Économie Farouk Nemouchi, économiste et analyste financier

“Le gouvernement devra puiser dans les réserves de changes ou recourir à l’endettement”

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Ali TITOUCHE Publié 20 Octobre 2021 à 10:30

© D.R
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Liberté : Les dépenses publiques au titre du prochain exercice augmentent fortement par rapport à celles inscrites dans la loi de finances de cette année. Comment interprétez-vous les choix budgétaires du gouvernement ?

Farouk Nemouchi : D’un point de vue comptable, la loi de finances retrace les dépenses et les recettes de l'État pour l'année à venir, ainsi que l’équilibre budgétaire qui en résulte. D’un point de vue économique, la loi de finances est censée s’inscrire dans une démarche qui établit des prévisions macroéconomiques, telles que la croissance du PIB, le niveau de l’emploi, la stabilité des prix. Le talon d’Achille de l’avant-projet de loi de finances 2022 est l’absence d’une vision qui présente une information chiffrée permettant de mesurer l’incidence macroéconomique de la politique budgétaire. En matière de choix budgétaires, le gouvernement reste sur la même trajectoire que par le passé et peine à s’inscrire dans une démarche qui fait de la loi de finances un instrument au service de la croissance économique. Les prévisions pour l’exercice 2022 font apparaître des dépenses très élevées générant un déficit budgétaire de -4 174 milliards de dinars. Toute la question est de savoir si un tel déficit est susceptible d’augmenter le PIB, et donc, les recettes fiscales.

Quelle est la marge de manœuvre dont dispose le gouvernement pour financer ce déficit ?

L’Algérie est dans une impasse financière qui s’explique en premier lieu par une incapacité à élargir l’assiette fiscale déterminée par l’augmentation de la production des biens et services. En misant exclusivement sur l’argent du pétrole et du gaz depuis des lustres, les gouvernants ont tué l’impôt, bloqué la promotion d’une intermédiation bancaire active et entravé le développement d’un marché boursier. Ils ont perdu de vue la nécessité de diversifier les sources de financement pour faire face au tarissement des revenus des hydrocarbures. Ils ont déterré une pratique monétaire d’un autre âge, la planche à billets, pour l’utiliser comme palliatif à la crise financière. Dans le cadre du projet de loi de finances 2022, le gouvernement envisage de lancer un emprunt obligataire, alors que cette expérience initiée en 2012 a été un fiasco. L’expérience de l’emprunt émis par l’État a montré les limites de ce mode de financement à cause, notamment, du peu d’intérêt accordé par les investisseurs. Dans le contexte actuel marqué par une crise de liquidité et la baisse de l’épargne des agents à capacité de financement, il y a de quoi émettre de sérieux doutes sur l’aboutissement de cette opération. Face à cette impasse financière, le gouvernement n’a plus d’autre choix que de faire appel à la Banque d’Algérie pour financer les besoins du Trésor en créant de la monnaie avec toutes les conséquences désastreuses que cela provoque sur les équilibres économiques. La gestion chaotique de la dépense publique au cours des 20 dernières années rend plus que nécessaire l’établissement de règles budgétaires pour atténuer les effets dus à l’instabilité du marché pétrolier, surtout lorsqu’on sait que le taux de couverture des dépenses de fonctionnement par la fiscalité pétrolière en 2022 est de 33%. Ces règles consistent à plafonner ce taux et à interdire le financement des dépenses de fonctionnement par la création de monnaie.

Le gouvernement fait montre d’une volonté d’améliorer le pouvoir d’achat des Algériens, non sans relancer la fameuse réforme des subventions. Y aurait-il un juste milieu possible entre les deux impératifs ?

Le gouvernement s’apprête à revoir le système de subvention des produits de base sous prétexte que cette politique est la cause d’un déficit budgétaire qui évolue d’année en année. Selon L’APLF 2022, les ressources budgétaires consacrées aux subventions des produits de première nécessité ont atteint 3 250 milliards de dinars sur la période 2012-2017. Les subventions des produits énergétiques et de nature fiscale représentent 80% de ce montant, alors que 20%, soit 650 milliards de dinars, financent le soutien des prix des produits alimentaires et aux logements. Cette répartition révèle que contrairement à une idée largement répandue, cet effort financier ne profite pas aux catégories sociales à faible pouvoir d’achat et aux démunis. En effet, il y a lieu de faire la distinction entre les subventions qui protègent le pouvoir d’achat des travailleurs et des retraités, et ceux qui en ont profité pour amasser des fortunes. C’est une démarche inique que de chercher à faire supporter le poids à ceux qui contribuent le plus au budget de l’État sous la forme de l’impôt sur le revenu global, alors que les avantages fiscaux, financiers et autres privilèges ont bénéficié à ceux qui n’ont pas réagi favorablement en produisant plus et en contribuant au budget de l’État. Certains lobbys exerçant dans un cadre légal recyclent une partie importante de leurs revenus dans l’économie informelle, qui représente un énorme gisement fiscal. Si l’on veut éviter l’aggravation de la fracture sociale, la politique de subvention des prix doit préserver à tout prix le pouvoir d’achat des couches sociales défavorisées et de la classe moyenne.

Faut-il s’attendre à un retour à l’équilibre de la balance des paiements et à une tendance à la stabilisation du solde des réserves de changes ?

Il faut, au préalable, préciser que lorsque le déficit budgétaire ne crée pas de richesses, il alimente le déficit de la balance des paiements. Si le déficit budgétaire est financé par de la création monétaire, il en résulte une inflation et, par conséquent, une baisse de la compétitivité de l’économie nationale. Cela se traduit par un emballement des importations et une compression des réserves de changes. Les responsables du pays prévoient un solde positif de la balance commerciale à fin 2021 induit par une embellie sur le marché des hydrocarbures et une forte diminution des importations. Si cette performance venait à se réaliser, cela ne signifierait pas du tout que nous allons retourner à un équilibre de la balance de paiement et éviter le recours aux réserves de changes. L’indicateur le plus significatif de la balance de paiement est le solde des transactions courantes, et sachant que ce dernier est fortement dégradé, le gouvernement devra puiser dans les réserves de changes ou recourir à l’endettement extérieur.

 

 

Propos recueillis par : Ali T.

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