Reportage LOUCIF HAMANI

GANT D’OR, POIGNE DE NOBLESSE

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Mohamed HAOUCHINE Publié 16 Juin 2021 à 23:12

© D. R.
© D. R.

Il donnait à la boxe  ses  lettres  de  noblesse avec art et élégance, Loucif Hamani était  un sportif hors catégorie, c’était notre Mohamed Ali à nous. 

Véritable magicien du ring, connu pour son art de l’esquive, son agilité exceptionnelle, son jeu de jambes déroutant et surtout sa rapidité d’exécution, il a marqué toute une génération de boxeurs algériens, lui qui prenait souvent du plaisir à faire vibrer le fidèle public de la salle Harcha, à Alger, dans les années 1970-80, mais aussi les habitués du Palais des sports de Paris, qui n’avaient pas hésité à l’adopter.  Né le 15 mai 1950 à Igoufaf, un village de haute montagne relevant de la commune d’Aït-Yahia, dans la daïra d’Aïn El-Hammam, Loucif Hamani était une véritable force de la nature car taillé dans du roc similaire au granit de son Djurdjura natal. 

Dès sa petite enfance, il émigre en France avec ses parents, et tout jeune il fut attiré par la boxe, dans la région parisienne. “J’avais à peine huit ans quand j’avais commencé à fréquenter la salle de boxe de Choisy-le-Roi”, se souvient Loucif, qui se rappelle tout de même que, comme tous les braves montagnards de Kabylie, son brave père, ouvrier d’usine, exigeait plutôt de son rejeton de réussir coûte que coûte à l’école. “Oui, mon regretté père ne voulait pas entendre parler de boxe, car, pour lui, l’école passait avant tout autre considération,  mais j’étais tellement fasciné par la boxe que j’allais m’entraîner souvent en cachette et ce, grâce à la complicité de mon oncle qui m’accompagnait régulièrement à la salle de Choisy-le-Roi, surtout qu’entre moi et l’école, ce n’était pas le grand amour”, avoue, aujourd’hui encore, Loucif Hamani, avec son sens habituel de l’humour. “En fait, après les entraînements, je me rappelle qu’à l’époque je rentrais tard chez moi mais, arrivé à la maison, mon papa refusait souvent de m’ouvrir la porte à un tel point que j’étais obligé de me retaper le trajet Choisy-Orly à pied pour aller me réfugier chez mon manager de l’époque, Julien Tessonnières, qui m’avait pris en sympathie et m’offrait souvent le gîte et le couvert”, dira Hamani, qui n’est pas près d’oublier le père Tessonnières et son fils Gérard qui ont ciselé, comme un beau diamant, le futur champion. “Plus de soixante ans après mes débuts dans la boxe, je n’oublierai jamais l’aide et l’affection que me portait jadis Julien Tessonnières, qui n’était pas simplement mon manager, mais aussi mon père spirituel avant tout”, clame tout haut Loucif qui, dès son jeune âge, avait tapé dans l’œil de son entraîneur. “M. Tessonnières m’avait tellement couvé et carrément pris sous sa coupe qu’à l’âge de seize ans à peine, j’avais disputé mon premier combat en amateur et réussi, ce jour-là, mon baptême du feu à un tel point que tous les présents n’ont jamais voulu croire que c’était la première fois que je montais sur le ring”, se rappelle encore notre champion, qui n’est pas près d’oublier le cordon ombilical qui le liait aux Tessonnières père et fils.

De Igoufaf à Boston
“Dites-vous bien que des managers et promoteurs de boxe français bien connus tels que Bretonnel, Filippi, Axel et autres Jobert m’avaient promis beaucoup d’argent, dans les années 1960, pour rejoindre leurs salles respectives, en vain, car pour tout l’or monde je n’aurais jamais tourné le dos à M. Tessonnières”, enchaîne Loucif Hamani, qui multiplie alors les exploits tant chez les amateurs que chez les professionnels. “Comme tout Algérien qui se respecte, j’ai toujours été fidèle à mes principes à un tel point qu’à l’époque le préfet du Val-de-Marne courait souvent derrière moi pour m’inciter à me naturaliser Français, mais j’ai toujours refusé de le faire car j’ai toujours aimé mon pays l’Algérie, et ma famille s’est toujours sacrifiée pour le pays de mes ancêtres puisque ma chère et regrettée mère était une moudjahida qui fut condamnée, à deux reprises, par l’armée française durant la guerre de Libération nationale, alors que de nombreux parents sont tombés au champ d’honneur pour que vive l’Algérie”, dira encore le célèbre boxeur algérien, qui a toujours honoré les couleurs nationales, puisqu’il collectionna de nombreuses médailles aux Jeux méditerranéens d’Izmir, en Turquie (1971), et d’Alger (1975), mais aussi au Jeux africains de Lagos (1973) et d’Alger (1978). “J’aime très fort mon pays et j’ai toujours été fier de hisser le drapeau national à maintes reprises en Algérie ou à l’étranger à un tel point que j’ai toujours versé de chaudes larmes en écoutant l’hymne national Qassaman retentir dans les lieux de compétition, notamment à la salle Harcha, toujours archicomble, où son merveilleux public m’a toujours adoré et porté aux nues, et dites-vous bien que ce sont là des moments de bonheur et de folie que je ne pourrai jamais oublier”, avoue le gaillard du Djurdjura. Et qui ne souvient pas de sa chère et regrettée maman Na Smina, qui, malgré son âge avancé et de tout temps habillée en robe kabyle, était de la fête à chaque combat héroïque de son champion de fils. 

Sa mère, sa mascotte 
“Oui, ma chère maman, que Dieu ait son âme, était ma mascotte et ma supportrice n° 1 car elle suivait tous mes combats, et sa présence me dopait à l’extrême à un tel point que, pour l’anecdote, je me rappelle avoir concédé deux défaites à l’issue de deux combats où, comme par hasard, elle n’était pas présente à mes côtés”, dira Loucif avec un sentiment de tristesse, lui qui a perdu sa mère adorée le 15 août 2012, à Paris, à l’âge de 93 ans.  
En 1976, Loucif Hamani embrasse une carrière professionnelle et devient champion d’Afrique des super-welters “ABU” aux dépens du boxeur ivoirien Sea Robinson, une couronne qu’il conserve après une victoire expéditive obtenue par K.-O. contre le Ghanéen Simon Bereck Rifoey, le 
20 octobre 1977 à Alger.  En quelques années, il multiplie les exploits et devient l’un des boxeurs les plus redoutables de sa catégorie en Afrique où, grâce à son style particulier basé sur l’esquive et le punch, il plane sur le continent. C’est ce qui fait que sa réputation est bien établie à l’étranger et son nom résonne alors sur les rings du monde entier. Dans ses heures de gloire, Loucif Hamani devient le chouchou du public parisien, lui qui étala tout son art et sa rage de vaincre contre le redoutable boxeur américano-mexicain Rudy Roblès, qu’il a battu aisément le 13 avril 1976 au Palais des sports de Paris, à la porte Versailles, puis face au Français Maurice Chapier le 
13 juillet à Alger et ce, avant de croiser les gants de nouveau à Paris, toujours en 1976, contre l’ancien champion du monde américain des poids “welters” et poids “moyen” Emile Griffith, qu’il a battu aux points en présence d’une foule hystérique et de nombreux admirateurs, dont les deux acteurs français bien connus Alain Delon et Jean-Paul Belmondo, qui étaient fascinés par la classe et la popularité du boxeur algérien.

Face au monstre Hagler     
Cela dit, la plus grande déception de sa carrière pugilistique est incontestablement cette cruelle défaite concédée par K.-O. au 2e round, le 16 février 1980 à Boston, face au champion du monde américain Marvin Hagler, alors qu’à trente ans il consommait une fin de carrière déjà bien remplie. “C’est un triste souvenir pour moi, car j’avoue que je n’étais pas prêt pour ce championnat du monde, puisque je n’avais pas boxé durant plus de trois ans, donc je manquais de préparation et de compétition et j’étais quelque peu déstabilisé aussi du fait que ce combat qui était initialement prévu au Square Garden de New York avait été reprogrammé, à la dernière minute, à Boston où j’avais débarqué en plein hiver, alors que le thermomètre affichait moins quinze degrés et que l’accueil des Américains fut très hostile, ce qui n’était pas facile pour moi de défier un monstre du ring comme Marvin Hagler, mais disons que je ne regrette pas le fait d’avoir tout de même eu l’honneur de disputer un championnat du monde, même si une telle chance est survenue un peu tard”, estime Hamani. 

Toujours est-il qu’il a fini par mettre fin à sa carrière sportive à l’âge de trente-trois ans, certes avec un certain goût d’inachevé, mais tout de même fier d’avoir défendu fièrement les couleurs algériennes après 163 combats victorieux pour trois défaites seulement et ce, avant d’embrasser une  longue carrière de diplomate algérien en France, en Tunisie et au Tchad, tout en ayant légué le “noble art” à ses deux fils Samir, devenu entraîneur de boxe en France, et Rachid, qui a eu l’insigne honneur d’offrir une belle médaille d’or à l’Algérie aux Jeux méditerranéens de Pescara en 2009. Et si Loucif Hamani a reçu, en 2005, le Gant d’or d’Afrique qui est venu couronner logiquement sa riche carrière pugilistique et a eu droit ensuite à un jubilé mémorable le 17 novembre 2019 à la Salle Opow de Tizi Ouzou au milieu de ses proches et de ses nombreux sympathisants, il faut admettre que ce champion hors pair aura mérité une retraite dorée qu’il partage désormais entre son village natal d’Igoufaf, haut perché en haute Kabylie, et quelques courtes virées à Paris pour revoir chaleureusement ses enfants à un âge où la santé fragile et le poids des années contrastent terriblement avec les années folles de ce grand artiste du ring. Bravo Champion !
 

Mohamed HAOUCHINE

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