Reportage PÔLE D’IGHZER OUZARIF À BÉJAÏA

Un no man’s land nommé nouvelle ville

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M. OUYOUGOUTE Publié 20 Octobre 2021 à 10:28

© D.R
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Quelque 16 000 logements sont prévus dans cette nouvelle ville jouxtant le chef-lieu de wilaya appelé à s’agrandir dans les toutes prochaines années avec la livraison du nouveau pôle de Sidi-Boudrahem sur les hauteurs de Béjaïa. Sauf qu’en termes d’équipements publics, les projets ne suivent pas. D’où le risque de se retrouver avec les éternelles cités-dortoirs qui ternissent l’image de nos villes. 

Plusieurs nouvelles résidences sortent de terre, à Ighzer Ouzarif dans la commune d’Oued-Ghir. Les quelque 16 000 logements, prévus dans le haut Oued-Ghir, sont en phase de finition. Certains bâtiments ont une vue imprenable sur les montagnes et les collines de Toudja. D’autres dominent les habitations d’Oued-Ghir et ont une vue qui se prolonge jusqu’aux montagnes de Tala Hamza et d’Amizour. Les premières livraisons des logements AADL 1 et 2 témoignent des années de travaux, qui se sont avérés nécessaires pour le promoteur constructeur chinois pour édifier ces milliers de logements, qui attendent désespérément leurs futurs locataires et acquéreurs. Il est 10h lorsque le véhicule arrive au nouveau pôle d’Ighzer Ouzarif dans la commune d’Oued-Ghir. Nous y accédons par la route de Toudja ou en prenant à droite via Oued-Ghir jusqu’à atteindre le sommet où nous apercevons les premiers blocs sortis de terre. Une nouvelle ville s’offre au visiteur, elle tranche avec les anciens quartiers d’Oued-Ghir. Et de là, nous prenons une route non goudronnée quasi impraticable en raison des nids-de-poule et des sillons creusés par de gros camions et des semi-remorques qui alimentent les interminables chantiers. Ces camions à gros tonnage slaloment entre ces blocs de logements toujours en finition. Hormis les ouvriers éparpillés sur divers blocs de logements, il n’y a pas âme qui vive. Sans les camions et les quelques rares automobilistes – véhicules de service des entreprises publiques et privées – nous avons du mal à croire que plus de 3 000 logements AADL 1 et 2 ont été distribués en mai dernier. Autant de logements viennent d’être tout juste livrés en attendant la réception très attendue des logements socio-locatifs. 

Une nouvelle ville sort de terre
Quelque 16 000 logements - toutes formules confondues - sont prévus dans cette nouvelle ville jouxtant le chef-lieu de wilaya, appelé à s’agrandir dans les toutes prochaines années avec la livraison du nouveau pôle de Sidi-Boudrahem sur les hauteurs de Béjaïa. Il est difficile de croire qu’autant de familles, soit 16 000, vont cohabiter dans cet espace à l’achèvement de tous les projets. Pour rencontrer les premières familles ayant occupé leurs logements, il a fallu atteindre le sommet. Outre les ouvriers des entreprises chinoises et algériennes, nous apercevons, çà et là, des pères et des mères de famille en compagnie de leurs enfants attendant le bus à des arrêts improbables.  Le premier à nous décrire la vie dans ce no man’s land, est Fatah. En tenue shanghai, ce retraité d’une entreprise publique à Béjaïa, attend le bus. “Je viens d’accéder enfin à mon logement AADL. J’habite juste en face – il nous montre un bâtiment plutôt bien fait — Mais ma joie a été de courte durée”, regrettera-t-il tout en ajoutant : “J’habite un immeuble où il n’y a ni eau ni gaz de ville. Nous payons des charges mais les escaliers sont toujours sales. Nous ne voyons jamais les femmes de ménage ; c’est vraiment du vol. Les travaux de finition sont toujours en cours. Heureusement que je suis à la retraite sinon je ne sais pas comment j’aurais pu me débrouiller.” Un peu plus loin, nous rencontrons Rafik, en compagnie de son fils de 4 ans. Il nous décrit, chiffres à l’appui, la même situation. “Je paie un loyer de près de 10 000 DA dont 3 050 de charges. J’ai été obligé de céder mon logement de location à Béjaïa-ville car sinon cela aurait été impossible pour moi de m’en sortir. Vous avez remarqué, il n’y a aucun commerce. Nous devons faire des kilomètres pour faire notre marché ou acheter une bonbonne de gaz. Il n’y a pas de gaz de ville. On ne cesse de nous dire que le problème sera réglé. Cela fait des mois que nous attendons. Idem pour l’eau. Nous nous approvisionnons par camion-citerne.” “Même pour le linge, ajoute sa femme, nous avons recours à ces mêmes camions. 1 000 DA pour la citerne de 800 litres ; 1 500 à 2 000 DA pour celle de 1 000 litres.” Le transport ? “Il y a deux bus de l’ETUB qui font six rotations chacun. Le dernier vient de la gare routière de Béjaïa à 18h. Comment doivent faire ceux qui sortent du boulot après 18h ?, s’interroge Riad, qui travaille au port de Béjaïa. “Je quitte le travail à 20h. Comment faire ? Je ne peux pas me payer chaque fois un clandestin pour 1 000 DA la course ? C’est le tarif exigé”, explique-t-il.

Ces familles qui refusent d’y habiter
Une étudiante, qui attendait le bus, dit avoir raté plusieurs fois les cours en raison des horaires du transport public ? “Le Cous n’a pas prévu de desserte dans le nouveau pôle d’Ighzer Ouzarif. Comment faire ?” Idem pour les collégiens et les lycéens, qui ne peuvent compter que sur le transport scolaire. C’est la raison pour laquelle plusieurs familles ont décidé de renoncer à habiter leurs nouveaux logements. 
Rafik assure qu’“il n’y a que deux familles sur quarante qui  occupent ces appartements. Ils préfèrent payer deux loyers plutôt que de s’aventurer à Ighzer Ouzarif”. Nadia fait partie de ces familles. 
Cette enseignante au collège paye deux loyers : celui de son appartement en ville à Béjaïa et celui dans la nouvelle cité. “Mon mari travaille dans le Sud. Je ne peux rester seule avec mes enfants dont certains en bas âge. Je suis venue vérifier si l’immeuble a été raccordé aux réseaux d’AEP et de gaz de ville et voir si le logement n’a pas été squatté.” 
Elle parle d’insécurité et appelle de tous ses vœux à l’ouverture d’un commissariat dans les plus brefs délais. Idem pour la poste, pour une antenne administrative de la commune, mais aussi pour un centre de santé et un poste avancé de la Protection civile. Kaci, 56 ans, est catégorique : “Je ne vois pas pourquoi ils se sont empressés de livrer les logements alors que tout est encore à faire. Il n’y a rien. Nous aurions pu patienter quelques mois de plus, l’année scolaire 2021/2022, le temps de terminer les travaux, de construire une gare routière, un centre de soin, une agence postale, un commissariat, voire plusieurs commissariats, car cette cité est appelée à recevoir 16 000 familles. Il n’y a même pas le minimum. Quand nous sommes sans gaz de ville et sans eau, nous ne pouvons pas vivre. L’éclairage public ne fonctionne qu’à certains endroits. La nuit, c’est l’insécurité totale. Et pour couronner le tout, il y a absence de réseaux des trois opérateurs. Idem pour la téléphonie fixe. Imaginez en cas d’urgence, comment ferons-nous ?”
Il faut signaler également la présence de chiens errants. “Ils peuvent être très dangereux notamment pour les personnes qui commencent très tôt ou qui terminent tard.”  “Il faut dire que plusieurs décharges sauvages ont vu le jour depuis quelques mois. Rien n’a été prévu à ce sujet”, signale Kaci. 
“Nous sommes obligés de parcourir un kilomètre ou deux pour nous débarrasser de nos ordures ménagères. Ce n’est pas sérieux. Même chose avec la station d’épuration. Elle est prévue, mais elle est inexistante”, affirme-t-il. À notre passage, nous avons constaté qu’il y a au moins deux décharges sauvages la plus importante étant celle évoquée par les interviewés.
Salah, le plus âgé des personnes rencontrées, a le moral. “J’ai aperçu des agents de la SDE (Groupe Sonelgaz) qui ont installé des détendeurs de gaz pour les blocs destinés au social. Quant aux sites 900, ils n'ont pas encore été totalement branchés et le gaz est toujours coupé. J’espère qu’ils ne nous feront pas le coup de brancher les logements sociaux au détriment des logements AADL 1 et 2. Ils nous ont promis du gaz de ville pour le 15 octobre dernier, mais il n’y a toujours rien. 
J’espère tout de même que nous ne passerons pas l’hiver à grelotter. Les nuits sont déjà fraîches, vu que nous sommes à un kilomètre à vol d’oiseau des montagnes de Toudja”, a-t-il conclu. 

 

 

Par :  M. OUYOUGOUTE

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