Pour l’auteure de “L’Ombre d’un doute”, “la lutte des femmes doit être incessante”.
L’écrivaine et journaliste Nadia Agsous était l’invitée, hier, de l’association Bruit des mots de Béjaïa, qui reprend ainsi son cycle de conférences. Et pour cette édition, tenue à la maison de la culture Taos-Amrouche, Nadia Agsous s’est voulue pédagogique et a fait le choix de faire son exposé par PowerPoint.
Le but : permettre à l’assistance de pouvoir aborder le récit de son roman, L’Ombre d’un doute, publié aux éditions Frantz-Fanon, dont la trame narrative n’est pas du tout linéaire.
L’auteure l’assume volontiers, car elle aime “brouiller les pistes”, d’où le choix de donner les clés de la compréhension de son roman à ceux qui l’ont lu ou s’apprêtent à le faire.
Elle a commencé par présenter les quatre principaux personnages. Le protagoniste du roman, le narrateur qui fait partie de la jeune génération, est présenté comme “un sujet pensant, historien, voire archéologique” et aspirant à une nouvelle ville qui va s’affranchir du poids du passé, qui tenaille la population locale. Il symbolise l’avenir et le renouveau de la ville.
Sidi Akadoum est l’autre personnage, “emblématique”, qui vient du désert, avec son chameau, un animal qui émerveille les habitants de la cité. Et pour compenser son handicap de la langue, il parle avec la mimique. Mais dans son balluchon, un miroir avec lequel il était supposé lire l’avenir et guérir ; et un livre, Abrid El Ali (la bonne voie), une “philosophie de ses aïeux, très rétrograde. Le livre va faire beaucoup de mal à la ville”.
Et pour cause, l’homme, qui manie le verbe, va s’avérer “fourbe et sournois. Il a réussi à tromper tout le monde” au point de devenir au fil des années “le premier homme de confiance du prince”.
Autre personnage, féminin cette fois-ci, la mère du narrateur. Nadia Agsous n’a pas voulu la nommer afin que les femmes ne puissent s’identifier à elle. Elle s’en prendra à son fils lorsqu’il deviendra de plus en plus critique vis-à-vis de l’ordre établi et de Sidi Akadoum. Quatrième personnage, Bent’Joy, le nom de la ville imaginaire, qui ressemble beaucoup à Bougie, la ville natale de l’auteure.
L’auteure en a fait dans son récit une “ville millénaire, légendaire et mythique” comme l’antique Bugia, qui était “connue et reconnue comme le centre de rayonnement”. Mais la ville, insiste Nadia Agsous, “peut se situer partout où sévissent des dictateurs. Elle n’appartient jamais à ses habitants mais à ceux qui détiennent le pouvoir”.
Et à côté d’un autre personnage important, la femme à la voix rocailleuse, dont la “fonction est de faire prendre conscience aux Bent’Joliens sur le caractère nocif et nuisible de Sidi Akadoum”, qui s’est réfugié dans la montagne sacrée, qui devait s’appeler initialement Yema Yaya, laquelle ressemble à s’y méprendre à Yema Gouraya.
Nadia Agsous dit avoir regretté de l’avoir enlevée. Il y a enfin les personnages secondaires : Sa Majesté le Prince, le prince le Pouilleux, la foule et les courtisans. Parmi eux, il y a Ang’Ava, “l’esprit bienfaiteur, qui veille, selon l’auteure, sur la ville et ses habitants”. Son rôle : éveiller les consciences.
Pour Nadia Agsous, les femmes sont partie intégrante de l’histoire de la ville. Dans le premier mouvement, les femmes sont enfermées “dans l’identité de procuration. Elles sont sous domination masculine et sans individualité propre”. Elles forment une catégorie de “sans-part’’.
Le second mouvement est celui de l’ouverture. “À la mort du prince le Pouilleux, méchant, tout le monde va se libérer.” Mais cette vacance du pouvoir va muer vers l’anarchie. Elles deviendront durant ce laps de temps des “actrices à part entière dans tous les domaines, sauf en politique, qui reste le monopole des hommes. Et elles ne vont rien dire”.
Le troisième mouvement est celui de la re-fermeture après la prise de pouvoir par Sidi Akadoum et sa horde d’hommes. Ils vont imposer un nouvel ordre moral, qui va affecter les femmes. C’est un clin d’œil à l’histoire des femmes, qui assistent, impuissantes, aux pertes de leurs acquis sociaux. “Cela, pour dire que la lutte des femmes doit être incessante.”
M. OUYOUGOUTE