La grogne sociale qui ne cesse d’enfler ces dernières semaines n’est assurément pas dissociable de la complexe situation politique et institutionnelle qui prévaut dans le pays depuis plusieurs mois. Même si elle est de plus en plus nourrie par des revendications d’ordre socioéconomique et socioprofessionnel, la colère grandissante d’un grand nombre d’Algériens tire avant tout son essence d’un mécontentement et d’une défiance exacerbée à l’égard des institutions et de la gouvernance politique en place.
Même à contre-courant des discours “économicistes” en vogue, force est, en effet, de se rendre à l’évidence que dans le cas de l’Algérie, l’économie et le social ne peuvent objectivement primer sur la politique, eu égard au poids prépondérant de l’État dans la structuration et le fonctionnement de la vie sociétale. Principal acteur aux plans politique, économique et social, l’État, à la fois propriétaire, investisseur, employeur, régulateur, législateur et répartiteur de rente, cumule ainsi des rôles essentiels et presque exclusifs, ce qui confère, dès lors, à la chose politique une prééminence certaine sur celles économique et sociale.
L’objet, ici, n’est, bien entendu, pas de débattre du paradoxe de l’œuf et de la poule en le transposant sur le cas de l’économie et de la politique pour savoir qui du premier ou du second influence et détermine l’autre. L’idée est surtout de rappeler que le malaise social en présence n’est pas né d’un simple cycle passager de basse conjoncture économique, mais bien d’une crise de gouvernance structurelle et majeure, dont l’essence et la nature sont fondamentalement politiques. La crise sociale n’est, en effet, qu’une réplique logique de la crise politique en cours, les remous sociaux observés actuellement n’étant, en définitive, que les symptômes d’une rupture de confiance entre les citoyens et les institutions, telles que celles-ci continuent d’être incarnées politiquement.
C’est pourquoi, toute initiative de dialogue qui resterait circonscrite aux seules revendications socioéconomiques ne pourrait avoir qu’une portée limitée et des effets très circonstanciels. Le besoin impérieux est aujourd’hui d’ouvrir un dialogue autrement plus large et plus apaisé pour mettre à plat les enjeux véritables qui, en la circonstance, engagent le devenir même de l’Algérie : ceux impliquant prioritairement une réforme de la gouvernance politique en vue d’ouvrir la voie à l’édification d’un État de droit et à l’instauration d’une réelle équité sociale.