Culture Paru aux éditions El Kalima

“Robert Namia, l’Homme peint, ou la vie commence à Guellala”

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Rubrique Culturelle Publié 05 Mars 2021 à 20:13

© D.R
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Par : Guy Basset 
Auteur

Le texte inédit qui est proposé date de 1975 et était resté dans les archives de Robert Namia (1912-1995). Il s’agit d’un scénario qui ne fut jamais tourné. Écrit quelques années après l’indépendance de l’Algérie et donc à la fin de la guerre, il met en scène un para et un “fellagha” (pour reprendre le terme employé), fait prisonnier pendant la guerre. 

Le récit ne comprend volontairement que peu de paroles au style direct et même indirect : voix anonyme au début : “Le voilà” (pour recueillir le fellagha prisonnier), “Non, laisse-le, on le fera parler plus tard” (p. 41), “Allez” (p. 44) et au centre du récit, le para dit au prisonnier : “Halte.” Et c’est la voix impérative du para qui indique au fellagha qu’il s’est trompé de chemin (“Non”, p. 78). Toutes les autres paroles sont soit inaudibles, soit suggérées (comme si…). 

Aux dernières pages du récit, un dialogue voudrait s’engager à l’initiative du para avec le prisonnier autour de la nourriture. Mais c’est finalement tout à fait à la fin, ouvrant un chemin d’espoir, que le fellagha prononce “en un excellent français” la phrase suivante : “Viens, frère, je vais te conduire (…)” Ayant d’abord le para en ligne de mire, Robert Namia n’emploie jamais le mot de combattant, moudjahid pour le prisonnier, mais celui de fellagha, terme utilisé en France à l’époque, c’est-à-dire terroriste à éradiquer. Le silence, le silence entre les hommes, participe à l’action. Le récit oscille entre les descriptions d’expéditions militaires violentes, des marches et des haltes dans les paysages superbement décrits du djebel kabyle et les échappées oniriques des deux personnages dans leurs souvenirs ou dans leurs fantasmes d’en finir l’un avec l’autre. Ce qu’on peut, malgré tout, qualifier d’une fuite commune de la réalité de la guerre vient, comme se conclure, dans l’affirmation (soulignée dans le texte) : ils appartiennent tous deux au même paysage. Cette situation, après des circonstances dramatiques, sécrète chez eux une joie exaltante mâtinée d’angoisse. La vie pourra ainsi, en fin de récit, commencer à Guellala et l’homme peint est à deux visages qui peuvent être opposés, ensemble mais aucunement complices...

De style parfois heurté, comportant de très nombreuses parenthèses fonctionnant souvent comme des didascalies, ce texte-témoin n’est pas toujours facile à lire sans essayer de se représenter en même temps le tournage des scènes. Les indications musicales sont rares : la musique para dans le souvenir de l’évocation d’une remise de décoration, et surtout dans les toutes dernières pages, comme un point d’orgue, une musique sur le thème libérateur de Qassamane, des youyous et un air de guitare d’Azerbaïdjan du républicain espagnol Sébastian Maroto. 

Christian Phéline dans une longue introduction restitue le texte et son esprit dans le contexte historique. Il note la parenté de ce scénario avec la nouvelle de Camus L’Hôte et avec le livre Le Désert à l’aube de Noël Favrelière (dont le récit est très proche du scénario de Namia) et de son adaptation par René Vautier dans le film Avoir vingt ans dans les Aurès.

En habitué de l’analyse de la photographie et des plans cinématographiques, Christian Phéline relève qu’une “cartographie toute affective traverse le récit en écho à la trajectoire personnelle de Namia”. Le lecteur peut, grâce aux commentaires introductifs, relever les lignes de force du scénario envisagé. Malgré les qualités reconnues, par la profession, de ce scénario, il était trop tôt sans doute pour que soit tournée cette “parabole” écrite par une personnalité engagée, tant initialement au parti communiste qu’aux côtés des républicains espagnols ou des Algériens, favorable à l’indépendance de l’Algérie, journaliste et graphiste de talent, proche d’Albert Camus. Elle est en effet écrite “à rebours de la cruauté finale de l’histoire commune à tous les natifs de ce ‘pays’”.

Il manque cependant à ce texte le mouvement réel de la caméra et la patte du metteur en scène. Mais il ne faut pas oublier dans la lecture du texte que l’écriture d’un scenario relève aussi d’un genre littéraire méconnu et, en quelque sorte, éphémère, peu souvent imprimé et restant trop souvent noyé derrière leurs adaptations cinématographiques. Ce scénario est aussi la trace d’une attache fidèle de Robert Namia à sa terre d’origine. 

Robert Namia, l’Homme peint, ou la vie commence à Guellala, présentation de Christian Phéline, El Kalima Éditions, 2020, coll. “Petits inédits mahrébins”, n°12.

 

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