Reportage ATH DAOUD AUX PETITS SOINS DE SES HABITANTS

UN HÔPITAL D’UN JOUR, UNE VIE DE TOUJOURS

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Samir LESLOUS Publié 04 Juillet 2021 à 22:05

© Liberté
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Quand il est difficile de se  rendre  à l’hôpital pour  se faire soigner parce qu’on habite en  haute  montagne, il faut  ramener l’hôpital au village au moins une fois par an. Oui, c’est possible. Les villageois - femmes et hommes -  d’Ath Daoud (Yatafen) qui côtoie le Djurdjura l’ont superbement réalisé. Notre reporter nous raconte cette belle et inédite expérience humaine.

À l’entrée, comme à l’intérieur, l’école primaire d’Ath Daoud grouille de monde en cette matinée du vendredi 2 juillet. Dès les premières heures de la matinée, il est en pleine effervescence. Les habitants de ce village perché à 800 m d’altitude, et qui compte parmi les derniers avant d’accéder aux entrailles du massif du majestueux Djurdjura, semblent soudainement tirés de la monotonie habituelle qui rythme leur vie. Pour cause, ils vont participer à l’organisation d’un événement aussi inédit qu’exceptionnel pour ce patelin isolé au milieu d’une luxuriante végétation et que l’on atteint, à partir de Tizi Ouzou, au bout de 50 km suivant une sinueuse route de montagne. 
L’événement dont il est question est baptisé “Hôpital d’un jour”. “Sbitar n yiwen wass”, en tamazight. Un événement dédié aux deux premiers médecins du village, à savoir le docteur Salah Aït Mohand Saïd, tué en 1956 en compagnie de Mbarek Aït Menguellet et d’Amar Ould Hamouda, et du docteur Ali Ould Mohand, décédé en 1981 et qui a écrit déjà, en 1954, le premier essai d’un Vocabulaire médical kabyle-français. L’initiative consiste à transformer l’école du village, pendant une journée, en un véritable hôpital où tous les habitants du village et des localités environnantes peuvent se faire consulter et se faire dépister, en un temps record, dans la plupart des spécialités médicales existantes. Du dépistage du diabète au dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus, en passant par la cardiologie, la diabétologie, l’endocrinologie, la pneumologie, l’ORL, la gynécologie, la sénologie, l’échographie, la dermatologie, la rhumatologie, les habitants avaient l’opportunité inouïe d’accéder au dépistage, au total, dans dix-neuf spécialités différentes. Dans les deux parties de l’école Chahids-Frères-Belkacemi, les classes de cette école, élevée au rang des écoles pilotes par l’Unicef et qui a, par conséquent, bénéficié d’un programme privilégié, sont transformées en de véritables services hospitaliers, avec leurs moyens non seulement humains, mais aussi matériels. “Tous les moyens nécessaires pour la réussite de cette journée sont mobilisés. Des équipements, coûtant plus d’un milliard de centimes pour certains d’entre eux, ont été déplacés au village pour l’occasion”, nous informe un des médecins rencontrés sur place. En effet, pour une réussite, c’en est une. Elle est due à la grande mobilisation des habitants autour de ce projet initié par l’association Tamusni du village. 

Vulgariser la prévention 
Répartis en plusieurs groupes, les jeunes du village, gilets fluorescents sur le dos, s’occupent de l’orientation et de l’information, pour les uns, et de la gestion et de l’organisation des flux, pour les autres. Avec l’hospitalité légendaire connue aux habitants de cette région de l’extrême sud-est de la wilaya de Tizi Ouzou, des volontaires accompagnent les personnes âgées, venant à pied, de l’entrée du village jusqu’à l’école, sur environ 300 m. Kamel Aït Dris, méticuleux, le président fraîchement élu de cette association, qui vient de renaître de ses cendres après une mise en veilleuse de cinq années, veille au grain à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école depuis l’ouverture de cet hôpital à 7h, afin de permettre au personnel de l’école de bénéficier des prestations en priorité avant d’entamer la dure journée. En véritable meneur d’hommes, le visage en sueur, ce cadre, résidant à Alger, multiplie les allers-retours entre les différents services pour s’enquérir du bon déroulement des consultations. “Nous souhaitons faire du dépistage et de la prévention en général une culture au sein de notre village”, nous dit-il. Devant chaque entrée, des femmes de tous les âges, des hommes et des enfants accompagnés de leurs parents attendent patiemment leur tour sur des chaises placées dans le strict respect des mesures de distanciation sociale. “Je suis à ma quatrième consultation depuis ce matin.  Notre village est loin de toutes les commodités de la vie moderne, même se soigner est un grand projet pour nous, alors souvent on se contente de prier de ne pas tomber malade ”, nous dira une femme, la soixantaine consommée. En plus des consultations, Tamusni a invité l’association Thafat Événement à participer à l’événement et à mettre à la disposition des patients une pharmacie ambulante. Ladite association dispose d’importantes quantités de médicaments amassés grâce à des collectes lancées auparavant. Mais les organisateurs ne se sont pas arrêtés là. Plusieurs ateliers ont été également ouverts à l’occasion. Parmi ces derniers, figure un atelier dédié à l’orientation et à la sensibilisation sur la gestion quotidienne du diabète. Le médecin en charge de ce volet a reçu, dit-il, une cinquantaine de diabétiques, répartis en petits groupes, depuis la matinée. Dans l’autre partie de l’école, des agents de la Protection civile assurent, eux aussi, un atelier de secourisme au profit des habitants. “Dans un village de montagne, au relief accidenté, comme le nôtre, nous ne sommes pas à l’abri des accidents ; il est donc important d’apprendre les gestes qui sauvent et les premiers secours”, nous dira l’un des jeunes qui viennent, en quelques heures, d’être formés aux rudiments du secourisme. Au total, à la fin de la journée, l’équipe médicale mobilisée a totalisé 342 dépistages et 603 consultations spécialisées. 

Convivialité et retrouvailles
Dans la cantine scolaire de la même école transformée en hôpital, un repas convivial est offert en l’honneur des invités et des habitants de ce village, qui a vu naître le célèbre artiste Kamel Hamadi, auquel d’ailleurs les Ath Daoud ont rendu un grandiose hommage en 2009. Une autre équipe d’hommes et de femmes du village a été chargée de le préparer. “L’événement est, certes, essentiellement médical, mais il a également un autre objectif : il s’agit de rassembler les habitants du village et de partager tous ensemble ce moment de retrouvailles”, nous explique Karima, une jeune femme originaire du village, venue d’Alger où elle réside spécialement pour assister à l’événement. “Plus de 80% des habitants du village vivent à l’extérieur et ne viennent que rarement, alors dans notre association, nous avons décidé de multiplier les événements pour les rassembler et permettre de renouer les liens”, explique Kamel Aït Dris, soulignant que même les médecins qui participent à cette journée sont en grande majorité originaires du village. “Dès que nous avons lancé notre appel, de nombreux médecins originaires du village se sont manifestés et se sont portés volontaires pour participer à cet événement. Certains, nous ne les connaissions pas. D’autres n’ont aucun lien avec le village mais ils sont venus parce qu’ils ont juste apprécié l’initiative”, explique-t-il encore, précisant qu’un appel a été également lancé aux habitants des villages voisins de Yattafène, d’Akbil et d’Iboudrarène. “Nous voulions faire profiter toute la région car les maladies n’ont pas de frontières et puis, ici, les villages sont tous reliés par des liens familiaux”, explique M. Aït Dris, qui estime que la réussite de cet événement “donne de l’espoir pour l’avenir” et permet, dit-il, de “se rappeler qu’il faudra garder les pieds sur terre”. 
Concernant l’association qu’il préside, Kamel Aït Dris rappelle qu’elle a lancé récemment ses activités avec des volontariats et compte désormais, selon son président, en lancer d’autres à même de redonner vie au village et de renouer avec les valeurs ancestrales qui caractérisaient la région. “Nous voulons susciter l’adhésion des villageois par des actions concrètes”, dit-il, soulignant que les idées foisonnent chaque jour un peu plus au sein de l’association Tamusni.  “Le potentiel existe, c’est indéniable, il faut juste savoir l’identifier puis pouvoir l’exploiter. L’événement d’aujourd’hui est un bon exemple”, considère notre interlocuteur, remerciant au passage tous ceux qui ont contribué à sa réussite. En plus de son potentiel humain et de ces liens de solidarité et de fraternité désormais retrouvés, ce village de haute montagne dispose aussi de potentialités naturelles non des moindres. Avec sa mythique source Tala Melulen qui fait jaillir de l’eau chaude des entrailles de la terre au printemps, son ancien circuit touristique qui mène, à travers la dense forêt de la région, jusqu’à Lalla Khedidja, ses anciens moulins à eau qui peuvent être réhabilités et valorisés, Aït Daoud compte parmi les villages de Kabylie qui peuvent envisager même un développement touristique à l’avenir.  
 

Réalisé par : SAMIR LESLOUS

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