Reportage l’exploitation du DOMAINE MINIER D’AMIZOUR mine les débats citoyens

Le gisement qui fait jaser

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Moussa OUYOUGOUTE Publié 10 Février 2021 à 21:15

© D. R.
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Réalisé par : MOUSSA OUYOUGOUTE

Le projet d’exploitation de la mine de zinc de Thala Hamza et d’Oued Amizour à  Béjaïa  divise  la  population locale.  Entre ses retombées économiques  et  ses  risques  environnementaux, ce  trésor  enfoui risque bien de miner les débats citoyens. Reportage.

 à la lisière  des communes  de Tala Hamza  et d’Amizour, une plaque indique la destination Aït Bouzid.  Le village relève  du  douar  Aït Amar Ouyoub. Et lorsqu’on emprunte la route qui y conduit, nous sommes surpris par ses beaux paysages verdoyants. Sur près de trois kilomètres, le visiteur est saisi par la douceur et le calme qui en émanent, et qui semblent planer aux alentours.

Oliviers centenaires, arbres fruitiers, citronniers, de petits troupeaux de moutons, des poules de ferme et, tout là haut, aux franges du village, un cheval pimpant, placide, dénommé de manière aussi affectueuse que surprenante, Ousfour (oiseau). Bref, le décor est bucolique.

Le chemin serpente parmi des pâtés de maisons où potagers et basses-cours sont omniprésents et la vue des terres labourées et fécondes témoigne que dans ce village, qui relève, bizarrerie bureaucratique, de deux communes : Tala Hamza et Oued Amizour. L'amour du travail agricole est une vieille tradition et habite toujours les cœurs.

Depuis Tamridjt, plus haut point de la bourgade, la vue est magnifique. L’endroit fait office de place publique ou d’agora. “C'est une place comme il y en a dans chaque village. C’est ici que l'on tient nos réunions et que l’on discute des affaires qui concernent le village, où l’on aplanit nos différends”, explique Djamal Imloul, un jeune du village. “Et ces derniers mois, les représentants des familles se rencontrent tous les vendredis près-midi pour de longues et, parfois, interminables et tumultueuses discussions, particulièrement lorsque les avis ne sont pas partagés”, précise-t-il, en voyant arriver Rachid Aït-Ouyoub, l’un des principaux délégués du village.

Vendredi passé, la réunion n'avait pas encore commencé que d'un bout à l'autre de la placette, il n’y avait que chuchotements et conciliabules pour “convaincre”, mais aussi concertations entre petits groupes d'intérêts, alors que certains attendaient patiemment et calmement l'entame des débats. 

Un seul point figurait à l’ordre du jour : quelle position adopter après la décision prise par le chef de l’État de relancer le projet minier de Tala Hamza et d’Amizour, qui empiète, pour une grande part, sur le territoire de leur village ? “D’où l’importance, selon Rachid Aït Ouyoub, de relancer l’association socioculturelle du village qui doit renouveler urgemment son bureau.”

La rencontre est aussi marquée par l’arrivée de délégués d’autres villages. L’enjeu : se constituer en coordination des associations. “Il faut dire que nous sommes seuls face à l’entreprise WMZ”, reconnaît, avec une pointe de dépit, Rachid. “L’autorité publique est absente alors que c’est à elle de nous accompagner, d’autant que nous n’avons pas fermé les portes du dialogue. Nous voulons être conseillés, orientés et accompagnés. Nous avons le sentiment d’être livrés à notre sort. Tout se fait sans que nous soyons informés. Nous sommes bloqués et nous ne savons plus à quel saint nous vouer”, déplore Rachid.

C’est en 2006 que le village d’Aït Bouzid est sorti de l’anonymat grâce à son potentiel minier. Des gisements de plomb et de zinc y ont été découverts. Le projet de leur exploitation a patiné depuis, avant d’être remis, en juillet dernier, au-devant des priorités étatiques. Si les discussions se poursuivent chaque vendredi, c’est parce que la population concernée n’a pas encore de position tranchée sur la question. 

Certains,  nostalgiques  déjà, mettent  en  avant  le  déracinement,  le renoncement à un “endroit paisible où il fait bon vivre”, voire “la disparition purement et simplement de ce village” chargé d’histoire, tandis que d'autres brandissent la “menace écologique” qui pèse sur toute la région et non pas seulement sur leur village.

Ainsi en est-il de Meziane Himmi, retraité, qui vient travailler son jardin et qui n’échangerait pour rien au monde cet endroit : “Moi, je choisis la paix. Et d’abord, je ne crois pas trop à ce projet.” Ironie de l’histoire, il était chauffeur à la Sonarem, la société publique algérienne qui avait effectué des explorations dans la région avec des techniciens russes. 

Le projet avait été abandonné durant la décennie  noire. Meziane est en compagnie de Zahir Kerkour, qui fait paître son troupeau de moutons. Mais  ce dernier n’est pas du même avis. Il fait partie de ceux qui ne sont pas insensibles à l’argument financier, pour peu que l’État dédommage comme il se doit les villageois “afin de pouvoir refaire leur vie ailleurs”, dit-il. D’autant que c’est le gouvernement qui en fait la demande.

“Si l’État y trouve son bénéfice, pourquoi pas ?”, estime-t-il avant de préciser le fond de sa pensée : “On va refuser l'échange contre des appartements, mais si on nous donne des terrains en plus de l’argent des indemnisations, pourquoi pas ?” Mais, combien sont-ils à partager cet avis ? Une chose est sûre, Dda Abdelhak, l'un des doyens du village, pense la même chose et n’y voit pas d’inconvénients.

“Si l’État a besoin de nos terres pour mener à bien ce projet, nous sommes prêts à jouer le jeu pour peu que l’on soit indemnisés comme il se doit”, affirme-t-il du haut de ses 75 ans, conscient de la détermination du gouvernement à concrétiser l'exploitation de ce gisement minier, que d'aucuns jugent plus important que celui d’El-Ouenza.

Peur pour l’environnement 
C'est, en fait, selon les experts, le 5e gisement mondial de plomb et de zinc. Le projet est né à la faveur d’une résolution du Conseil des participations de l'État (CPE) statuant sur la création le 22 février 2006 d’une joint-venture entre l’Enof, l’ORGM et Terramin, une société australienne, sous la dénomination Western Mediterranean Zinc (WMZ). Les actionnaires algériens, à savoir l’Entreprise nationale des produits miniers non ferreux et des substances utiles et l’Office national de recherche géologique et minière, détiennent 35% du capital, et Terramin 65%.

L’un des délégués du village Aït Bouzid, Braham Kerkour, qui ne rate pas l’occasion d’insister sur le passé historique du village, n'a pas encore digéré ses récriminations à l'égard de l’entreprise WMZ. “La découverte de cet important gisement avait réjoui la population locale, se rappelle-t-il. Mais les dirigeants de l’entreprise n’ont pas été honnêtes avec nous. Ils n’ont pas respecté leurs engagements”, allusion aux indemnisations promises lors de la phase d’exploration. “Nos jeunes ont vu leurs contrats non renouvelés contrairement aux autres.”

Pis encore : “L’entreprise a accaparé un terrain sans contrepartie, en violation de la loi minière. En outre, cela n’a pas été sans conséquence sur la faune et la flore.” “Cela a provoqué, poursuit-il, l’insalubrité des sources et la dégradation, voire l’infertilité des terres, sans compter la pollution sonore. Et cela a duré pendant 8 longues années.” Pour lui, c'est la désillusion. Il prophétise la disparition pure et simple du village Aït Bouzid, car, argue-t-il, “si le projet voit le jour, la mine dévorera 90% du territoire du village et 10% du territoire du village Ibezghichène, dans la commune d’Amizour”.

Toutefois, il explique, que “si la page de WMZ est tournée, elle n’est pas déchirée. Nous avons, certes, porté l’affaire en justice”. Mais le dialogue est toujours possible, laisse-t-il entendre. “Nous souhaitons l’implication des experts, des scientifiques”, ajoute-t-il avant de s’interroger : “À combien peut-on estimer ce déracinement ?” 

Pour l'heure, les habitants attendent pour voir et prendre une décision. C'est la raison d’ailleurs de la multiplication des réunions, hebdomadaires en général, et qui peuvent se tenir deux à trois fois par semaine. Toujours est-il que les villageois et les propriétaires concernés par les expropriations sont en train de s’organiser pour pouvoir prendre part aux prochaines réunions prévues dans le cadre de la relance de cet important projet minier. 

Et comme l’intensité des débats a même débordé sur les réseaux sociaux, la société WMZ a rendu public, le 24 janvier dernier, un communiqué dans le souci “de mettre fin à certains propos, infondés et incohérents sur le projet, et afin d’établir un climat relationnel transparent avec la communauté de la région”.

“Aussi, est-il utile et nécessaire pour l’ensemble des concernés (organisations de villages, propriétaires terriens…), poursuit le communiqué, de s’organiser en associations de manière officielle et réglementaire, ce qui permettrait une meilleure gestion de l’information, évitant ainsi tous propos infondés et calomnieux pouvant obéir à une démarche de perturbation de cet important projet d’envergure économique nationale”.

WMZ souligne que “des études ont été élaborées minutieusement par des experts de renommée mondiale, particulièrement celles relatives à l’environnement qui ont fait l’objet d’un dépôt officiel auprès des différentes directions de wilaya notamment la Direction de l’environnement et des APC de Tala Hamza et d’Amizour”.

L'entreprise a tenu enfin “à rassurer la communauté de (sa) volonté à rester à l’écoute dans le respect des pratiques réglementaires”. Comme pour justifier leur opposition au projet d’exploitation, certains propriétaires terriens se sont appuyés sur certaines études de spécialistes publiées dans la presse, comme celle de Hicham Rouibah, doctorant en socio-économie, à l’Institut de recherche pour le développement, affilié à l’université d’Oran 2 et de Paris 7.

“Le total des ressources de la mine d’Oued Amizour s’élevait à 68 millions de tonnes (mt) avec un taux de 1,1% de plomb et de 4,6% de zinc. il y a 30 mt de minerais exploitables rapidement et il n’y a que 5,41 mt de zinc et 1,39 mt de plomb”, a écrit Hicham Rouibah. Selon lui, sur le marché mondial, c’est plutôt le plomb qui est demandé, tandis que “le zinc connaît une dégringolade depuis quelques années”. 

Outre son abondance sur terre et la rude concurrence mondiale qui le caractérise, il y a bien d’autres raisons animant la chute du zinc. Il est convaincu que ce point est “l’une des raisons du retard dans l’entame du projet, car les Australiens avaient compris que le zinc n’allait pas leur rapporter grand-chose, c’est pourquoi  Terramin  a  eu du mal à lever des fonds, les marchés financiers ne sont pas dupes”, avait-il précisé.

Il  est  “fondamental  de  comprendre  que  dans  l’exploitation  des  mines, notamment dans les pays à faible industrialisation, la majorité écrasante de la matière extraite est un rejet généralement à haute teneur d’acides. Dans le cas d’Amizour, il n’y a que 7% de métaux à exploiter entre zinc, plomb, cuivre et fer ; soit 93% sera  une  déchetterie  toxique.  Ces  rejets  transiteront  sans doute,  dans  la  plupart  des  cas, par  le  sol, l’eau  et  l’air ; c’est-à-dire très difficiles à évincer sans dispositifs rigoureux de traitement”.

Commodo et incommodo
C’est pour cette raison que les autorités ont lancé une enquête commodo et incommodo sur l’impact sur l’environnement. Celle-ci est en cours, comme le confirme le directeur de l’environnement de la wilaya de Béjaïa. Les conclusions de cette enquête seront transmises à qui de droit, mais sans fournir plus de précisions.

Même son de cloche aux APC de Tala Hamza et d’Amizour. L’enquête traite de l'expropriation pour cause d'utilité publique. “Avec cette enquête, on recherche quels avantages et quels inconvénients peuvent entraîner, pour le public, telle et telle opérations. Et dans notre cas, c'est le projet minier de Tala-Hamza-Oued Amizour.”

Alors que le président de l’APC de Tala Hamza refuse catégoriquement de répondre aux questions des journalistes, son confrère d’Amizour accepte, cependant, de s’exprimer sur ce sujet qu’il juge “sensible” d’autant qu’il a été “politisé”, allusion sans doute aux déclarations de Ferhat Mehenni qui a appelé la population à s’opposer au projet.

Pour une source proche du dossier à l’APC de Tala Hamza, une soixantaine de maisons sont à déplacer dans le cadre de ce projet. “Les habitants seront indemnisés pour leurs maisons, leurs terres, leurs cheptels, leurs arbres...” Un registre de doléances a été ouvert à l’APC après le lancement de l’enquête sur l’environnement.

“On a respecté les délais, on vient d’envoyer le dossier à la daïra. On a demandé au service d’hygiène communale de nous faire un résumé de l’enquête sur l’impact sur l’environnement que l’on a mis ensuite à la disposition de la population. Nous, nous sommes à l’écoute de la population. Une chose est sûre, nous respecterons son choix.” À l’APC d’Amizour, l’acte procédurier n’est même pas encore engagé officiellement, affirme le SG de la commune, mais cela ne saurait tarder.

Le maire par intérim soutient que la population veut des assurances, d’autant qu’il s’agit de métaux lourds en insistant que sur le plan écologique, c’est aux spécialistes de se prononcer.

Le directeur de l’industrie et des mines de Béjaïa indique qu’à l’heure actuelle il n’a reçu aucun document officiel. Il parle sans doute du volet indemnisations. “Tout est sur la page Facebook de la cellule de communication.” Il rappelle que l’étude de faisabilité est achevée, mais il reste les travaux d’exploitation.

Pour Mme Touati, la directrice générale adjointe de la société WMZ, le projet de la mine zinc/plomb de Tala Hamza/Amizour est “un projet minier de classe mondiale”. Il se décline en trois phases : “La construction (prévue vers la fin du 2e trimestre 2021), la production (extraction et traitement du minerai) et la remise en l’état de la mine.” 

S’agissant du volet indemnisation, “il sera pris en charge par l'État”. Elle ajoute, à propos de l'actionnaire australien, que “Terramin Ausralia est une société australienne dont la principale mission est l'exploration des ressources minérales pour le développement des métaux de base dans le monde. Elle est cotée en Bourse des valeurs australiennes. Terramin compte, comme actionnaires, des sociétés chinoises. Il reste qu’avant le lancement des travaux, le gisement fait jaser”.

CAMPAGNE DE SENSIBILISATION CITOYENNE
Le Centre d’information sur les droits de l’Homme à Béjaïa a engagé un débat sur le  projet d’exploitation de la mine de Tala Hamza et d’Amizour. À cet effet, une rencontre, regroupant des défenseurs de l'environnement, des élus, des juristes, des universitaires, a été organisée pour réfléchir aux actions à mener contre l’exploitation de la mine d’Oued Amizour. Ils ont  décidé de lancer une campagne d'explication auprès des habitants de la région sur l'étude d'un impact sur l’environnement “afin de sensibiliser la population sur les risques et les dangers”, qui pourraient survenir. Ils appellent le mouvement associatif à s'impliquer “concrètement dans la sensibilisation et la mobilisation” et ce, “à travers une large médiatisation”.

Les opposants au projet ont annoncé qu’une pétition sera lancée en parallèle, tandis qu'une étude juridique abordera le volet législatif et réglementaire des conventions avec l’apport de juristes.  Un autre travail se fera dans le même temps par des spécialistes et des scientifiques. Il traitera des questions liées à la santé publique et au respect de l'environnement et ce, “pour constituer des dossiers afin d'alerter l'opinion publique”. Les présents ont unanimement appelé à la tenue d’une session extraordinaire de l'APW qui traitera exclusivement du dossier relatif à l'environnement.

 

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