Des Gens et des Faits 113e partie

“LE SERMENT”

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Taos M’HAND Publié 02 Août 2021 à 17:50

Résumé : Djamila n’attendit pas son amie, pour se rendre sur l’esplanade où la petite foule criait tout en brandissant des pancartes et des photos de disparus de la décennie noire. Son regard fut attiré par un portrait un peu flou, brandi par une jeune fille. Elle la cherchait “elle”. Djamila s’était reconnue dans la photo et savait que c’était sa petite sœur. Amel la rejoignit. Djamila la lui montra. Amel n’en revenait pas. En plus de sa photo, elles se ressemblaient beaucoup. Elle la prit par le bras pour se rapprocher d’elle. 

- Qu’est-ce que vous me voulez ? 
- On veut juste te parler, cria Amel. Allons dans un lieu plus calme. 
- Non, je ne veux pas me séparer d’eux. Dites-moi ce que vous voulez.
La jeune fille était suspicieuse. Elle avait baissé la pancarte et les regardait tour à tour. 
- Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous me voulez ? Vous êtes journalistes ? Vous activez dans une association ? Quelqu’un vous envoie ? 
- Non. Tu t’appelles Lynda ?, l’interrogea Djamila. 
- Non. Pourquoi ? 
Djamila regarda son portrait et se rappelait même du jour où la photo avait été prise. C’était le jour de l’Aïd El-Fitr. Un an avant que le malheur ne vienne frapper à leur porte. Sur la photo, elle avait posé en compagnie de sa sœur. Plus tard, elle l’interrogerait.
- Alors, tu ne t’appelles pas Lynda ?
La jeune fille se mordit la lèvre et éluda la question. Amel trouvait que ce n’était pas l’endroit approprié pour discuter et tirer les choses au clair. 
- Allons dans un endroit calme, proposa-t-elle. J’habite juste à côté. Je vous invite à déjeuner. On pourra discuter. 
- Mais qu’est-ce que vous me voulez à la fin ? 
- Où est ta famille ? Tes parents ?, demanda Djamila. Tu n’es pas venue seule ? 
- Si. Mes parents sont morts depuis longtemps, répondit-elle. Qu’ils reposent en paix. Ils sont morts sans avoir revu ma sœur, sans moi. Je sais qu’un jour, on se retrouvera tous dans l’au-delà. J’espère que ma sœur n’est pas morte.
Djamila avait écarquillé les yeux, portant la main au cou avant de s’accrocher au bras de son amie. Elle vacilla. Amel et la jeune fille la retinrent de justesse. 
- Vous vous sentez mal ? 
- J’étouffe. 
- Vous n’êtes pas habitués à vous tenir au milieu de la foule, dit la jeune fille. Et puis, tous ces cris, ces photos, ça peut donner le tournis. Allons ailleurs.
Djamila resta accrochée à Amel, marchant lentement. La jeune fille les devançait et leur frayait un chemin parmi la foule. Lorsqu’elles en furent éloignées, elle proposa d’elle-même de s’asseoir à la terrasse d’un salon de thé. Elle n’attendit pas le serveur et alla lui chercher une petite bouteille d’eau. Elle l’aida à se rafraîchir puis à boire. 
- Ça va mieux ?, demanda-t-elle, inquiète. 
- Oui. 
- Pourquoi vous pleurez ? Pourquoi êtes-vous si triste ? C’est comme si vous portiez toutes les peines du monde.
Djamila haussa les épaules, la gorge nouée. Elle battit des paupières puis se cacha le visage pour pleurer. Amel la prit dans ses bras et tenta de la réconforter. Djamila sanglotait contre son épaule. 
- Mais qu’est-ce qui lui arrive ? 
- Le destin l’a éloignée de sa famille depuis longtemps, lui apprit elle. Elle vient de rentrer de l’étranger. C’est une dure matinée pour elle. Elle a appris la mort de mon père puis... 
- Puis ?
- Ses parents sont morts. 
- Ah ma pauvre ! Qu’Allah te donne courage et patience, dit la jeune fille, en prenant un siège pour s’asseoir près d’elle et lui prendre la main. Courage, poursuit-elle avant de soupirer. Je compatis, même si on ne se connaît pas. Je sais combien ça fait mal de perdre sa famille. C’est bien que tu aies une épaule sur laquelle pleurer. Moi, j’étais seule. J’avais perdu ma sœur puis mes parents. Si la sécurité militaire a retrouvé mes parents, ma sœur demeure introuvable jusqu’à aujourd’hui. À chaque fois que je le peux, je rejoins ces familles qui cherchent leurs enfants ou leurs parents portés disparus depuis des années. Je n’ai jamais perdu espoir. Même après la mort de mes parents. 

Fin 
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