Entre le régime et le mouvement populaire dont on a décrété trop tôt et trop vite la mort après la pandémie et la stratégie de musellement par le pouvoir, ce n’est plus une histoire de malentendu, ni de différence dans le diagnostic de la crise et encore moins d’une perception, d’une approche et d’une vision différentes de la “nouvelle Algérie”, mais une divergence de culture. Faute d’une réponse politique appropriée aux revendications exprimées par les Algériens — du moins une large partie — depuis février 2019, le pouvoir n’a pas encore fini d’éprouver des recettes aux résultats souvent désastreux.
Après avoir sacrifié certaines figures de sa cour dans l’espoir de neutraliser le mouvement, puis le recours à la manière musclée en procédant aux arrestations de certains activistes, avant d’imposer un agenda électoral parallèlement à une vaine campagne de diabolisation et de dénigrement, voilà qu’il s’emploie désormais à user de tous les artifices pour se réclamer du… Hirak.
Comme pour le “Printemps berbère” ou plus récemment encore la célébration de la fête de Yennayer, le pouvoir, à travers notamment ses relais médiatiques et politiques, a tenu à célébrer la journée du 22 Février présentée, comme l’avait décrété Abdelmadjid Tebboune, comme Journée nationale de la “fraternité et de la cohésion peuple-armée”. On apprendra ainsi que de nombreuses “ marches populaires et pacifiques ”, la mise sur pied, sur l'ensemble du territoire national, de nombreuses activités socioculturelles et sportives initiées par les autorités locales ont marqué cette journée.
Il y a eu aussi des campagnes de reboisement, des distributions de logements, des conférences et même des baptêmes, comme au bon vieux temps de certaines célébrations et du parti…unique. Mais à l’adresse de ceux qui ont investi la rue pour réclamer un changement radical et qui ont répété que “nous ne sommes pas venus pour la fête, mais pour que vous dégagiez”, on n’a pas omis de les accuser de scander des slogans “hostiles à la voix nationaliste”, de “haineux” et de “fauteurs de troubles afin d'entraver la marche enclenchée par l'Algérie pour un avenir meilleur”.
Au-delà du fait qu’elle procède de cette quête permanente d’en finir et de diluer la nature d’un mouvement “empêcheur de penser en rond” et foncièrement révolutionnaire, cette perversion signe incontestablement, pour ceux qui nourrissent encore quelques doutes, un refus obstiné du régime à toute idée de changement. Elle témoigne du grand décalage entre un régime grabataire, sclérosé et une société éprise de liberté et d’une transformation démocratique du pays. Ce tropisme à la confusion, en plus d’encourager l’imposture, est de nature à retarder la construction de perspectives et à aggraver la crise.