Économie BRAHIM GUENDOUZI, PROFESSEUR D’ÉCONOMIE

“UNE PRESSION INFLATIONNISTE VA CERTAINEMENT SE MANIFESTER”

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Youcef SALAMI Publié 05 Juillet 2021 à 22:22

© D. R.
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Liberté : La Banque d’Algérie vient d’établir  un  programme  spécial de refinancement  monétaire  de  2 100  milliards  de  dinars,  destiné  à  la relance économique.  S’agit-il  d’une  réactivation  de la planche à billets ?  
Brahim Guendouzi : Les indicateurs représentatifs de la situation socio-économique actuelle de l’Algérie font ressortir une contrainte majeure qui est celle du financement. Le poids des déficits accumulés au niveau des finances publiques et par rapport à la balance des paiements, ainsi que le niveau élevé atteint par la dette interne du Trésor (près de 60% du PIB), pèsent lourdement sur le fonctionnement global du système monétaire et financier. Il est, alors, essentiel d’appréhender toutes les sources de financement et d’en mesurer les effets sur le retour de la croissance économique et l’emploi. Pour le moment, deux mécanismes sont privilégiés, la modification du taux de change et le retour au financement monétaire, qui sont du seul ressort de la Banque d’Algérie. Le cours du dinar a été ajusté par la Banque d’Algérie en réaction à la détérioration des équilibres financiers du pays tant internes qu’externes. L’ajustement du taux de change permet justement d’agir aussi bien sur la hausse du niveau des recettes budgétaires grâce à la fiscalité pétrolière ainsi que la fiscalité douanière, mais aussi sur la baisse du niveau des importations, en rendant les produits et services importés plus chers. Le nouveau règlement n°2021-02 du 10 juin 2021 adopté par la Banque d’Algérie et portant programme spécial de refinancement en soutien au programme de relance de l’économie nationale, consiste en un mécanisme de financement monétaire d’un montant de 2 100 milliards de dinars échelonné sur douze mois. 
La Banque centrale a le privilège de l’émission monétaire et qu’en cette conjoncture caractérisée par la récession, elle juge nécessaire d’injecter dans le circuit économique de la monnaie pour soutenir l’investissement. La différence avec le dispositif de financement non conventionnel (planche à billets) est que le Trésor s’adresse directement à l’institut d’émission pour le financement de ses engagements en contrepartie de titres émis.

Pourquoi la Banque centrale a privilégié une opération de cession temporaire destinée à fournir des liquidités ? 
Le nouveau mécanisme de financement est destiné essentiellement aux banques (opérations d’open market) en leur accordant une cession temporaire d’apport de liquidités en contrepartie d’effets que la Banque d’Algérie accepte en garantie, soit uniquement des obligations émises par le Trésor public dans le cadre du rachat des crédits syndiqués. Ces derniers relèvent des établissements bancaires qui financent d’importants projets nécessitant des montants élevés qu’une banque toute seule ne peut offrir.
La syndication des crédits paraît alors la formule adéquate pour fournir des crédits importants aux grandes entreprises dans le cadre de leurs investissements, et aux banques participant au syndicat de minimiser le risque. Aussi, cette fois-ci, la Banque d’Algérie est restée dans le cadre du dispositif qu’elle met habituellement au service du système bancaire. De cette façon, elle va créer de la monnaie qu’elle transférera aux banques qui, à leur tour, pourront continuer à financer les investissements d’envergure susceptible d’être lancés dans le cadre du programme de relance économique 2021-2024. Il y a lieu de préciser que dans sa politique monétaire, la Banque d’Algérie considère les opérations principales de refinancement comme essentielles dans le pilotage du taux d’intérêt (taux d’intérêt directeur fixé et publié régulièrement, actuellement il est à 3% et il pourra être revu à la baisse) et la gestion de la liquidité bancaire qui a également baissée ces derniers mois. 

Quelles sont les perspectives d’évolution de la situation économique du pays ?
La crise de liquidités, la faiblesse de la bancarisation, l’amplification du phénomène de la thésaurisation, l’importante masse monétaire qui circule en dehors des circuits bancaires, le niveau élevé de créances non performantes détenues par les banques publiques et qui limitent l’octroi de crédits supplémentaires…, font que la marge de manœuvre des pouvoirs publics soit limitée pour faire sortir tout d’abord l’économie du pays de la récession occasionnée par les retombées de la pandémie.
La réforme du système financier et monétaire devient alors une urgence en même temps que celle du système fiscal. Durant les semaines à venir, l’accent sera mis sur le financement monétaire conjugué à la dépréciation du dinar, une pression inflationniste va certainement se manifester probablement vers la fin de l’année courante. Les pouvoirs publics vont alors être placés devant le dilemme suivant : maîtriser l’évolution des prix pour éviter la détérioration des équilibres macroéconomiques ou bien continuer à soutenir l’investissement pour créer plus d’emplois ! Enfin, il est nécessaire de se pencher sérieusement sur la question de l’attractivité de l’économie nationale pour attirer les investissements directs étrangers (IDE). Il s’agit là d’un important levier de financement des investissements mais pas uniquement.
C’est également un véhicule pour améliorer la compétitivité des entreprises nationales grâce au savoir-faire et à l’apprentissage technologique ainsi qu’à l’insertion dans des chaînes de valeur. Il en est de même pour le partenariat public-privé (PPP) dont il faudra cerner au mieux les contours car nécessitant plus d’expertise. La contribution et l’efficacité du PPP dans le financement de certains projets d’envergure sont alors avérées. 

Si le prix du  pétrole  reste à  des  niveaux  insuffisants, quels leviers le gouvernement pourra-t-il actionner ?
Quoi qu’il en soit, l’Algérie a encore besoin durant plusieurs années de rentrées de devises provenant des exportations des hydrocarbures. Déjà, la pression sur les réserves de change se fait ressentir. Ce qui inquiète le plus pour le moment, ce n’est pas tant la volatilité des cours pétroliers, mais c’est plutôt la baisse des volumes d’exportation de Sonatrach. L’Algérie est surtout un pays gazier, et avec la hausse vertigineuse de la consommation d’électricité, il faut s’attendre à une réduction des quantités de gaz à l’exportation à l’horizon 2030.
Au demeurant, cinq sources de croissance économique identifiées font l’objet d’une attention particulière dans le programme de relance économique : l’agriculture, l’industrie pharmaceutique, la pétrochimie, les énergies renouvelables et les activités minières. On s’attend à un effort soutenu des investissements dans ces secteurs, susceptibles de donner à l’Algérie la diversification tant recherchée de son tissu économique. Il existe également un secteur transversal qui requiert un accompagnement solide, car il est déterminant à moyen et long terme : celui de l’économie de la connaissance et des nouvelles technologies sur lequel misent les pouvoirs publics pour ancrer le pays dans l’économie 4.0.
 

Propos recueillis par : YOUCEF SALAMI

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