Reportage LA SILICOSE A FAIT 205 MORTS PARMI LES TAILLEURS DE PIERRE À T’KOUT

LE MÉTIER MORTIFÈRE

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Hadj BAHAMMA Publié 09 Février 2021 à 22:40

© D. R.
© D. R.

Les jeunes n’ont  d’autres  débouchés que  le travail que leur offre ce tueur silencieux qui continue jusqu’à l’heure actuelle d’emporter des vies dans l’indifférence des autorités.

“Nous devons travailler, c’est une obligation et pas un choix. Au-delà de ses effets dévastateurs, la pierre est pour nous, ainsi que pour les 9/10e de la population autochtone la seule source de revenus qui nous permet de nourrir nos enfants et d’être à l’abri du besoin.” C’est ainsi qu’ont préféré répondre à notre question inhérente au choix de ce métier mortel certains tailleurs de pierre de longue date, rencontrés dans leur vétuste atelier surplombant T’kout, cette région pittoresque comprise entre Batna et Biskra, qui vient tout juste de déplorer une nouvelle victime du métier mortifère, portant ainsi à 205 le nombre de personnes décédées des suites de l’inhalation des particules de silice, et faisant pas moins de 100 veuves et 400 orphelins, selon nos interlocuteurs, dont le représentant de la société civile, Aziz Ouchène. 
Il s’agit de F. G., père de trois enfants, quinquagénaire, dont le père, lui-même, ainsi que trois frères ont péri de la même maladie. Ayant traité de nombreuses victimes de la silicose, le Dr Nabil Cheriet, pneumo-allergologue, connaissant parfaitement le mécanisme de cette maladie qui continue d’envoyer ad patres des vies humaines innocentes, tire la sonnette d’alarme, après nous avoir détaillé les tenants et les aboutissants de la plus ancienne des pathologies professionnelles due à l’inhalation des fines particules de silice libre. 
“Cette maladie a été constatée chez les travailleurs des mines, fonderies, carreleurs, abrasifs de céramique, explosion de la roche de silice ou du sable, et en particulier chez les tailleurs de pierre, qui embellissent les façades des immeubles et des bâtisses au détriment de leur vie. C’est une maladie mortelle qui se manifeste par des signes respiratoires, tels que la toux productive, les difficultés respiratoires, la fatigue…” Pour ce qui est du diagnostic de la silicose, notre interlocuteur explique qu’“il se confirme après une radiographie du thorax et un scanner thoracique qui va nous montrer des nodules ou masses pulmonaires avec des adénopathies médiastinales calcifiées”. 
Le Dr Nabil Cheriet revient sur l’évolution de la maladie : “Cette maladie dangereuse s’aggrave même après l’arrêt de l’exposition à la silice, par l’installation d’une fibrose pulmonaire, par la destruction du collagène pulmonaire en alternant les échanges alvéolo-capillaires, puis une diminution de la saturation du sang en oxygène, l’insuffisance respiratoire chronique et le cœur pulmonaire chronique. La tuberculose et l’aspergillose peuvent se greffer sur les lésions cicatricielles causées par la pénétration des particules de silice dans les alvéoles. Les lésions occupent la moitié supérieure du thorax avec un emphysème pulmonaire au niveau des bases par destruction des parois alvéolaires. L’évolution de la maladie est donc lente et émaillée de plusieurs complications qui peuvent entraîner la mort par détresse respiratoire aiguë.” Comment s’opère le processus du traitement de la maladie ? L’interlocuteur explique que “le traitement est symptomatique, avec de l’oxygène, et après l’arrêt définitif de l’exposition”. Pour ce spécialiste des pathologies pulmonaires, vu l’inexistence d’un traitement efficace, rien ne pourra donc remplacer la prévention : “Il est indispensable de porter un masque de protection avec un filtre qui purifie l’air inspiré, d’utiliser une source d’eau avec la tronçonneuse pour minimiser le risque de transmission des particules fines de silice à l’intérieur des poumons.”

 Maladie insidieuse 
“Des études ont démontré que l’utilisation du disque pour tailler la pierre aggrave la maladie”, préconise-t-il, avant d’ajouter : “Nous avons reçu plusieurs malades tailleurs de pierre, venus de la région de T’kout, à des degrés d’atteinte différents, et malgré l’arrêt de l’exposition, ils ont développé une insuffisance respiratoire chronique pour la plupart, et certains d’entre eux ont contracté des formes de tuberculose pulmonaire étendue ou de fibrose pulmonaire.” 
La gravité de la situation n’a pas laissé les professionnels de santé, premiers concernés en la matière, indifférents. Plusieurs campagnes de sensibilisation ont été organisées dans le village de T’kout, ciblant les tailleurs de cette pierre mortifère, faisant intervenir les autorités locales et les services de santé et de prévention en expliquant les risques encourus et les moyens de prévention et de lutte contre ce tueur silencieux qui continue, jusqu’à l’heure actuelle, d’emporter des jeunes à la fleur de l’âge, des innocents qui sèment la joie en créant de très belles décorations, en sculptant cette pierre précieuse embellissant les maisons de T’kout et de nombreuses autres villes du pays. Notre interlocuteur, qui est en train de réaliser un ouvrage sur la silicose et ses victimes, plaide pour la prise en charge de ces jeunes sur un plan socioéconomique. Il appelle, à ce titre, à leur instaurer de petites entreprises, à les réorienter vers d’autres créneaux de la vie économique qui conviennent à la spécificité de la région. Et c’est justement ce que réclament à l’unisson les jeunes de T’kout, par la voix d’Aziz Ouchène, leur représentant. Ce dernier, lui aussi atteint de la pathologie en question, fait savoir que parmi les 15 000 habitants de la région, au moins 2 000 sont touchés par la silicose, lui y compris, à un degré d’atteinte de pneumonie modéré, estimé pour le moment à 25%.  “Eu égard à l’absence d’une prise en charge conséquente de la part des services concernés, ces patients, livrés à leur propre sort, sont ‘confinés’ à domicile, où ils suivent un traitement symptomatique”, raconte Aziz qui fustige, au passage, les responsables locaux qui, dit-il, “n’ont rien fait pour les victimes”. “Figurez-vous qu’il n’y a même pas de médecins spécialistes et d’oxygène à l’hôpital de cette ville où l’on respire difficilement. L’on vit une véritable tragédie qui a fait de cette paisible localité un véritable cimetière. Il est temps de réfléchir à accompagner et à insérer ces innombrables jeunes dans des métiers alternatifs s’adaptant davantage à leurs aspirations, car ils ont un bon niveau de qualification”, révèle Aziz. 
Poussés par les conditions de vie précaire à s’adonner à contrecœur à cette activité funeste, les T’koutis demandent aux autorités locales d’intervenir pour remédier à la situation qu’ils endurent en silence depuis trop longtemps. En attendant d’enterrer leurs prochaines victimes, ils lancent, via notre journal, un appel aux parties directement concernées pour une prise en charge socioprofessionnelle de ces nombreux orphelins et veuves que cette terrible maladie a faits, lesquels n’ont trouvé à leurs côtés, et en guise de solidarité avec eux, que l’artiste Sami Youress, pour chanter leur souffrance au quotidien.
 

Réalisé par : H. BAHAMMA

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