Économie Abdelmadjid Attar, ex-ministre de l’Énergie

“La bureaucratie reste un frein au partenariat ”

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Akli REZOUALI Publié 16 Septembre 2021 à 08:01

© D.R
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Expert reconnu, ex-ministre de l’Énergie, ancien P-DG de Sonatrach, Abdelmadjid Attar nous livre, dans cet entretien, une analyse objective sur la situation du secteur national de l’énergie et les défis auxquels l’Algérie est désormais confrontée pour préserver sa sécurité énergétique. Selon lui, le plan d’action du gouvernement actuellement en débat au Parlement contient déjà les grandes lignes des actions pouvant favoriser une transition énergétique efficiente. Mais, insiste-t-il, “il faut veiller à éviter les hésitations, les reports et parfois les freins qui surviennent souvent au moment de la mise en œuvre de l’action elle-même”.  S’agissant de la nouvelle loi sur les hydrocarbures, l’ex-ministre de l’Énergie estime qu’il peut aider effectivement à freiner le déclin de la production pétrolière, à condition d’améliorer le climat des affaires, en enrayant surtout la bureaucratie qui reste un véritable frein décourageant beaucoup de partenaires.

Liberté : La finalisation des textes d’application relatifs à la loi sur les hydrocarbures permettra-t-elle de stopper le déclin de la production pétrolière en Algérie ?

Abdelmadjid Attar : C’est effectivement l’objet de cette nouvelle loi, et surtout de ses textes d’application. Je rappelle que s’agissant d’une nouvelle loi, il a fallu par conséquent en rédiger tous les textes d’application qui étaient initialement de 42 décrets (dont 2 arrêtés ministériels), ainsi que 5 documents contractuels sur les modèles d’association qui, eux, ne nécessitent pas d’être approuvés par décret. 
Nous avons pu en principe réduire ce nombre à 39 textes, mais je ne sais plus ce qui s’est passé depuis février 2021, date à laquelle, 36 décrets exécutifs et un arrêté ministériel étaient finalisés, et dont 28 totalement approuvés par le secrétariat général du gouvernement, et 8 en cours d’examen à ce niveau. 
À la date d’aujourd’hui, je crois savoir que 37 décrets exécutifs et un arrêté ministériel sont déjà publiés dans le Journal officiel. Reste quelques décrets, et surtout les modèles de contrat qui sont très importants pour le processus de mise en œuvre de la nouvelle loi, qui devrait démarrer avec un appel d’offres sur de nouvelles opportunités.

Une nouvelle législation est-elle une condition suffisante pour améliorer la compétitivité du secteur énergétique national ? 

Bien que ce processus d’établissement des textes d’application ait pris quand même trop de temps, je le reconnais, et je ne jette la pierre à personne, car il ne faut pas croire que le processus est facile, il faut aussi préciser que c’est la seule loi qui a vu la presque totalité de ses textes approuvés en si peu de temps depuis 1986. Reste à savoir maintenant si cette nouvelle législation va donner de la compétitivité à notre domaine minier, car elle ne l’assurera qu’à environ 50%. Les autres conditions fondamentales correspondent d’abord aux choix des projets à offrir aux partenaires potentiels par rapport au contexte dans lequel évolue le secteur de l’énergie depuis deux ans et qui est radicalement différent par rapport au contexte des années précédentes, y compris à l’esprit avec lequel cette loi a été préparée (2017-2019), dans la mesure où personne ne s’attendait à autant d’impacts de la pandémie de Covid-19. L’autre condition relève du climat des affaires, en général, et pas seulement du secteur de l’énergie. 
Tous les autres secteurs étatiques sont concernés, y compris au niveau local, et je précise qu’il s’agit de la bureaucratie qui, croyez-moi, est un véritable frein qui risque de décourager beaucoup de partenaires. Il appartient aussi au secteur de l’énergie, et plus particulièrement aux Agences des hydrocarbures, et à Sonatrach de faire preuve de présence, d’autorité, de répondant et de facilitation dans les futurs partenariats. Toutes les compagnies pétrolières sont en train de changer leurs stratégies, souvent avec des prévisions d’investissement plus faibles dont il faut tenir compte.    

Quelles actions urgentes faudrait-il favoriser pour préserver la sécurité énergétique du pays à moyen et long termes ?

C’est un défi majeur de notre pays, mais je ne pense pas que c’est seulement et probablement pas du tout à travers une nouvelle loi sur les hydrocarbures que ce défi sera relevé. Il ne faut pas croire que cette sécurité énergétique dépend de sa source seulement, c’est-à-dire les hydrocarbures, et cela même si dans le futur, on mettra en exploitation les fameux hydrocarbures non conventionnels - un sujet qui fâche bien sûr beaucoup -, mais je suis persuadé qu’on aura recours à cette ressource un jour ou l’autre. On aura peut-être l’occasion d’en parler plus tard dans le détail. 
La première réponse à laquelle beaucoup pensent tout “bêtement” est la suivante : l’Algérie dispose aujourd’hui d’environ 4 200 millions de tonne-équivalent pétrole (4,2 Mtep) en réserves prouvées récupérables de pétrole, gaz, condensat et GPL. Nous produisons en moyenne 180 Mtep par an, dont 30 pour les besoins des champs (autoconsommation, cyclage, etc.) 
et 50 pour la consommation interne. Ce qui signifie aussi “bêtement et avec beaucoup d’optimisme” que nous en avons pour environ 25 ans. Mais on oublie dans ce cas que les réserves sont en déclin depuis 2007, et que la production déclinera beaucoup plus rapidement à compter de 2025 pour des raisons techniques évidentes. 
Ce qui entraînera, certes, une durée de vie des gisements beaucoup plus longue que 25 ans, mais une production beaucoup plus faible qui mettra en danger d’abord la rente pétrolière au-delà de 2025, puis les besoins intérieurs en matière d’énergie à compter de 2030 ou, au plus tard, 2035.

Alors, permettez-moi de vous dire que le problème primordial est celui de la transition économique pour se débarrasser de la dépendance de la rente et préserver une partie des réserves pour accompagner la transition énergétique au-delà de 2030. Mais ce n’est pas tout, car la sécurité énergétique est aussi l’affaire du secteur de l’électricité et de la distribution du gaz naturel qui évolue sous une pression de demande de production d’énergie, et non une orientation ou une obligation de mutation de ces activités au même titre que ce qui se passe à travers le monde, aussi bien au point de vue technologique que managérial. Je prends juste, à titre d’exemple, la loi sur l’électricité, qui date de 2002, dont les propres décrets d’application ne sont, pour la plupart, pas établis à ce jour, alors qu’elle est déjà complètement obsolète. D’où la nécessité d’une nouvelle loi sur l’électricité et la transition énergétique. On doit absolument et le plus vite possible réduire les investissements dans la consommation d’hydrocarbures comme source d’énergie, et les augmenter sur d’autres sources d’énergie et filières, qui, de surcroît, sont créateurs de richesses et d’emplois durables. Il y a donc intérêt à agir en urgence pour rattraper le temps perdu en matière de mise en œuvre des trois actions fondamentales. D’abord, en matière d’accélération du programme des énergies renouvelables qui n’a enregistré aucun progrès depuis 2011, date à laquelle le programme affiché à l’horizon 2030 était de 22 000 MW - ENR. L’autre volet concerne les politiques d’économie d’énergie qui nécessitent des actions précises dans les activités énergivores (régulation et incitations). Il y a aussi la politique des prix de l’énergie et de sa subvention, un sujet qui fâche peut-être, mais il est important, et il va falloir en discuter le plus rapidement possible. C’est tout cela le modèle de consommation d’énergie à mettre en place, qui implique beaucoup de secteurs en dehors de celui de l’énergie, à travers une parfaite coordination.

Les actions projetées à travers le plan d’action du gouvernement s’inscrivent-elles dans le sens d’une sécurité énergétique plus durable ? 

Le plan d’action du gouvernement actuellement en débat contient déjà les grandes lignes de ces actions avec, entre autres, une volonté bien soulignée concernant le programme de 15 000 MW - ENR à l’horizon 2035. Mais comme toujours les hésitations, les reports et, parfois, les freins surviennent au moment de la mise en œuvre de l’action elle-même. Aussi, faudra-t-il faire en sorte que cela change à l’avenir. Tout le secret est là, et la plupart des experts n’arrêtent pas de le dire depuis plus d’une décennie.  

Quelle stratégie devrait privilégier l’Algérie face à la forte concurrence et aux grandes mutations que connaît actuellement le marché gazier mondial ?

Le marché gazier n’est plus celui des années 80, 90 et même des deux dernières décennies. Il a beaucoup évolué en fonction de nouveaux paramètres liés non seulement à la disponibilité de réserves importantes et une demande en croissance, mais aussi en fonction d’une nouvelle répartition géographique des réserves mondiales avec l’avènement du gaz de schiste en Amérique du Nord et de nouveaux producteurs. Il y a eu aussi une progression très rapide de la place du GNL dans les échanges ; ce qui a entraîné une profonde modification des contrats, des prix et, plus particulièrement, le recul vers des prix spot souvent non indexés sur le pétrole. Les grands réseaux de gazoducs ont réussi à ce jour à maintenir un certain équilibre minimal dans les échanges, mais le paramètre géopolitique en matière de transit est, lui aussi, en train de perturber ces 
échanges ; ce qui amène les producteurs à faire preuve de plus de réactivité sur les marchés. Sur un autre plan, les politiques de transition énergétique des gros consommateurs sont aussi en train d’avoir un impact sur le marché gazier et les échanges, mais une chose est sûre, le gaz a encore de beaux jours devant lui parce qu’il est le parfait allié des énergies renouvelables pour de nombreuses décennies encore. Il est vrai que nos réserves conventionnelles prouvées ne sont pas énormes avec environ 2 300 milliards de m3 prouvés, mais il faut aussi compter sur celles du gaz non conventionnel qui sont énormes (22 000 milliards de m3). Elles ne sont peut-être pas toutes exploitables dans les conditions financières et environnementales actuelles, mais pas pour longtemps, grâce aux progrès technologiques et aux besoins incompressibles, tant sur le plan intérieur qu’extérieur sur le marché international. L’Algérie a parfaitement bien géré ses réserves, sa production et son marché essentiellement européen, de façon fiable, grâce à une stratégie collaboratrice durant plusieurs décennies. Mais ce n’est plus suffisant de nos jours, et elle est maintenant tenue de changer de stratégie et de s’adapter au contexte local, régional et mondial. Même si l’essentiel n’est pas dans la possession de grosses réserves ou de capacités de production et de transport, l’Algérie fait face à une demande intérieure en forte croissance qui va l’obliger à bien gérer cet équilibre pour fidéliser ses partenaires. Notre marché traditionnel est le sud de l’Europe ou la rive nord de la Méditerranée qu’il faut absolument préserver. Nous en avons les moyens et les capacités techniques, mais il faut en plus de la vision à moyen et long termes des capacités pour rebondir face à n’importe quelle situation. À titre d’exemple, je cite le GNL dont les échanges et le marché évoluent de façon très rapide. Il deviendra très prochainement un carburant essentiel dans le transport maritime. Nous sommes des leaders dans le GNL en Méditerranée. Que faisons-nous actuellement pour le dominer, alors que des compétiteurs sont déjà en train de s’installer ?     
       
Dans quelle mesure les secteurs minier et pétrochimique pourront-ils aider à atténuer la dépendance du pays au pétrole et au gaz ?

Ce sont certainement deux activités qui pourront à l’avenir atténuer cette dépendance, mais il ne faut pas perdre de vue qu’elles nécessitent des investissements très importants, des dizaines de milliards de dollars, dont nous ne disposons pas hélas. D’où, d’une part, la nécessité de faire appel au partenariat pour des raisons aussi bien technologiques que financières et, d’autre part, mettre en œuvre en aval une stratégie de valorisation maximale de la production minière et pétrochimique parce que c’est cette valorisation qui créera le plus de plus-value et d’emplois durables, tout en réduisant aussi certaines importations. Mais encore une fois, je n’invente rien en disant cela, car c’est un discours que vous trouverez dans toutes les archives des dernières décennies, et le problème est bien sûr dans la rapidité de mise en œuvre des projets et des décisions. C’est ce qui a fait le plus de tort et de retard en matière de pétrochimie par exemple au niveau de Sonatrach.  

Comment analysez-vous la situation actuelle et les évolutions à court terme du marché pétrolier mondial ?

Il est vraiment difficile de faire des prévisions à ce sujet aussi bien à court qu’à moyen termes, parce que le marché n’est plus commandé par les mêmes paramètres ou fondamentaux d’avant-2014, périodes au cours desquelles, l’offre, la demande, la compétition, la spéculation avaient un impact prépondérant. 
Il ne risque pas d’y avoir de grosses modifications sur le marché pétrolier à court terme pour deux raisons : une demande liée principalement aux impacts de la pandémie depuis deux ans avec quelques hauts et quelques bas en fonction d’une reprise économique et de la consommation, mais une consommation qui est beaucoup plus faible qu’auparavant. Les vagues de la pandémie se succèdent avec leurs bonnes et mauvaises nouvelles sans vision, y compris sur le court terme. La deuxième raison est le succès de la cohésion au sein de l’Opep+ depuis avril 2020 qui, malgré quelques couacs, a permis la maîtrise du niveau de leur offre sur le marché et, par conséquent,  une certaine stabilité du marché avec une évolution raisonnable du prix qui est celui d’un équilibre accepté par la plupart des producteurs, même s’il reste bas si l’on tient compte du taux de change du dollar qui a beaucoup chuté depuis 2014. Il y a, évidemment, d’autres paramètres qui finiront par avoir un impact sur les prix et les pousser. Aussi bien vers la baisse en post pandémie, comme la surproduction de certains acteurs pétro-dépendants, le retour de puissants producteurs comme l’Iran ou l’Irak, le retour du pétrole de schiste aussi bien en Amérique du Nord qu’à partir d’autres régions du monde, sans compter les impacts définitifs de la pandémie qui ont permis des progrès importants dans les énergies renouvelables ou nouvelles et les économies d’énergie. Ou aussi une hausse toujours en post-pandémie, mais pour une courte durée probablement, à cause des retards et des reports des investissements en matière de développement de nouvelles réserves. Dans ce cas précis, je pense que le grand gagnant sera le gaz naturel qui s’imposera sur les prochaines décennies avec les énergies nouvelles ou renouvelables. 

À quels niveaux de prix du pétrole faudrait-il s’attendre à court terme ?  

Je ne vous ai pas donné de chiffres, parce que ce n’est pas cela le plus important pour le moment, mais c’est la tendance qui compte et maintiendra le prix d’équilibre actuel autour de 70 dollars le baril jusqu’à fin 2021, avec juste quelques dollars de plus en 2022 si la situation sanitaire s’améliore, car selon la plupart des analystes, il est peu probable qu’il y ait une véritable reprise économique avant 2023.

 

 

Entretien réalisé par : Akli Rezouali

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