Économie BRAHIM GUENDOUZI, PROFESSEUR D’ÉCONOMIE

Brahim Guendouzi, professeur d’économie “La crise sanitaire a favorisé la thésaurisation”

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Meziane RABHI Publié 09 Septembre 2021 à 00:34

© D. R.
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Liberté : La monnaie fiduciaire en circulation a connu un trend haussier durant au moins ces trois dernières années. Quels sont, selon vous, les facteurs qui sont à l’origine de cette hausse ?
Brahim Guendouzi : La Banque centrale met régulièrement en circulation des pièces et des billets, en contrepartie d’actifs réels détenus en compte, en vue de satisfaire la demande des agents économiques (ménages et entreprises). La tendance haussière constatée, d’après les situations mensuelles publiées par la Banque d’Algérie (BA), et relative à la monnaie fiduciaire fait ressortir une évolution d’un montant de 3 314 milliards de dinars en janvier 2014, soit 27% de la masse monétaire et 21% du total du bilan de la BA, à 6 463 milliards de dinars en avril 2021, soit 36% de la masse monétaire et 45% du total bilan de la BA. Les facteurs explicatifs sont divers, mais restent caractéristiques du fonctionnement de l’économie algérienne. 
Il y a, tout d’abord, les importantes quantités de billets et de pièces de monnaie en circulation hors circuit bancaire représentant en 2020 près de 34,73% de la masse monétaire globale d’après les indicateurs monétaires de la Banque d’Algérie. Cela est dû essentiellement à la prédominance du paiement cash particulièrement dans la sphère commerciale. Il y a aussi la méfiance de la part des opérateurs économiques vis-à-vis du recours aux instruments de paiement scripturaux, comme par exemple le chèque, ainsi que la faiblesse du niveau d’utilisation des paiements électroniques. Ensuite, il y a les changements constatés dans le comportement des agents économiques à partir de 2019, particulièrement l’engouement pour la consommation au détriment de l’épargne. Enfin, un phénomène récent, depuis le début de la pandémie, celui de l’accentuation de la thésaurisation au niveau des ménages, par crainte des problèmes constatés se rapportant à la liquidité au niveau des établissements bancaires et des CCP. D’autant plus que les détenteurs des comptes courants veulent éviter des chaînes interminables à l’extérieur des agences du fait de l’application d’un protocole sanitaire anti-Covid-19. 

Quelles sont les mesures à prendre pour réduire la circulation fiduciaire ?
D’ores et déjà, deux processus s’imposent pour atténuer, un tant soit peu, la circulation fiduciaire : une plus grande bancarisation avec une densification du réseau bancaire et la généralisation des techniques de paiement électronique nécessitant au préalable un effort considérable dans la digitalisation de l’activité économique. 

La configuration actuelle de la place bancaire, qui reste dominée par six banques publiques, ne milite pas pour le succès d’un tel processus. La création de nouvelles banques, notamment de proximité, agissant dans un cadre concurrentiel, est souhaitée. Ces banques auront à faire l’effort pédagogique en termes de communication pour inciter leur clientèle à plus recourir aux technologies digitales dans les transactions commerciales et à l’accès aux services bancaires. Sur un autre plan, la collecte de l’épargne des ménages s’avère être essentielle dans la phase actuelle. Les mécanismes à mettre en œuvre pour canaliser cette épargne doivent répondre aussi à la préoccupation de rendre la monnaie fiduciaire moins attractive. D’où la nécessité de revoir la rémunération des dépôts à terme, ainsi que la diversification des produits d’épargne. Les produits de la finance islamique offrent précisément une autre finalité, mais pour un même objectif.
 
La situation mensuelle de la Banque centrale pour avril dernier fait état de la mobilisation de nouveaux financements au profit du Trésor au titre des articles 46 et 53 de l’ordonnance relative à la monnaie et au crédit. Comment analysez-vous cette situation ?
Tout d’abord, la question du financement du déficit public se pose avec acuité, et le recours au financement monétaire est, dans cette conjoncture, le plus indiqué à côté de la dépréciation de la monnaie nationale. Ces deux instruments étant les plus aisés à mettre en œuvre grâce à l’action de la Banque d’Algérie, et ce, dans une économie en récession et en présence d’une pandémie sévère dont l’évolution reste encore incertaine. Le dispositif classique consacré par la loi sur la monnaie et le crédit est justement l’article 46 qui stipule que “sur une base contractuelle, et dans la limite d’un maximum égal à 10% des recettes ordinaires de l’État constatées au cours du précédent exercice budgétaire, la Banque d’Algérie peut consentir au Trésor des découverts en compte courant dont la durée totale ne peut excéder 240 jours”. C’est ce qui ressort de la situation mensuelle du mois d’avril publiée par la Banque d’Algérie où le montant consenti au Trésor est de 635 milliards de dinars. 
En revanche, la nouveauté est dans l’application de l’article 53 de la loi sur la monnaie et le crédit qui précise les modalités de placement des fonds propres de la Banque d’Algérie. Parmi plusieurs modalités, il y a les titres émis ou garantis par l’État. Le montant consacré annoncé est de 520 milliards de dinars. Aussi, le financement monétaire sur quatre mois de l’année 2021 est de l’ordre de 1 155 milliards de dinars. Par ailleurs, le règlement n°2021-02 du 10 juin 2021 adopté par la Banque d’Algérie et portant programme spécial de refinancement, en soutien au programme de relance de l’économie nationale, est un autre mécanisme de financement monétaire d’un montant de 2 100 milliards de dinars échelonné sur douze mois. Il est vrai que la Banque centrale a le privilège de l’émission monétaire et qu’en cette conjoncture de crise économique, elle juge nécessaire d’injecter dans le circuit économique de la monnaie pour soutenir l’investissement et la consommation. 
Dans le dispositif du financement non conventionnel tel qu’il est défini par l’article 45 bis de la loi sur la monnaie et le crédit (planche à billets), c’est le Trésor qui s’adresse directement à l’institut d’émission pour le financement de ses engagements en contrepartie de titres émis.
 Contrairement à cela, le nouveau mécanisme de financement est destiné directement aux banques (opérations d’open market) en leur accordant une cession temporaire d’apport de liquidités en contrepartie d’effets que la Banque d’Algérie accepte en garantie, soit uniquement des obligations émises par le Trésor public dans le cadre du rachat des crédits syndiqués. Aussi, cette fois-ci, la Banque d’Algérie est restée dans le cadre du dispositif qu’elle met habituellement au service du système bancaire. 

Quels impacts pourraient avoir ces dispositifs de financement monétaires ? 
La mobilisation de ces mécanismes de financements monétaire sur toute l’année 2021 aura inéluctablement pour conséquence une pression inflationniste du fait justement de l’augmentation de la masse monétaire. Si ce n’est que cela, pour permettre le retour à une croissance économique vigoureuse, c’est jouable. La crainte, c’est la détérioration de la situation financière globale dans le cas où la relance économique serait retardée.
 

Propos recueillis par : M. RABHI

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