Il y a des personnages qui vous hantent et qui vous habitent. Skander fonde un univers qu’il s’est construit à sa mesure, tout à la fois indicible et innommable. Ce roman nomme moins la quête nominative de Skander El-Ghaïb que ma propre quête de sens du langage. Pourquoi avoir écrit ? Pourquoi cette folie ? 

C’est avec une écriture singulière que vous relatez cette histoire surréaliste sur le thème de l’identité, du dédoublement de la personnalité. Vous n’avez pas choisi la facilité, bien au contraire…

Je vous remercie pour ce qualificatif apposé à mon écriture. Effectivement, ce roman cherche à réfléchir les contours sombres de l’humanité, à travers l’exercice difficile de la santé mentale, tout particulièrement l’amnésie et l’aphasie. Je suis fascinée par ce a privatif : nommer le manque, la perte, le rien : a-mnésie, a-phasie, a-musie. Le a qui vient dire ce que l’on devient lorsque l’on ne sait plus qui nous sommes. L’identité, la personnalité sont des problématiques fourre-tout qui font tomber le récit dans des écueils. Au lieu de sonder ceux-ci, j’ai préféré le silence. Des fois se taire est préférable aux verbiages éhontés. Dire qui l’on est n’évacue pas la difficulté de le dire, de le prononcer et de l’énoncer. Je préfère l’avoir été, l’être possédé par… la musique, le vide, le silence. L’amnésie est semblable à une pause temporelle qui n’en finit pas de continuer. Elle continue à être en n’ayant jamais cessé d’exister, qu’importe qui l’on peut être quand aucun mot ne vient nous nommer et aucun temps ne vient conjuguer notre Verbe. Tout cela ne s’est pas fait par choix, mais par évidence. Une évidence quasi automatique : écrire dans un essoufflement, non d’une course mais d’une apnée. Skander est un partenaire de lutte (de luth ?).

Vous ne craignez pas de dérouter le lecteur en faisant évoluer votre personnage principal dans un asile psychiatrique, au travers d’indices laissés au fil des pages ?

Je pense l’écriture et la lecture comme une déroute. Au-delà de l’espace asilaire. Il s’agit surtout de penser comme Skander. Il n’a justement que des indices pour appréhender le monde et son espace. Pourquoi, dès lors, faire usage de description inutile ? Il ne sait rien, nous non plus. Il faut voir la lecture aussi comme un défi. Le personnage n’est pas un guide, il nous perd plus qu’il ne nous accompagne. Lui, Skander l’errant doit rire de cette volonté de le suivre alors que lui-même ne sait pas. Je pense qu’il faut voir cela comme une aporie plutôt qu’une impasse. Après, il est évident qu’il s’agit d’un exercice de style difficile et compliqué. Je le disais, on n’en sort pas indemne mais surtout je pense qu’il s’agit aussi d’une volonté de sortir des sentiers battus. Moins ceux de la narration que ceux du récit sur la folie. Qu’importe au fond. Tout est dit. Il reste alors à transcrire le silence qui entoure la question sans réponse. Cette suspension qui empêche de résoudre l’énigme.

C’est à la fin du roman que le lecteur découvre enfin l’identité de ce mystérieux personnage, silencieux ou qui n’engage de discussion qu’avec les voix qu’il est le seul à entendre. Son récit est-il tiré d’une histoire vraie ? 

C’est le Docteur Oliver en soi qui joue le rôle de l’enquêteur. Il note, transcrit et commente ces entretiens avec Skander et effectivement à la résolution de l’énigme, c’est lui qui est porteur du message. Je pense qu’il faut y avoir peut-être l’idée qu’une pathologie a besoin, nécessairement, d’un traitement, d’un accompagnement. Tel à un Sphynx qui a besoin de son Œdipe, Skander a besoin de son Oliver. Alors je dois avouer que je suis étonnée par votre question ! Vraiment. Il ne s’agit pas d’une histoire vraie. Tout tient de l’imagination et de l’imaginaire. Skander n’existe pas, il s’agit bien d’un personnage de fiction. Je pense cependant qu’il parle à tous. Il nous parle de nos silences, de nos anxiétés, de nos doutes… de cette mémoire qui nous hante. 

Il a peut-être réussi à toucher un indicible dans lequel se projette le miroir de nos pensées. J’ai eu la chance d’échanger avec des lectrices et des lecteurs et, souvent, revient cette phrase : cela me parle. Assez étrange pour un personnage taiseux de voir l’écho des voix silencieuses. 

Pourquoi cet hommage à Maurice Blanchot, écrivain et philosophe français ?

Je suis une blanchotienne dans l’âme. Une fanatique, même ! Que cela soit d’un point de lecture – je collectionne littéralement les ouvrages de Blanchot dans une quête bouquiniste – ou d’un point de vue critique. L’écriture de Blanchot me passionne, me ravit et me transforme, à chaque fois nouvelle et différente. L’histoire de Skander se meut dans celle de Blanchot. En lisant le Ressassement éternel, j’ai été intriguée par le personnage d’Alexandre Akim qui arrivait dans ce refuge-asile. Blanchot qui parle d’un Akim, j’étais stupéfaite. Et ce personnage m’a hantée. Il est devenu Skander El-Ghaïb dans mon écriture. Une sorte de jeu entre Alexandre et Skander. Ensuite, effectivement, Blanchot est partout dans le texte : dédicace, citation, Skander lit Blanchot. Je ne sais comment expliquer cette obsession. Peut-être qu’une lectrice ou un lecteur l’expliquera mieux que moi. Ce que je sais, c’est que la figure de Blanchot est au-delà d’une figure tutélaire ou d’un héritage : c’est un horizon.  Une phrase a accompagné mon manuscrit : comment oser écrire après Blanchot. Je n’ai pas osé, je n’irai pas jusque-là. Je dirai seulement que j’ai tenté d’offrir à Alexandre Akim un jumeau algérien sans lui ressembler, qui lui parle et lui donne écho : d’un silence à l’autre.

 

 

Propos recueillis par : Moussa Ouyougoute 

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