Culture “Le baiser et la morsure”, une conversation avec Catherine Lalanne

Yasmina Khadra, en toute intimité

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Yasmine AZZOUZ Publié 08 Mars 2021 à 22:12

© D. R.
© D. R.

Dans “Le baiser et la morsure”, Yasmina Khadra défriche un sentier de non-dits, de blessures et de joies vieux de plus de soixante ans. Catherine Lalanne interroge l’homme, l’enfant, l’époux et le père dans ce livre-confidences où l’on découvre d’autres traits de sa personnalité.

Ce sont des aspects bien moins connus du romancier qui nous sont révélés dans ce livre-confidences publié ce mois-ci aux éditions Casbah, où Mohammed Moulessehoul et Yasmina Khadra se relaient dans un exercice quasi cathartique sur la vie, le parcours, les infortunes et les joies de l’homme et de l’écrivain. Du natif de Kenadsa dans le majestueux Sahara, nous connaissons l’écrivain à succès publié et traduit dans plus d’une centaine de pays, mais qu’en est-il de l’homme, de l’enfant arraché à son cocon maternel à l’âge de neuf ans, de l’époux, du père, de sa filiation et de sa vision de l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui ? Dans Le baiser et la morsure, il défriche un sentier de non-dits et de blessures vieux de plus de soixante ans avec Catherine Lalanne, autrice et rédactrice en chef à l’hebdomadaire Pèlerin. 
Mais d’emblée, pourquoi cette dichotomie dans le titre de l’ouvrage, celle du baiser, qui évoque douceur, amour et tendresse, et la morsure, qui renvoie à la douleur et la peine ? Parce que, sa vie durant, Khadra aura eu affaire, coup sur coup, aux petites et grandes joies de la vie, vite supplées par des peines qui ont changé le cours de son existence. “Ça a toujours été ainsi avec moi, répond-il à Lalanne. Chance et malchance font partie intégrante de ma vie. Tout comme le baiser et la morsure.” L’histoire de Yasmina Khadra, l’écrivain, et celle de Mohammed Moulessehoul, l’homme, ont de commun l’adversité à laquelle ils ont fait face ; dans le cercle littéraire, familial et militaire. Sa première vocation, celle d’écrivain, il la découvre dès son enfance dans un endroit hostile pourtant à toute création et imagination : l’École des cadets. Fasciné d’abord par la poésie arabe notamment celle d’El-Moutanabbi puis par la littérature française grâce Yvon Davis, son professeur. Quelques années plus tard, le conflit entre le militaire mal dans sa peau et l’écrivain devient intenable. En fait, tout le parcours de Mohammed Moulessehoul sera marqué par cette rupture, féconde néanmoins, puisqu’elle sera la clé de sa réussite à venir. 

Le paternel et l’épisode de l’“encasernement” 
Et puis il y a ce père, vénéré et adulé, dont la photo illustre la première de couverture du livre. Descendant de la longue lignée de poètes de Doui-Ménia dans la Saoura, il était à la fois un séducteur-né et un militaire droit dans ses bottes. Il l’arrachera de son cocon familial à l’âge de neuf ans pour l’“encaserner” à l’École des cadets, où le jeune Mohammed se sent marginalisé. Et quand le paternel daigne parfois lui rendre visite, c’est un homme sans affection aucune qui l’accueille, au loin, par un simple salut militaire. Les déchirures de Yasmina Khadra apportent peut-être des éléments de réponse à son écriture et les messages qu’il tente d’y distiller. La résilience de ses personnages trouve sa source dans le propre parcours de leur créateur. “J’ai compris très jeune que j’avais le pouvoir de transformer la déveine qui me suivait à la trace en source d’énergie, de la transcender par la littérature.” Un sentiment qui durera toute sa vie, et même après sa reconnaissance. Au sein de l’armée, on se méfie de ce scribouillard trop original, taiseux et occupé à rêvasser en cours. Dans le milieu littéraire, les rumeurs vont bon train ; est-il un espion, un prête-nom, un agent du système, utilisateur de nègres, plagiaire, antisémite… ? 

Une carrière littéraire qui a failli s’arrêter en 2001 
En France, la débâcle de 2001 aura presque mis un terme à sa carrière. Le romancier vient de sortir L’Écrivain, plébiscité par la critique. Traqué d’un côté, et renié de l’autre pour son appartenance militaire en pleine décennie noire, il devient “le transfuge, le paria, l’agent des services”. Pour “dénoncer le  mensonge”, il écrit L’Imposture des mots. Mais l’ouvrage l’isole davantage et “plus je disais la vérité sur la décennie noire algérienne, moins on me croyait”, confie-t-il. Sur le point de mettre un terme à sa carrière littéraire, il passe dans les bureaux de son éditeur Julliard pour faire ses adieux. C’est dans les moments les plus sombres que la lumière jaillit pour Khadra. Instantanément, il est saisi d’une irrépressible envie d’écrire, qui aboutira deux mois plus sur son roman L’Attentat, figurant sur les listes de sélection des Prix Goncourt, Renaudot et de l’Académie Française. Yasmina Khadra jette par ailleurs un regard sur l’avènement du Hirak et montre un homme qui portait de sombres songes pour son pays, et puis cette phrase : “Comment expliquer que mes compatriotes n’arrivent pas à s’unir pour changer les choses ?” Il donne pour causes de cette démission généralisée la corruption, les consciences “qui ont rendu l’âme” et les stratégies du régime pour “désunir les Algériens avant de les dresser les uns contre les autres”. 
Dans Le baiser et la morsure, Khadra se livre comme rarement il l’a fait. Comme un irrésistible besoin de remettre les choses au clair, il semble dire à travers cet exercice à ses lecteurs, ses détracteurs et les coups de la vie : “Je suis là, et tant que je vivrai, je ferai de l’écriture mon inépuisable réservoir contre le mensonge, la diffamation et la fatalité.” 
 

Yasmine AZZOUZ

“Le baiser et la morsure”, Yasmina Khadra entretien avec Catherine Lalanne, Casbah Éditions, mars 2021, 204 pages, 850 DA.

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