Dossier Mohamed Saïd Kahoul, consultant en management

“Il faut améliorer les taux d’intérêt pour attirer l’épargne”

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Ali TITOUCHE Publié 28 Mars 2021 à 09:05

© D.R
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Mohamed Saïd Kahoul  estime que “la chute des revenus de la fiscalité pétrolière a provoqué la mise à nu d’un système financier qui fonctionne hors temps et hors champ économique.”

Liberté : Quels sont les facteurs ayant contribué à la hausse des quantités de billets et de pièces de monnaie circulant hors banques ? 

Mohamed Saïd Kahoul : Pour répondre à votre question, il y a lieu de préciser que l’origine de l’économie informelle revient au modèle économique mis en place à l’indépendance, où l’activité financière était entre les mains de banques publiques qui jouaient plutôt le rôle de caisse. L’ouverture de l’économie n’a pas été accompagnée de l’implication du système financier, soit les banques dans cette dynamique dans le but de juguler les capitaux générés par cette dernière. Elles sont restées des caisses de flux financiers. C’est ce qui explique la croissance permanente des capitaux thésaurisés. Aussi, pour être plus circoncis, il y a lieu d’énumérer les différentes sources de cette économie informelle, à savoir les économies des ménages pour des raisons comportementales ou culturelles, les rémunérations des travailleurs de l’économie formelle du privé et informelle, la fraude fiscale des opérateurs économiques formels, l’économie des activités légales, mais informelles, l’économie des activités prohibées de la contrebande et la corruption. Les grands investissements de l’État, aussi bien dans les biens de consommation que dans les biens d’équipement, ainsi que les importations des opérateurs privés et l’absence d’une monnaie scripturale développée dans le commerce sont le facteur qui a contribué le plus ces dernières années à la croissance de l’informel. 
 
La hausse de la monnaie fiduciaire circulant hors banques s’est accélérée en période de contraction de la liquidité bancaire. Y aurait-il une corrélation entre les deux phénomènes ou s’agit-il d’un sentiment de défiance vis-à-vis des banques en cette période de crise ? 

D’après moi, il n’y a aucune défiance, mais plutôt une corrélation ; c’est une économie qui a toujours fonctionné de la sorte. Le problème est donc structurel. C’est plutôt la chute des revenus de la fiscalité pétrolière qui a provoqué cette mise à nu d’un système financier qui fonctionne hors temps et hors champ économique. Entre 2006 et 2010, l’économie informelle a évolué de 21,9 à 25,7%, soit 17,35%  M2 (masse monétaire), pour finir à 2 098,5 milliards de dinars et à 8 162,8 milliards de dinars pour M2 avec un baril de 77,38 dollars à la reprise, après la crise des subprimes de 2008. Les réserves de change étaient alors de 162 milliards de dollars. En 2010, la Banque d’Algérie avait imposé un taux de réserves obligatoires aux banques de 9% et les réserves bancaires fiduciaires étaient de l’ordre de 2 500 milliards de dinars.

Le constat amer, c’est qu’en 10 ans, soit de 2010 à 2020, le taux de réserves obligatoires a été ramené de 9% à 2%, et les réserves fiduciaires ont fondu de 2 500 milliards de dinars à 612 milliards de dinars, alors que le montant thésaurisé s’est multiplié par trois pour passer de 2 098,5 à 6140 milliards de dinars en 2020, soit dix fois ce que détiennent les banques. Je pense que cette situation des indicateurs macrofinanciers fortement dégradés trouve son explication dans la chute des prix du pétrole, conjuguée à l’entrée du pays dans un handicap institutionnel où la confiance dans les institutions par les différents acteurs économiques s’est fissurée. 
 
La hausse des fonds circulant hors banques contraste avec l’engagement des banques à investir dans la captation des capitaux évoluant dans les circuits informels. Pensez-vous que les banques ne font pas assez ou que plutôt c’est l’informel qui semble prendre de l’ampleur ? 

Je ne pense pas que les banques publiques ont agi dans ce sens et je pense même qu’elles sont plutôt dans l’expectative et attendent beaucoup plus des instructions de l’Exécutif. Le gouvernement est beaucoup plus dans une situation de défense, parce que les moyens utilisés pour encourager la bancarisation des capitaux de l’informel ne peuvent être porteurs de grands résultats que dans les économies formelles où l’activité informelle est marginale. Je dirais même plus : certaines décisions ont encouragé plutôt la thésaurisation, et je cite en exemple la dépréciation annoncée du dinar sur toute l’année 2021. Non seulement cette décision encourage les détenteurs de capitaux d’aller chercher des valeurs refuges sur le marché des devises, l’or ou l’immobilier, mais elle participe aussi grandement à la dégradation du pouvoir d’achat des ménages, et donc affecte l’épargne. Les opérations de colmatage sans impact majeur et non cohérentes ont porté essentiellement sur l’élargissement de l’assiette fiscale d’une fiscalité en place déjà mal collectée, la dépréciation de la monnaie, d’où la perte de pouvoir d’achat par l’inflation, la baisse du TRO (taux des réserves obligatoires) dont une partie de l’argent libéré rejoint l’informel, la fermeture des comptes bancaires des personnes morales du Nord ouverts dans les CCP dont l’impact est marginal sur la liquidité, le lancement de produits bancaires hallal, etc. Pour cette dernière décision, l’impact risque d’être marginal étant donné que la thésaurisation a beaucoup plus une origine fiscale et légale car El-Baraka Bank n’a pas suscité un grand engouement depuis qu’elle est sur le marché.  

Quelles sont les mesures à mettre en place pour parvenir à rompre avec ces phénomènes préjudiciables pour l’économie nationale ? 

D’abord, il faut que l’État cesse de chercher des solutions dans des modèles d’économies saines parce que les effets ne seront pas les mêmes et donc les résultats non plus. Aucune solution à court terme n’est possible devant l’ampleur prise par l’économie informelle, ses interconnexions et ses passerelles qui existent entre ses différentes formes, mais aussi avec l’économie formelle, son impact dans toutes les classes sociales, mais surtout la forte détérioration de la confiance entre gouvernants et gouvernés. Certaines voix s’élèvent pour appeler au changement des billets de banque, et c’est sous-estimer la capacité de l’informel à bloquer l’économie et la consommation dans une situation déjà assez dégradée. L’informel est la nageoire dorsale de l’économie et se renforce en fonction du niveau de la fiscalité pétrolière. 

Cependant, deux solutions immédiates peuvent contribuer à donner de la visibilité. L’État doit plutôt opter pour une dévaluation du dinar par décret, comme ce fut le cas en 1994. Cela participe à lever les incertitudes des opérateurs économiques. Ce glissement, même s’il adoucit l’impact sur la dégradation du pouvoir d’achat des ménages, induit des effets beaucoup plus négatifs sur l’économie et la réaction des opérateurs qui deviennent plus réticents. 

Une deuxième solution possible dans l’immédiat pour encourager la bancarisation peut cibler l’épargne en relevant le taux d’intérêt des dépôts pour l’indexer sur la dépréciation du dinar et sur l’inflation, tout en appliquant deux autres taux inférieurs : un pour les crédits à la consommation et un autre, beaucoup plus bas, pour l’investissement nettement inférieur au taux des dépôts. La compensation des banques se fera par le Trésor sur la durée des crédits de consommation ou d’investissement. 

Un passage obligé par une décision impopulaire, soit l’amnistie, est inévitable à moyen terme, afin d’apprivoiser les capitaux thésaurisés pour éradiquer l’informel et le réduire à un niveau marginal à moyen et à long terme. Néanmoins, cela nécessite l’ouverture de vrais chantiers de la modernisation en commençant par la mise en place d’une stratégie de politique économique pour un changement de paradigme et permettre à l’État de s’affranchir de la politique des deux chaises : l’une institutionnelle et l’autre économique.

Il est question également de revoir en profondeur le système financier et fiscal en développant les moyens de paiement modernes, mais pour y arriver, il faudra commencer d’abord par développer l’infrastructure des moyens électroniques, dont le retard est immense. Il s’agit aussi de faire de la pédagogie pour la sensibilisation des acteurs et mettre en place des mesures fiscales incitatives. 

 

 

 Propos recueillis par : Ali Titouche

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