Des Gens et des Faits 36e partie

LA BOURGEOISE

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Yasmina HANANE Publié 13 Janvier 2022 à 08:45

Résumé : Au grand soulagement de Mordjana, Hasna est revenue et Aïssa cesse de la persécuter. Malgré les remontrances de son épouse, Aïssa déjeune avec les deux femmes avant de s’éclipser. Mordjana repense à ses dires. Son beau-père lui avait-il raconté la vérité sur son mariage avec Samir ? Devait-il réellement l’épouser lui-même ?

Hasna, qui était en train d’éplucher une orange, dépose son couteau et le bruit fait sursauter Mordjana. Elle relève promptement la tête et croise les yeux pétillants de sa belle-mère.

- Tu n’es pas ici, Mordjana.
- Hein ?
- Je t’ai demandé deux fois si tu voulais une orange ou autre chose, mais ton esprit était ailleurs.
- Heu… Oh ! Désolée. Je ne t’ai pas entendue. Je vais prendre une pomme.
Un jour quelqu’un lui avait révélé que les belles-mères revivent leur jeunesse à travers leurs belles-filles. C’est pour cela qu’elles rendent la vie impossible à leurs brus. Elles se vengent en quelque sorte de ce qu’on leur avait fait subir dans leur vie. Hasna était-elle de cette branche de femmes qui n’oublient jamais ? Un bruit de chaise et un soupir lui feront prendre conscience que sa belle-mère l’observait et tentait de lire dans ses pensées. Mordjana s’empresse de manger sa pomme et se lève pour débarrasser la table. Elle s’apprête à faire la vaisselle, lorsque Hasna lance d’une voix forte :
- Ne touche à rien. C’est moi qui vais faire la vaisselle. Toi, tu vas dans ta chambre.
- Heu… mais je n’ai rien à faire dans ma chambre, Yemma Hasna. Je n’ai pas l’habitude de faire la sieste. Laisse-moi t’aider à laver ces assiettes.
- J’ai dit non ! Si tu ne veux pas dormir, mets la télé, prends un livre ou mets-toi du vernis sur les ongles. Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Tu es encore une mariée toute fraîche. Je n’aimerais pas que Samir me reproche de te faire travailler comme une boniche.
N’ayant pas le choix, Mordjana se dirige vers sa chambre. Elle en a appris des choses, durant cette journée passée seule avec ses beaux-parents. Elle se dit, non sans un pincement au cœur, que Samir ne l’avait épousée que par pitié ! Elle secoue la tête comme pour la vider de ces idées. Samir est intelligent. Il a peut-être évité le pire à ses parents, mais a aussi bradé son avenir. Peut-être est-il en relation avec une jeune et jolie fille. Une fille qu’il a connue à l’université ou sur les chantiers. Peut-être qu’ils ont aussi fait des projets ensemble... Et maintenant ? Maintenant qu’elle-même est là par la force des choses, Samir va devoir tirer un trait sur son avenir et oublier tous ses projets personnels. Elle est l’intruse. Celle par qui la poisse arrive ! Elle a envie de crier son désarroi, de pleurer sa peine et de se lamenter sur son sort. Mais quelque chose bloque ses émotions. Elle sent un poids sur sa poitrine et les coups effrénés de son cœur résonner dans ses oreilles. Elle se laisse tomber sur le sofa et allume la télé, comme pour faire croire qu’elle est à l’aise dans la maison et heureuse d’être dans la famille. Elle augmente le son et tente de se concentrer sur le feuilleton qui passe. Soudain, elle sent une présence dans son dos et se retourne vivement. Aïssa se tient sur le seuil de la porte. Il a troqué ses vêtements contre une longue gandoura et porte une chéchia. En temps normal, et s’il n’était pas cet ivrogne célèbre dans la famille et dans le quartier, on le prendrait facilement pour un Hadj, qui revenait de la mosquée après la prière de la mi-journée. 
- Je savais que je te trouverais ici.
- Heu… oui. Je regarde la télé. Yemma Hasna m’a empêchée de faire la 
vaisselle.
Il rit de son rire ironique avant de lancer : Hasna fait les choses à sa manière. Elle veut démontrer que c’est elle la patronne dans cette maison. Ah ! Les femmes ! Toutes pareilles ! La jalousie leur joue souvent de mauvais tours, mais elles reviennent toujours à la charge sans comprendre les messages de la vie.
Comme Mordjana garde le silence, il vient s’asseoir auprès d’elle et lui demande :
- Et toi, comment vas-tu te conduire avec ta belle-mère ? Tu es la femme de son fils aîné. Celle que j’aurais pu épouser moi-même.
Mordjana lève une main suppliante.
- Père Aïssa, s’il te plaît, je ne veux plus entendre ça. Je ne sais pas ce qui s’est passé entre toi et mon père, mais je ne pardonnerai jamais à ce dernier de m’avoir mariée de cette manière. Je suis devenue en quelque sorte un pari entre vous. Tu es le père de mon mari. Je ne veux pas en savoir davantage. Je suis déjà assez ébranlée par ce que je viens d’apprendre.
- Et pourquoi donc ? La vérité te fait-elle mal ?
Elle hoche la tête.
- La vérité. La vérité me fait mal, car jusque-là on me l’avait cachée. Si j’avais su que Samir s’était proposé de m’épouser pour éviter un drame dans la famille, je me serais suicidée bien avant ce mariage.
- Que dis-tu là, petite folle ?
- La vérité, père Aïssa. Tu viens de me mettre au courant d’un fait que j’ignorais. Je vois plus clair maintenant dans toute cette gentillesse que Samir déploie pour me plaire. Il veut se rassurer, se dire qu’il ne fait pas fausse route. Je suis telle une balle de ping-pong échangée entre deux comparses. Le premier a gagné la partie, mais a laissé libre cours au second de disposer de sa victoire, car cette dernière allait sauver la mise. Un jeu pervers dont je suis la première victime. Mon père a voulu gagner une partie perdue à l’avance, et Samir a sauvé la face en faisant croire que je suis la femme de ses rêves. Tout le monde a donc joué et gagné. Mais moi, j’ai tout perdu.

 


à suivre

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