L’Actualité Fodil Mohammed Sadek, professeur en sciences du langage

“La fraude à l’école annonce des effets effroyables sur la société”

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Karim BENAMAR Publié 24 Juin 2021 à 09:50

© D.R
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Le professeur Fodil Mohammed Sadek de l’université de Tizi Ouzou analyse la pratique de la fraude aux examens de fin d’année. Il décrypte un phénomène qui tend à se généraliser et se banaliser. Il tire la sonnette d’alarme sur les conséquences de cette pratique, non pas uniquement sur l’apprenant, mais également sur toute la société.

Liberté : La fraude aux examens de fin d’année, BEM et baccalauréat, notamment, a pris de l’ampleur depuis quelques années et tend à se généraliser. De quoi ce phénomène est-il le signe ? 

Fodil Mohammed Sadek : D’abord, c’est le signe de la mauvaise santé morale de notre système éducatif. C’est vraiment l’expression d’une école qui confond apprentissage individuel, par le biais de l’effort sur soi, et arrivisme qui ne s’encombre d’aucun scrupule pour grimper dans l’échelle sociale. La fraude n’a pas de sens pour un élève à qui on a appris à être autonome et à ne compter que sur ses capacités intrinsèques pour résoudre un problème. Elle intéresse ceux qui feignent savoir ce qu’ils savent ne pas savoir.

Pourquoi l’élève recourt-il aujourd’hui à la fraude ? 

Pour plusieurs raisons dont, sans doute, la plus importante est la pression exercée par la société sur des élèves qui ne comprennent pas toujours pourquoi ils vont à l’école. Les élèves trichent surtout pour avoir de bonnes notes, être classés parmi les bons élèves, et ainsi satisfaire leurs parents, même si les notes obtenues ne reflètent pas leur niveau réel. Il n’y a qu’à se renseigner sur le nombre de parents qui consultent régulièrement les enseignants pour s’enquérir de la progression réelle de leurs enfants, comparés à ceux qui veulent en découdre avec les enseignants, car ils pensent à tort ou à raison que leurs enfants méritent de meilleures notes !

Quelles sont, selon-vous, les conséquences d’un tel phénomène autant sur l’apprenant que sur la société où il évolue ?  

Les enfants d’aujourd’hui étant les adultes de demain, il est très aisé de prédire les effets effroyables qui guettent la société dans le futur. Un élève convaincu que la réussite scolaire et sociale passe nécessairement par la fraude aura beaucoup de mal à admettre l’honnêteté et l’intégrité comme piliers moraux dans la réussite de sa vie sociale, familiale et professionnelle.
Lorsque le système politique sur lequel est basé le système éducatif en question encourage la fraude (dans les élections par exemple), cela ne peut qu’encourager les enfants à imiter leurs parents, et bonjour les dégâts !

Pourquoi, selon vous, les moyens colossaux mobilisés par l’État pour juguler cette pratique s’avèrent peu efficaces ?

Dans certains pays, dont le nôtre qui ne propose pas d’alternative, on a fait du bac le sésame unique pour la réussite sociale, et ne pas l’obtenir est devenu synonyme d’échec tout court. La pression devient toxique pour les candidats, et ceux qui s’y sont peu ou pas préparés sont tentés par la fraude qui permet d’obtenir, sans le mériter, le symbole de la réussite scolaire. Les autorités ne cherchent pas à comprendre le nœud du problème et cherchent à le résoudre par un arsenal disproportionné de mesures tant organisationnelles que juridiques, perçues comme répressives par les candidats. Ce qui suscite d’ailleurs beaucoup de tension dans les salles de surveillance. 

Des candidats surpris en train de tricher ont été jugés en comparution immédiate et condamnés à différentes peines de prison. Ce moyen répressif est-il efficace ? 

Dans une société saine, régie par des lois respectées par tous, tout individu qui contrevient aux règles qui la régissent doit subir les conséquences de son acte. Ces personnes sont enfermées, afin de ne pas récidiver. Or, comment prévenir un candidat (au succès) d’agir honnêtement, lorsque durant toute sa scolarité il/elle a eu recours à la fraude pour s’en sortir ? C’est en amont qu’il faut traiter le problème, pas en aval. 

Quelles devront être les solutions ?

Il faut d’abord revenir à l’essentiel. Qu’est-ce que le bac ? Sinon une épreuve sanctionnant une formation qui est passée du statut de simple évaluation pédagogique à un statut de concours national mobilisant des ressources et des moyens extraordinaires durant 4 à 5 jours, comme s’il s’agissait d’un plan Orsec. Il faut savoir qu’il existe 2 formes d’évaluation pédagogique : l’évaluation formative et l’évaluation sommative. Dans les systèmes éducatifs à forte tendance répressive, l’évaluation sommative se taille la part du lion, car c’est précisément ce type d’évaluation qui intéresse en premier lieu l’administration. Il lui permet d’organiser les examens trimestriels tout en contrôlant le rendu administratif des enseignants. Quant à l’évaluation formative, centrée sur la progression effective du niveau des élèves tout au long de l’année, elle est très peu ou pas utilisée du tout. Au lieu de privilégier l’acquisition de connaissances et de compétences, on promeut la notation ! On voit bien où se situent les priorités. L’idéal serait donc de revenir à une école où les élèves vont pour acquérir des connaissances susceptibles de les aider à mieux organiser et orienter leur vie, dans une atmosphère apaisée et où leur avis est pris en compte. Une école où ils se sentent à l’aise et en phase avec le monde dans lequel ils évoluent, pas en opposition avec lui. Il faut donc vite sortir de la perception de l’école comme une caserne où l’embrigadement et l’argument d’autorité prennent le pas sur la pédagogie, sur le raisonnement et sur la confrontation saine des idées. Les pays possédant les meilleurs systèmes éducatifs (Finlande, Suède...) sont paradoxalement ceux qui ont déjà ou qui tendent à supprimer l’évaluation sommative.

 

Propos recueillis par : Karim Benamar

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