Des Gens et des Faits 78e partie

LA BOURGEOISE

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Yasmina HANANE Publié 13 Mars 2022 à 09:09

Résumé :  Mimouna promet à sa petite-fille de l’accompagner chez Lla Sakina, une ancienne matrone du village. Cependant, elle lui réitère ses conseils. Seule la patience peut venir à bout de tous les aléas. Samir l’aime, mais si elle continue de l’importuner, il ira chercher ailleurs. Ne lui a-t-il pas donné une belle preuve de cet amour en la débarrassant de sa tache de vin ?

La jeune femme hoche la tête.
- Oui. Je lui dois beaucoup. Tu me rappelles tout le temps ce passage, grand-mère. Je n’en vois plus l’utilité, puisque ma tache de vin n’est plus qu’un mauvais souvenir.
- Oui. C’est ça, Mordjana. Je vois que ton égocentrisme t’aveugle au point où tu ne vois plus le jour. Ah ! Ma fille, je crains tant pour toi. Et mes craintes se justifient de jour en jour. Tu deviens insensible. T’en rends-tu compte ?
- Moi ? Insensible ?
- Tout à fait. Ton insensibilité, tels les tentacules d’une pieuvre, commence à pénétrer dans les profondeurs de ton âme et à noyer tes sentiments. Tu ne vois plus que tes intérêts et tes préoccupations, sans regarder autour de toi, ni prendre en considération l’amour que te porte Samir. Tu exclus tout le monde de cet univers que tu t’es créé et qui finira par t’engloutir si tu continues sur ta lancée.
Dépitée par les vérités crues et sans fard de sa grand-mère, la jeune femme la regarde dans les yeux et y lit un mélange de colère et de 
compassion.
Honteuse, elle baisse la tête, mais la vieille femme lui prend la main et lui dit :
- Nous allons rendre visite à Lla Sakina et verrons ce qu’il y a lieu de faire. Je te promets de t’aider à prendre sérieusement tes préoccupations en main afin de sortir définitivement de ce gouffre dans lequel tu t’es plongée.
Mordjana passe une nuit agitée. Les paroles de sa grand-mère torturent son âme et ses pensées. Personne ne lui avait dévoilé jusque-là que sa conduite envers son entourage, en particulier envers son mari, était malsaine. Certes, elle traverse des moments délicats, mais cela ne devrait pas se répercuter sur son comportement. Hasna, sa belle-mère, lui rendait parfois la vie difficile, mais elle a appris à affronter ses colères et à gérer ses moments de détresse. Cette dernière avait souffert et payé le tribut de l’insouciance de son mari. Néanmoins, ces derniers temps, elle devenait plus souple avec elle et la consultait dans ses initiatives. Mordjana la seconde de son mieux. Elle avait remarqué toutefois que Hasna devenait distante avec elle. A-t-elle elle aussi senti son insensibilité ?
Elle a beau se tourner et se retourner dans son lit, elle ne trouve ni le sommeil ni les réponses logiques à ses questions.
“Grand-mère a raison, se dit-elle. Je dois revoir mon comportement. Je suis devenue une âme ambulante, dans un corps vide. Mon désir d’enfanter m’empêche de voir clairement la réalité des choses. Mais je vais rectifier le tir dès mon retour à la maison.”
Comme si cette promesse lui avait ouvert d’autres perspectives, ses yeux se referment enfin. On n’est pas loin de l’aube, et elle entend déjà son grand-père se lever pour la première prière  de la journée. 
Lorsqu’elle se réveille, il fait déjà grand jour. Sa grand-mère a préparé du café et est déjà en train d’étendre du linge dans la cour. Une bonne odeur de galette chaude se répand à travers la maison.
Mordjana tire une chaise pour s’attabler devant son petit-déjeuner. Elle se met à étaler du beurre sur un morceau de galette, avant de se 
verser un bol de café au lait.
- Enfin, tu te réveilles.
Mordjana sourit avant de mordre dans sa galette.
- Oui. Je n’ai pu dormir qu’aux 
premières heures du matin. Tu y vois un inconvénient à mon réveil 
tardif ?
- Moi, non. Mais la vieille Sakina pourra sortir ou recevoir d’autres gens. Nous serions alors obligées de l’attendre de longues heures. J’aurais aimé qu’on s’y rende chez elle plus tôt.
La jeune femme dépose son bol et s’essuit la bouche.
- Je vais me préparer tout de suite, grand-mère. 
La vieille dame hoche la tête.
- Oui. Et surtout prends avec toi une serviette et un flacon d’eau de Cologne si tu en as. Moi, je vais m’occuper du reste.
Mordjana fronce les sourcils.
- Je ne te suis pas. Si cette matrone doit procéder à des massages, c’est à elle de se procurer ce dont elle aura besoin.
- Certes, mais il y a tellement de gens qui viennent la voir que parfois elle en est à court. Alors soyons prévoyantes. Les serviettes, c’est pour s’essuyer après la séance, et l’eau de Cologne te servira pour te détendre et te relaxer. On transpire tant lorsqu’on se fait masser qu’à la fin on a besoin de boire et de s’asperger le visage avec quelque chose de frais.
Lorsqu’elles arrivent chez la vieille accoucheuse, elles trouvent la porte fermée et un silence pesant règne sur les lieux.
Mordjana est déçue. Mais sa grand-mère, plus optimiste, s’approche de la porte et donne plusieurs coups. Un instant plus tard, une jeune femme leur ouvre.
Après les salutations d’usage, elle leur demande la raison de leur visite, avant de leur annoncer que la vieille Sakina est un peu souffrante et qu’elles devraient revenir une autre fois.

 


à suivre

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