Des Gens et des Faits 80e partie et fin

“COMME UN MIROIR BRISÉ”

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Taos M’HAND Publié 16 Novembre 2021 à 09:14

Résumé : Lorsqu’ils retournent à la maison, Da Ali entre le premier. Hosni reste dans le jardin où Tarek fume une cigarette. Il parle en gesticulant. Houria et Latéfa pensent au pire. Da Ali est pâle et a le visage fermé.

-Que s’est-il passé ? Vous avez eu un accident ? Papa, tu vas bien ?
- Oui, oui, la rassure-t-il en s’asseyant près d’elle, prenant sa main. Ne t’inquiète pas !
- Pourquoi Hosni est furieux ?
- Il a toutes les raisons de l’être ! Je suis un vieil  imbécile ! Je croyais bien faire, dit-il en s’efforçant de sourire malgré les larmes qui filaient entre les rides de ses joues. Puisses-tu me pardonner un jour ? 
- Mais qu’est ce qui t’arrive ? Je n’ai rien à te pardonner ! Tu es le meilleur père au monde ! affirme-t-elle en lui sautant au cou. Tu sais combien je t’aime ! 
- Mais un jour, tu me détesteras !
- Arrête de dire des bêtises ! Jamais ça n’arrivera ! lui promet-elle. Qu’est-ce qui te laisse croire que je puisse te détester un jour ? 
- Tu me détesteras lorsque tu sauras toute la vérité !
 Da Ali retire ses bras et se lève. Il leur fait face et soupire. Houria et Latéfa échangent un regard interrogateur. Elles n’ont pas le temps de poser de questions. Hosni et Tarek les rejoignent.
- Papa, tu devrais t’asseoir, lui dit Hosni en allant s’asseoir près de sa sœur. Laisse-moi tout lui dire… Petite sœur, aujourd’hui, on a eu la confirmation qu’il y eu une grave erreur au bloc opératoire, lui apprend-il. Deux dossiers ont été mélangés…
- Comment ça “mélangés” ? Ils se sont trompés dans quoi ?
- Tu as subi l’intervention prévue pour une autre malade ! Son cas était plus grave, poursuit-il. Ton cas n’était pas aussi grave !
- Non, ce n’est pas possible ! Tu veux dire qu’ils m’ont retiré le sein par erreur ? Ils m’ont massacré la poitrine sans rien vérifier ? Comment ont-ils pu passer à côté ? 
- Personne ne sait comment c’est arrivé ! Lorsque le professeur est rentré et qu’il a revu ton dossier, le protocole opératoire l’a poussé à tout vérifier ! Il a contacté papa lorsqu’il a confirmé l’erreur… Le Dr G. n’avait pas eu le temps de regarder en détail les dossiers ! Elle a suivi à la lettre tout ce qu’il avait décidé… Elle regrette beaucoup cette erreur ! C’est l’unique qu’elle ait faite de toute sa vie ! Même si c’est impardonnable !
Lorsque Houria comprend de quoi il retourne, elle se sent mal. On lui apporte de l’eau. Elle se met à pleurer la poitrine que Latéfa a perdue. Latéfa, encore sous le choc, n’a pas de réaction, sur le coup. Hosni, qui n’a pas lâché sa main, parle de la chance qu’elle a.
- Il y a des erreurs plus graves où des malades sont amputés et, bien souvent, on entend parler d’une famille ayant perdu un proche ! Toi, tu es en vie ! Ton cas est moins grave qu’on ne le croyait ! Louanges à Dieu ! 
- Pourquoi ? Cela ne compte pas si j’ai perdu ma féminité ? Si je suis sous chimio ? Si ma vie s’est arrêtée depuis ce jour ? Hosni, je voyais la mort !
- Pour moi, tout ce qui compte, c’est qu’on puisse être ensemble, intervient Tarek, réellement soulagé. Quant à ta poitrine, dès que tu le pourras, on trouvera une bonne clinique de chirurgie esthétique et tu la referas ! Tu seras encore plus belle qu’avant ! 
Latéfa secoue la tête. Elle a mal au cœur mais fait bonne figure pour rassurer ses parents, qui pleurent et remettent tout en question. Tout comme Hosni, elle est décidée à faire payer au Dr G. cette faute professionnelle et à lui rendre la vie impossible. 
Le lendemain, ils vont voir le chef de service d’oncologie pour lui exposer le problème. Ce dernier regrette qu’il y ait eu cette erreur mais insiste pour qu’elle termine ses soins à titre préventif. Hosni dénonce ces erreurs en portant plainte. Il s’aperçoit qu’ils ne sont pas les seuls à être victimes d’erreurs médicales. La lenteur des tribunaux finit par décourager plus d’un qui tient à ce que l’erreur soit reconnue et que son auteur soit condamné. Ce qui est rarement le cas. Mais il ne lâche pas l’affaire, même si son père est convaincu que c’est une faute humaine, convaincu que le Dr G. n’a pas failli à son devoir. L’affaire est encore entre les mains de la justice.
La colère passée, l’espoir retrouvé, quelques temps après, Tarek et Latéfa se marient en petit comité, invitant leurs familles proches ainsi que Lila et Hamid qui, pour faire plaisir à sa mère mourante, s’étaient mariés avant qu’elle ne décède. Comme elle se l’était promis, Latéfa ne s’occupe plus des centres de bien-être tous les jours. Deux fois par semaine, elle fait du bénévolat, dans des associations solidaires, avec les malades et les démunis. Aïcha H. Z. de Tiaret l’a beaucoup inspirée. Elle apporte un soutien financier, régulièrement et prend en charge certaines interventions lorsque la vie du malade est en danger. La tragique erreur lui a ouvert les yeux sur l’essentiel. L’unique richesse qu’on possède est la santé. Elle est décidée de profiter de chaque instant qu’offre la vie pour faire du bien. Pour retrouver sa féminité, elle a subi plusieurs interventions douloureuses, lors de la reconstruction mammaire par prothèses. Si le résultat est satisfaisant, elle doit néanmoins patienter avant de tenter une grossesse. Sa famille, ses amis et son mari sont là pour la soutenir. Mais parfois, elle ne se reconnait pas. Elle a l’impression de se regarder dans un miroir brisé. Seules les malheureuses victimes d’erreurs médicales peuvent le ressentir, bien que debout et allant de l’avant. Malgré tout… 
Pour rappel, les prénoms, les noms des villes et des hôpitaux ont été modifiés afin de respecter leur anonymat. Seuls les faits sont véridiques. 


FIN


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