Économie MOULOUD HEDIR, ÉCONOMISTE ET SPÉCIALISTE EN POLITIQUES COMMERCIALES

“LA RELANCE PASSE PAR UN NOUVEAU PARADIGME ÉCONOMIQUE”

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Meziane RABHI Publié 27 Avril 2021 à 22:34

© D. R.
© D. R.

Pour  l’expert, “ le  manque  de  lisibilité  de  l’action  économique  du gouvernement est la contrepartie logique et inévitable du blocage de plus en plus visible de la situation politique de notre pays.” Il estime aussi que “sans un nouveau paradigme économique, vouloir faire de la relance, ce serait comme injecter du liquide dans un tonneau percé ; cela ne mènera nulle part.” Mouloud Hedir ne manque pas  de souligner, par ailleurs, que “la consécration de la finance islamique  dans  le  droit  bancaire  fut une erreur.”

Liberté :  L’économie  tourne au ralenti, la  dépense  d’équipement public est sévèrement réduite, alors que l’investissement productif est presque totalement à l’arrêt. En face, aucun plan de sortie de crise ne semble se dessiner. L’action du gouvernement manque de lisibilité. Comment expliquez-vous cette situation ?   
Mouloud Hedir :   La  situation  de  l’économie  nationale  est  très sérieusement dégradée. Cette dégradation est la résultante de trois chocs  successifs vécus au cours des dernières années :  le premier  remonte à 2014, avec  la  chute brutale des prix pétroliers sur le marché international, laquelle a engendré un double déséquilibre structurel qui perdure encore à ce jour, celui du compte du Trésor public et celui de la balance des paiements ; le second choc est lié aux effets dévastateurs du recours massif à la création monétaire, à hauteur de 6 550 milliards de dinars, déboursés et consommés sans avoir entamé aucune des réformes requises pour remettre à flot une  organisation  économique totalement défaillante ; enfin, le troisième choc est  celui  provoqué  par le gel de  l’activité  économique  imposé  par  la  pandémie  de  Covid-19.

Logiquement, on aurait dû s’attendre à un plan de relance avec un financement conséquent, à l’image de ce qui est fait dans de très nombreux pays à travers le monde, mais le gouvernement est pétrifié : d’un côté, il hésite à s’endetter davantage auprès de la Banque centrale, par crainte tout à fait justifiée de déclencher un processus inflationniste qu’il ne pourra pas contrôler.

D’un autre côté, l’agenda des réformes économiques qui est devant lui est porteur de menaces de tensions sociales auxquelles il ne peut faire face, faute d’un travail préalable de réflexion sur la cohérence des tâches à mener à bien, faute aussi du nécessaire consensus politique pour garantir leur mise en œuvre efficace sur le terrain.

Au total, on peut dire que le manque de lisibilité de l’action économique du gouvernement est la contrepartie logique et inévitable du blocage de plus en plus visible de la situation politique de notre pays. 

L’état des finances publiques n’est plus soutenable. Selon le FMI, il faudrait un cours du Brent à 169 dollars le baril pour que l’Algérie rééquilibre son budget. Quelle est la marge de manœuvre du gouvernement ? Où trouver les ressources pour financer un plan de relance ? 
En soi déjà, cette idée qui consiste à mesurer le prix du baril nécessaire pour équilibrer nos comptes publics procède d’un raisonnement infantilisant et dangereux qu’il faudrait bannir de notre culture économique. Le monde ne nous attend pas, il n’est pas là pour fixer un prix du baril qui convienne au confort de nos élites politiques ou à l’équilibre de nos comptes publics.

Plus généralement, nous n’avons pas à considérer ce que dit de nous le FMI. Nous n’avons pas, comme dans les années 1990, le poids d’une lourde dette extérieure sur les épaules. Et nous avons suffisamment de compétences aussi bien en interne que dans notre diaspora pour comprendre que l’état actuel de nos finances publiques est insoutenable et pour définir les préconisations nécessaires pour en sortir. Il suffit de les écouter sérieusement. Il est vrai que, comme toujours en pareil cas, les solutions seront dures à entendre parce qu’elles supposent des révisions déchirantes.

À titre d’exemple, l’idée que l’Algérie est un État social, qui se soucie du bien-être des couches les plus défavorisées, relève plus du discours fantasmé que de la réalité concrète. Aujourd’hui, la voie à suivre est claire et toute tracée, pas seulement au regard des experts, mais y compris aux yeux de la population : il faudra commencer avant tout par mettre les vrais chiffres sur la table, ne plus se nourrir d’illusions, retrousser ses manches, économiser chaque sou, se remettre rapidement à la tâche et réapprendre le chemin de l’effort et du travail bien fait. La rente pétrolière est en voie d’assèchement ; elle ne pourra plus couvrir longtemps encore nos gabegies et nos gaspillages.

Le peu d’argent qui nous reste devra être réorienté en priorité vers l’investissement productif et la création de valeur ajoutée. Une fois ces postulats de base posés clairement et admis par tous, les voies du financement de la relance économique s’éclaireront d’elles-mêmes. Sans un nouveau paradigme économique, vouloir faire de la relance, ce serait comme injecter du liquide dans un tonneau percé ; cela ne mènera nulle part. 

Le gouvernement semble s’appuyer sur la finance islamique pour drainer la masse monétaire circulant en dehors du circuit bancaire. Qu’en pensez-vous ?   
Ce fut une erreur d’avoir consacré la notion de finance islamique dans notre droit bancaire, comme si la finance classique était illicite  d’un  point de vue religieux, ce qui est totalement faux.Les pays voisins de la région se sont bien gardés de tomber dans ce piège. Cela dit, s’il existe une demande spécifique pour des produits bancaires sans passage par  un  taux  d’intérêt, le problème de la masse monétaire qui fuit  le  circuit  bancaire  officiel renvoie à d’autres problématiques.

Rappelons que notre pays a été un des tout premiers en 1991 à mettre sur pied de tels produits bancaires et, à l’évidence, cela n’a pas révolutionné la collecte de l’épargne informelle. Si celle-ci fuit les circuits officiels, c’est pour d’autres raisons objectives, par ailleurs clairement  répertoriées  et  depuis longtemps : pas de concurrence entre banques ; faible dissémination des réseaux d’agences ; lacunes béantes du système de paiement ; inconsistance du taux de rémunération des dépôts ; système fiscal anachronique, etc. Par-dessus tout, regardons la réalité en face : voila près de vingt ans que tous les gouvernements successifs, sans exception, s’engagent dans leur programme à réformer le système bancaire et financier, mais force est de constater que rien ne bouge vraiment sur le terrain.

Il est donc temps  d’arrêter  de  parler  dans  le vide et, pour une fois, de se mettre sérieusement et efficacement au travail. Ce ne sont ni les discours ni les décrets qui amèneront le progrès dans notre pays.

Vous  avez  interpelé  le  P-DG de Madar sur  l’explosion de la  facture d’importation de tabacs. Le gouvernement  a  examiné récemment un projet de décret portant réglementation des activités de fabrication et d’importation de produits tabagiques. Ce secteur est-il bien régulé ? 
Je n’ai pas connaissance du contenu exact des amendements qui vont être apportés à la réglementation en place, mais il faut relever que les dispositions du décret de 2004 qui régulait jusqu’ici le marché national du tabac sont, à la base, un pur scandale. Tenez vous bien, la SNTA, entreprise publique d’État, ne pouvait pas investir dans son propre pays et dans son propre secteur d’activité sans demander l’autorisation préalable des Émiratis et de Philip Morris International. Pour le reste, je réitère ma demande à M. Amara, le patron de la FAF, qui est toujours président de Madar.

Du fait de ses responsabilités, il  est  la personne  la  mieux  qualifiée pour répondre à cette question toute simple : comment  se  fait-il  que  la facture annuelle moyenne des importations algériennes de tabacs soit  passée de 29,8 millions de dollars, entre 2001 et 2004, à 301,0 millions de dollars entre 2011 et 2019 ? La question s’adresse, par  ailleurs, à  toutes les institutions nationales qui, à un titre ou  à  un  autre, détiennent une  parcelle d’autorité publique sur ce sujet.

 

Propos recueillis par : MEZIANE RABHI

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