Culture Yasmine Brahami, entrepreneure culturelle et cofondatrice de “Elwani”

“Notre ambition est de créer un marché de l’art”

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Yasmine AZZOUZ Publié 31 Janvier 2021 à 20:24

Yasmine Brahami © D.R
Yasmine Brahami © D.R

C’est en 2019, durant la révolution du 22 Février que son chemin croise celui d’Arezki Ingrachen. Ensemble, ils ont eu l’idée de lancer une plateforme de vente d’œuvres d’arts en ligne, “Elwani”, en faisant appel à des artistes, artisans et designers de tout le pays. Respectivement diplômés en mathématiques et en physique, les deux compères veulent apporter à travers ce projet, une nouvelle vision de l’art en Algérie.Le démocratiser, donner plus de visibilité à ses créateurs, mais surtout, arriver à créer un “marché de l’art” sont les quelques objectifs de ce duo d’entrepreneurs culturels.”

Liberté : Vous venez de lancer la plateforme numérique “Elwani” dont l’objectif est d’ “Offrir et démocratiser l'accès à l’art”. Pouvez-vous revenir sur la création de cet espace et sa visée ? 

Yasmine Brahami : La plateforme numérique n’est qu’un projet dans l’ensemble de la vision “Elwani”.  En  effet, c’est une étape essentielle et moderne pour visualiser le potentiel du marché de l’art, c’est un pas vers la démocratisation de l’accès à l’art, au design et à l'artisanat d’excellence. Le site est fonctionnel, et réalise déjà des ventes, cependant, nous sommes en plein préparation du plan marketing. Ce qu'on a remarqué pendant nos recherches avant le début du projet est que l’art et sa diffusion en Algérie sont d’une certaine manière, plus centralisés dans les grandes villes et surtout Alger, de par le nombre de galeries, d’expositions et de manifestations culturelles. C’est sur cette base que nous appuyons notre stratégie commerciale et marketing. Nous voulons décentraliser la dynamique culturelle et artistique, à travers une diffusion plus large, aux quatre coins du pays.

Sur “Elwani”, nous retrouvons de la peinture, sculpture, et même du mobilier et de la maroquinerie de plusieurs artistes et artisans. Comment êtes-vous arrivés à mobiliser toutes ces forces créatrices en leur offrant un espace commun ? 

Nous avons entamé d’abord des recherches sur les modèles économiques de e-commerce occidentaux, les plus aboutis et les concepts qui réussissent, leur modèle économique se base sur un marché de niches, ce qui n’est pas le cas du marché algérien, totalement vierge. Nous avons en même temps fait beaucoup de déplacements, dans les foires, des salons, des expositions, évènements et galeries pour palper le terrain, s'imprégner du monde artistique, et prendre conscience de la réalité du terrain. Détecter les défaillances, et imaginer des solutions habiles, le tout porté par un regard neuf. Par la suite, nous avons pris contact avec tous les acteurs ; artistes, designers et artisans que nous avions croisés sur le terrain ou sur les réseaux sociaux.  Début septembre 2019, nous entamions des présentations du projet “Elwani” chaque semaine à notre siège social, en faisant participer beaucoup d’artistes, artisans et designers à cette initiative. Nous terminions à la fin de chaque présentation avec un café-débat, pour toucher au plus aux problématiques auxquels ils sont exposés. Par la suite au début du confinement (mars 2020), nous avons dû abandonner cette approche, et nous nous sommes rabattus sur un contact avec eux via les réseaux sociaux et les appels téléphoniques.  En parallèle, nous avions entamé la réalisation du site, avec notre collaborateur Mehdi Meliki, qui cumule une grande expérience dans le marketing digital international et le e-shopping. Grâce à cet outil depuis septembre 2020, on a pu présenter notre projet plus efficacement et avoir plus d'adhérents. Ils arrivent à se projeter dans ce qu’on veut faire et sont dans de meilleurs dispositions pour présenter leur travail. 

La plus-value d’“Elwani” est de promouvoir des artistes et artisans “porteurs d’identité”. Un aspect qui est mis en valeur d’emblée sur votre site…

Nous avons travaillé sur la présentation, qui est la plus neutre et minimaliste possible, pour donner toute sa puissance à l'image. 
Nous voulions aussi avoir cette signature de l’identité algérienne. Dès qu’on est sur le site on comprend qu’on a affaire à la scène artistique algérienne dans ses différentes formes, sans aucune censure ni obligation dans le travail créatif des adhérents, artistes, designers et artisans.

Votre initiative ambitionne aussi de “travailler à la modernisation de l’image et dénicher les jeunes talents”. De quelle image s’agit-il ? 

Ce que nous entendons par moderniser l’image est, tout d’abord l’image des œuvres d’art elles-mêmes. Nous avons travaillé longtemps sur l'élaboration de la charte “Elwani”, nous avons ensuite confié le travail des images du site à un jeune photographe talentueux : Kamel Arzani. La cohérence de l’imagerie du site donne un aspect moderne au travail, professionnalise le cadre de l'œuvre et lui confère une meilleure accessibilité, une donnée importante qu’on retrouve sur les plateformes de vente d’art mondiales. L’image des artistes aussi est travaillée.

En leur demandant de se mettre en avant via des portraits-photos que nous réalisons, ça leur permet par la suite d'être visibles sur le site et d’y avoir leur propre page professionnelle. Souvent les artistes n’ont que des comptes sur les réseaux sociaux et sont très difficile à dénicher si on ne sait pas où chercher. Ainsi, nous travaillons sur l'image et donc jouons un rôle direct sur le regard que portent amateurs, collectionneurs et public sur l’art algérien, les artistes et leurs travaux. 

À ce propos, comment se fait la sélection des œuvres présentes sur votre plateforme ? et comment les artistes et artisans peuvent s’y inscrire ?

Nous procédons toujours de la même façon, on contacte nous-mêmes les artistes, artisans ou designers, dont on a pris connaissance des travaux, et qui ont un potentiel certain et un impact direct sur les utilisateurs. Il suffit d’aller sur notre site, en bas de la page d’accueil, collaboration, rejoignez-nous ; un formulaire est à leur disposition pour y mettre leurs travaux, et ainsi postuler au projet. Un membre de l’équipe contacte l’artiste pour aller plus loin si leurs travaux sont sélectionnés. 

Pour ce qui est de l’achat d’œuvres d’art sur le site, comment les internautes peuvent-ils procéder ?  

Il suffit de cliquer sur l'œuvre/produit voulu, le mettre dans le panier, puis valider la commande en remplissant les informations nécessaires pour la livraison. Pour plus de détails, il faut se rendre sur notre site dans nos conditions générales de vente qui est accessible sur le footer (pied de page, Ndlr) du site.

Peut-on dire que vous participez, à votre échelle, à l’émergence d’un “marché de l’art” qui peine à voir le jour en notre pays ? 

C’est notre première ambition, et nous travaillons à la concrétiser à travers une série de solutions et de concepts qu’on est en train de mettre en place. Créer un marché d’art en Algérie qui pourra absorber les travaux et œuvres de nos artistes, et les faire vivre de leur activité.

À ce propos, pourquoi selon vous, il existe peu d’initiatives qui aideraient à la création de ce marché justement ? 

Nous ne pouvons prétendre à connaître ce monde mieux que les acteurs qui y sont déjà, nous ne sommes pas les mieux placés pour l’instant pour pouvoir produire une analyse et un avis tranchés. Cependant, en parlant avec les artistes et en les côtoyant, on a compris qu’il y avait eu d'autres initiatives avant nous qui, finalement, ont fini par disparaître. Ce que nous pouvons dire, c’est que ce projet nous a demandé beaucoup de sacrifices, de travail, d’acharnement, et beaucoup de recadrages propres aux nouvelles entreprises et concepts. Nous apprenons des choses sur le tas, c’est un challenge constant, et nous sommes satisfaits qu'après presque deux ans, et une conjoncture catastrophique (Covid-19 et confinement), nous concrétisons un des grands objectifs de “Elwani”.

Malgré cette conjoncture, les artistes algériens créent sans cesse et le talent de beaucoup d’entre eux est reconnu à l’international à défaut de l’être dans leur pays d’origine…

Ils sont non seulement connus, mais aussi très bien cotés à l’étranger. Cependant, leur visibilité y est restreinte, de par les problématiques liées à l'exportation de leurs œuvres, et ainsi de leur image et de leur travail d’artistes. Mais aussi la différence de prix s'opérant en Algérie, et plus généralement dans les pays du tiers-monde avec les prix de ces mêmes œuvres en Occident. Pour ce qui est de leur reconnaissance, il manque aussi et surtout des gens spécialisés qui les accompagnent, tels des managers artistiques, des plateformes de vente, d’espaces d’exposition, d'accompagnement tout court. En Algérie, la plupart des artistes font tout cela eux-mêmes. 

Propos recueillis par :  Yasmine Azzouz

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