L’historien Sadek Sellam, intervenant lors de cet hommage, évoquera l’érudition et les prédispositions de Mérad, liées à “ce grand équilibre entre les deux langues, d’un côté la culture arabe et la culture française” ainsi que ses travaux sur le réformisme, les premiers à adopter une approche pluridisciplinaire.
Dans le cadre de son programme en ligne durant tout l’été, l’Institut français d’Algérie a organisé une rencontre virtuelle sur le parcours et l’œuvre de Ali Mérad, diffusée dernièrement sur le site de l’IFA. Sa fille Amina Mérad-Joly, l’historien et journaliste Sadek Sellam et le modérateur Belkacem Benzenine, chercheur au CRASC, sont revenus sur le riche parcours de ce grand spécialiste de l’islam contemporain. De son enfance à Laghouat, son apprentissage entre la médersa d’Alger et l’école française, ses études en France, sa thèse sur le réformisme musulman.
Sadek Sellam évoquera la grande érudition et les prédispositions de Mérad, liées à “ce grand équilibre entre les deux langues, d’un côté la culture arabe et la culture française”. Sa famille jouera un grand rôle dans cet apprentissage en s’inscrivant dans la lignée des familles musulmanes qui prodiguaient un double cursus à leur progéniture, car “elles considéraient que les enfants pouvaient apprendre la langue de Molière à condition d’apprendre l’arabe”. À Alger, alors qu’il n’est encore qu’étudiant, son éveil au militantisme se forge aux côtés des musulmans et des chrétiens.
Avant d’être politique, son militantisme est d’abord culturel et intellectuel, lance Sellam. Il s’était distingué par son éloquence et la qualité de ses débats à La Robertsau au boulevard Mohamed V, fief des étudiants à l’époque. “C’est là où il a découvert la nécessité du dialogue islamo-chrétien, vous aviez les contentieux coloniaux, où vous aviez les musulmans qui avaient tendance à incriminer le christianisme, rendu coupable au même titre que la colonisation”, dira encore l’intervenant.
“Il avait des amis catholiques dont des Pères-Blancs. Ils étaient venus étudier l’arabe à l’université d’Alger. Un bilingue comme lui n’était pas insensible à la marque de respect de ces gens envers la langue arabe. C’est à ce moment-là qu’il est devenu ami avec le père Lelong. Les deux amis instaureront ce qui deviendra le dialogue des religions à la Robertsau, avant de l’internationaliser.”
En plus de son biculturalisme, Mérad brillera aussi par une activité parallèle : des articles écrits sous pseudonyme afin de diffuser son message réformateur aux jeunes musulmans. Pendant deux ans, il fait montre d’une grande maîtrise des deux textes fondateurs de l’islam, le Coran et les Hadiths. “Il avait la particularité de traduire lui-même les deux textes saints. On ne trouve aucune traduction citée, surtout pas celle de Blachère qui posait problème et d’autres orientalistes de l’époque.”
En 1967, il publie le livre sur le réformisme en Algérie alors qu’il n’a pas encore soutenu sa thèse. “C’est l’une des rares fois où une thèse est publiée, même recommandée par son directeur de thèse. La rapidité et la précision de son étude, alors même que les documents manquaient, en a épaté plus d’un.
À commencer par les historiens.” Plus tard, Mérad élargit son champ de recherche sur le réformisme à d’autres contrées du monde musulman, notamment l’Inde. Beaucoup de chercheurs après lui ont poursuivi son travail et ont pu relever les particularités de l’islam “réformateur” des quatre coins du monde. “Il a accompli un travail pluridisciplinaire, comme aurait pu le faire une équipe de plusieurs spécialistes. Il l’a abordé en tant qu’historien et philologue. Il s’est ouvert aux autres sciences sociales, il appelait à une «phénoménologie de l’Islah».” Ce dernier devait selon lui faire l’objet d’études scientifiques au même titre que les autres disciplines.
Yasmine AZZOUZ