Des Gens et des Faits 40e partie

LA BOURGEOISE

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Yasmina HANANE Publié 17 Janvier 2022 à 14:31

Résumé : De mots en phrases, Mordjana finira par avouer à son mari qu’elle est au courant des circonstances de leur mariage. Elle a peut-être piétiné le terrain d’une autre femme qu’il convoitait et qu’il a dû repousser afin de l’épouser et d’éviter un choc à sa mère. Elle n’était alors que cette intruse qui a faussé tous les calculs. Mais Samir ne l’entendait pas de cette oreille.

Il soupire.
- Je t’ai déjà raconté l’histoire de cette prostituée qu’il a épousée en secondes noces. Il voulait la ramener vivre ici dans notre maison avec ma mère. Nous étions encore trop petits pour comprendre. Mais nous savions que quelque chose de grave se trimait. Malika pleurait sans arrêt et nous, les trois garçons, étions cloîtrés dans une chambre en faisant mine de nous intéresser uniquement à nos études. Mais les larmes de Malika et de ma mère nous renseignaient sur nos malheurs. Mon oncle Ali a été jusqu’à menacer mon père devant un parterre d’hommes sages. Il l’avait exhorté à quitter la ville et à aller vivre ailleurs avec sa nouvelle femme. Aïssa ne se le fera pas répéter deux fois. Il a quitté la maison et nous a abandonnés pour suivre sa dulcinée. Cela a duré un temps. Ma mère dépérissait de jour en jour. Elle devenait taciturne et passait ses journées à méditer sur son sort. Puis, un soir, père est revenu au bercail. Il était saoul comme à ses habitudes, mais versa les larmes de son corps pour se faire pardonner.
Il relève la tête et regarde sa femme dans les yeux.
- Je ne voulais pas que cette histoire se renouvelle.
- Tu voulais protéger ta mère et tu m’as épousée pour empêcher ton père de quitter les lieux et la famille une seconde fois.
Il secoue la tête.
- Pas exactement. Cette fois-ci je voulais te protéger, toi !
- Hein ? Mais tu ne connaissais encore rien de moi.
- Certes, mais Aïssa m’a parlé de la fille de son ami. Elle est jeune, m’a-t-il dit. Elle est instruite, mais a été retirée de l’école pour aider sa mère dans l’entretien de la maison et l’éducation des enfants. Il m’a parlé de toi un soir où il avait jugé opportun de me mettre au courant de son imminent mariage.
Mordjana retient son souffle. Samir parle d’une voix saccadée. Ses traits se sont endurcis, et ses yeux lancent des étincelles.
- Je reconnaissais là les prémices annonciatrices d’un déluge dans la famille. Ma mère venait d’être hospitalisée pour se faire opérer de la vésicule biliaire, et ce salaud n’a rien trouvé de mieux que de me parler de son pari gagné au poker.
Samir transpire de tous ses pores. Il se tourne vers Mordjana et poursuit :
- Je ne voulais pas que tu serves de dindon à une farce mal inspirée. J’ai longtemps réfléchi avant de prendre la décision de t’épouser. Ma mère ne devrait rien savoir sur les premières intentions de mon père. Et toi non plus tu ne devais rien apprendre là-dessus. Mais maintenant tu sais tout. Seulement, ne crois pas que je t’ai épousée par pitié. Je voulais, certes, t’éviter l’enfer, mais ce n’était pas de la pitié.
Mordjana déglutit avant de demander :
- C’était quoi alors ?
Il soupire et lui prend la main pour la porter à ses lèvres.
- De l’amour, ma chérie. De l’amour.
- De l’amour ?
- Oui. Je t’aime, Mordjana. Depuis que tu es là, je me sens revivre. J’ai enfin un but dans la vie. Je vis pour toi. Pour nous deux.
- Peut-être, mais avant que je ne sois là… avant notre rencontre… c’était…
- Pas de la pitié, te dis-je. Disons que je voulais devancer les événements. Ma mère avait consenti contre vents et marées à se rendre chez toi dans le Sud pour demander ta main. Lorsqu’elles sont rentrées du voyage, Malika semblait ravie. Nous nous sommes longuement concertés. Elle m’avait parlé de toi en termes élogieux. Elle t’appréciait et m’avait dévoilé que tu portais une tache disgracieuse sur la joue, mais que cela n’altérait aucunement ton charme. Elle m’avait aussi appris que tu avais fréquenté les bancs de classe. Je craignais tant que tu ne sois une illettrée vouée à l’ignorance et aux médisances. Ma sœur m’avait donc rassuré là-dessus. J’avais choisi de me sacrifier, il fallait donc aller jusqu’au bout. Cela ne m’a pas paru illogique, vois-tu ? Et, tout compte fait, je ne regrette absolument rien.
Le silence tombe soudain entre eux. Leurs pensées se sont rejointes dans une harmonie incontestable. La nuit les enveloppe de son manteau noir et l’air se rafraîchit. Mordjana se dégage de l’étreinte de son mari et passe ses mains sur ses bras nus.
- J’ai froid. Je vais enfiler un chandail et je reviens.
Elle se sauve et il la suit des yeux. Jamais de sa vie il ne s’est heurté à un tel dilemme !
Hasna suit la direction de son regard. Elle venait d’entrer dans la cuisine, et il n’avait pas entendu ses pas. Il sursaute lorsqu’elle s’adresse à lui :
- Samir, tu es déjà trop épris de cette femme.
- Maman ! Tu es là ?
- Tu vois, comme ton esprit ne réagit plus comme avant mon fils. Tu n’as même pas senti ma présence.
- Heu… non. J’étais distrait, je dois le reconnaître.
- Je l’ai très bien compris. Mordjana occupe tes pensées.
- Mère, tu devrais en être plutôt heureuse, n’est-ce pas ?
 

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