Magazine Travaillant dans les plantations et vivant dans une grande précarité

À Sao Tomé, la mélancolie des Capverdiens

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Rédaction Nationale Publié 15 Décembre 2021 à 08:33

© D.R
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“Qui t’a montré ce long chemin, ce long chemin vers Sao Tomé”, chantait la Capverdienne Césaria Evora. Sodade, sa chanson la plus célèbre, raconte la séparation de deux êtres qui s’aiment. L’un reste au Cap-Vert, l’autre part à Sao Tomé, deux îlots de l’Atlantique, deux anciennes colonies portugaises aux histoires qui s’entrelacent. “Si tu m’écris, je t’écrirai. Si tu m’oublies, je t’oublierai. Jusqu’au jour de ton retour”, continue la musique. Mais de retour, pour certains Capverdiens, il n’y en a pas eu. Arrivés par milliers au milieu du XXe siècle pour travailler dans les plantations sao-toméennes, nombre d’entre eux ne sont jamais sortis de la pauvreté et n’ont plus mis les pieds sur leur terre d’origine. 

Ils étaient les “contratados” ou “serviçais”, partis sous des contrats de trois ans pour fuir la misère et la faim, poussés par le colonisateur portugais pour servir de main-d’œuvre dans les plantations de café et cacao de Sao Tomé-et-Principe, petit archipel de l’Afrique centrale, situé à quelque 300 km des côtes gabonaises, à plus de 3 700 de celles du Cap-Vert. Les Capverdiens rejoignent les autres populations – principalement des Mozambicains et des Angolais – venus travailler dans des conditions très difficiles dans les “roças”, des plantations vivant de manière quasi autarciques, fondées sur la servitude. “Ils étaient logés et nourris mais étaient privés des droits humains les plus élémentaires et pouvaient souffrir de punitions corporelles”, rappelle à l’AFP Maria Nazaré Ceita, historienne et anthropologue à l’université de Sao Tomé. Après l’indépendance du pays en 1975, les migrations s’arrêtent et le modèle des roças s’essouffle peu à peu, avant de s’effondrer. Aujourd’hui, les survivants de cette époque sont de plus en plus rares. 
 
Pauvreté
Un petit fichu blanc sur la tête, le col de sa chemise ajusté sur son 
gilet en laine rouge, Agostinha Lopez Vaz, 91 ans, est l’une d’elle. Son regard mouillé s’arrête sur un point invisible. Les souvenirs remontent des méandres de sa mémoire. La mort de son mari, puis de sa mère. La détresse et la solitude au Cap-Vert, touché par les sécheresses et la famine. Puis la barque, qui l’emmène, avec son jeune fils, jusqu’au rivage de Sao Tomé, dans les années 1960. 
“Je suis partie pour trois ans, je ne pouvais imaginer que je ne reviendrais pas”, murmure-t-elle dans un créole de son pays natal. Pour son fils de 55 ans, Euse Emmanuel, les images du Cap-Vert sont plus fugaces. Quelques bribes d’un pays qu’il a à peine connu et qu’il rêve de découvrir. “Mais le billet coûte cher”, plusieurs centaines d’euros, souffle-t-il. 

Quelque 8 000 Capverdiens résident officiellement à Sao Tomé-et-Principe, un archipel qui compte environ 210 000 habitants. Beaucoup vivent dans une grande précarité, sans eau potable et avec une électricité très défaillante. Dans une étude datée de 2014, Nardi Sousa et Elias Alfama Moniz, deux chercheurs de l’université de Santiago au Cap-Vert, affirmaient que les immigrés Capverdiens étaient dans une “situation indigne et dégradante” et n’avaient pas les revenus pour vivre dignement. 
Bien souvent, les anciens “contratados” et leurs descendants ne vivent que de la petite pension du gouvernement sao-toméen et de l’aide de 120 euros reçue tous les trois mois par le Cap-Vert. Les plus jeunes vivent de petits métiers informels dans des anciennes roças, aujourd’hui laissées à l’abandon. 
 
Destin 
Dans la petite dépendance de Monté Café, une ancienne plantation du centre de l’île perchée sur les montagnes, presque tous les habitants ont des origines du Cap-Vert. Mis à part Agostinha, une seule autre est venue comme contractuelle, Carolina Correia Landi, 85 ans. “J’ai accompagné mon mari pour commencer une nouvelle vie. Nous avions faim là-bas”, se souvient-elle. Elle sort son ancienne carte professionnelle et ses documents d’identité. “Cabo-Verde”, montre-t-elle fièrement. La vieille femme reste la journée sur le banc en bois devant sa petite maison de pierre. Elle regarde la vie qui passe. 

Dans ce village perdu au milieu d’une nature luxuriante, le temps semble s’être figé. Le chant du coq sonne aux premières heures de la journée. Quelques chèvres et cochons arpentent le chemin de terre. Sur la place centrale, une vieille enceinte crache une musique portugaise saturée, couvrant le rire d’une dizaine d’enfants qui s’ébattent gentiment. De l’autre côté de la rue, une femme allaite son petit.  “Ici, j’ai fait des enfants. Lorsque mon mari est décédé, j’ai pensé à repartir. Mais l’enfant ne voulait pas. Plus personne ne m’attendait là bas. Je ne suis jamais rentrée”, raconte-t-elle lentement, le visage dur. “C’est le destin”, marmonne-t-elle. “C’est le destin.”

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