Culture “Le miel et l’amertume”, de Tahar Ben Jelloun

Roman-pamphlet contre les tabous du viol

  • Placeholder

Ali BEDRICI Publié 19 Janvier 2021 à 22:55

© D.R.
© D.R.

Le dernier roman de Tahar Ben Jelloun est un témoignage qui relate le viol d’une jeune fille dans la société bourgeoise marocaine. Dans cette fiction, l’écrivain “s’empare du sujet pour dire l’insoutenable blessure que provoquent les agressions sexuelles et pour dénoncer le silence, notamment au sein des familles.” 

Dans ce nouveau roman publié le 7 janvier aux éditions Gallimard, le lauréat du prix Goncourt 1987 se penche sur le sort d’une famille marocaine (qui pourrait être n’importe quelle famille maghrébine). Mourad et Malika sont reclus dans le sous-sol de leur belle maison située au centre de Tanger. C’est là qu’ils vivent terrés pour souffrir, à l’écart, des suites de la terrible catastrophe qui a frappé leur famille. Le couple est hanté par un drame survenu au début des années 2000, sur lequel un silence de mort s'est abattu. Samia, leur fille, tient un journal intime où elle évoque une rencontre fatidique avec un “khenzir” (cochon) qui dirigeait une revue et qui lui avait proposé de publier ses poèmes, car la jeune fille était passionnée de poésie. Il l'avait invitée, puis violée... Submergée de honte, repliée sur elle-même, profondément traumatisée, Samia s'est suicidée.

En découvrant la cause du geste désespéré de leur fille, Malika et Mourad ont éprouvé un incommensurable chagrin, une douleur aiguë. Mais surtout, ils ont été accablés par le déshonneur. “Ils s'abîment dans une détestation mutuelle aussi profonde que leur chagrin. La lumière viendra d'un jeune immigré africain.” Viad, c’est son nom, “avec douceur et bienveillance, prendra soin de ce couple moribond. Il panse les plaies et ramène le souffle de la vie dans la maison”. Moralité, “le pauvre n'est pas celui qu'on croit. Et le miel peut alors venir adoucir l'amertume de ceux qui ont été floués par le destin”. Mourad a “essayé de fermer la blessure, non pas de l’effacer, mais au moins de l’éloigner de moi, de nous”.

Malika, la mère, exprime sa peine : “Le ciel s’est fendu et l’éclair est venu déchirer les draps blancs de la paisible vie.” Samia, avant son geste fatidique, avait aussi essayé de surmonter sa douleur : “J’aurais aimé crier, hurler mon désarroi et ma haine, j’aurais tant aimé avoir le courage de faire éclater le scandale et avouer à ma famille. La violence et la brutalité dont j’ai été victime ont tout cassé en moi.” Elle se demande “pourquoi mettre de l’ordre dans une petite vie saccagée, brisée et jetée aux chiens.

Mes parents, trop occupés aux chicanes, trop naïfs, ne voient pas, perçoivent trop tard l’ampleur de la tragédie et perdent pied”. Qui, dans les sociétés maghrébines conservatrices, pourrait sortir indemne d’un déshonneur et qui, dans le monde entier, pourrait se remettre d’une telle tragédie ? Dans ce roman de Tahar Benjelloun, on apprend que Samia n’a pas été la seule victime du pédophile qui utilise le même stratagème pour attirer ses proies (la promesse de les faire publier dans sa revue). De ce fait, Le miel et l’amertume devient un livre-témoignage qui dénonce les agressions sexuelles. “Tant qu’il n’y a que la littérature pour se faire entendre, alors les livres ont toute leur raison d’être”, observent des critiques littéraires.

Comme dans tous les livres qui traitent de ce thème, les faits sont plus importants que le style. “Ce sont des sortes de témoignages où la fiction s’empare du sujet pour dire l’insoutenable blessure que provoquent les agressions sexuelles et pour dénoncer le silence qui s’impose pendant des années, notamment au sein des familles.” Tahar Ben Jelloun est né à Fès en 1944. Il a obtenu le prix Goncourt en 1987 pour La nuit sacrée. Il est l'auteur aux éditions Gallimard de romans, récits et recueils de poèmes parmi lesquels Partir, Le bonheur conjugal, L'insomniaque. 

ALI BEDRICI

Tahar Ben Jelloun, Le miel et l’amertume, éditions Gallimard, 256 pages, 7 janvier 2021.

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00