Incommodé ou tétanisé par le retour du Hirak, le pouvoir, via ses relais médiatiques, n’a pas trouvé meilleure recette pour discréditer la formidable mobilisation que d’agiter le spectre d’un retour à la décennie noire. En évoquant les marches de vendredi dernier, la chaîne de télévision publique qui, une année durant, n’avait pas vu de Hirak populaire, a cru voir que le nombre des manifestants a augmenté “après la prière et dont certains scandaient des slogans qui ressemblaient à ceux de la décennie qui a conduit à la mort de 200 000 personnes”.
En 2017 déjà, alors que le pays était confronté aux conséquences économiques de la chute du prix du pétrole et qui se préparait à la perspective d’un cinquième mandat, l’ENTV s’était distinguée par la diffusion d’un reportage choquant sur les massacres de la décennie noire.
Sous le titre “Pour ne pas oublier”, le reportage de “propagande de l’horreur” visait à glorifier le rôle de Bouteflika dans le retour de la paix et par ricochet “terroriser”, comme le soupçonnaient nombre d’observateurs, la population au moment ou un sourd grognement social se faisait entendre. Ce “chantage à la peur”, comme l’ont dénoncé les internautes à l’époque, n’a pas empêché l’insurrection de février 2019.
Si elle peut donc perturber ou parasiter pour un temps le mouvement, cette carte de l’épouvantail islamiste et du terrorisme est vouée sans doute à l’échec. Car non seulement, le mouvement a montré jusque-là sa maturité en déjouant tous les plans de division et en transcendant tous les clivages, mais aussi parce que les slogans auxquels fait référence l’ENTV sont circonscrits à quelques petits groupuscules. Aussi, parce que discréditée, la chaîne, dédiée depuis longtemps à la propagande, ne fait que renforcer paradoxalement la mobilisation populaire.
Mais au-delà, la convocation de la décennie noire pour tenter de torpiller un mouvement qui donne du fil à retordre au régime vient nous rappeler que cette période n’a pas été totalement soldée. Et qu’à ce titre, l’islamisme politique, enfant du même système qui le diabolise aujourd’hui, et partant de la place de la religion sont des questions dont nous ne ferons pas l’économie du débat un jour.
Si elle a pu faire taire les armes, la charte pour la paix et la réconciliation nationale, aidée il est vrai par l’aisance financière d’alors, n’a pas pour autant réglé les questions de fond frappées de tabou. La confusion et la fuite en avant ne règlent ni les problèmes ni ne construisent le pays. Elles ne font que compliquer la situation.