L’Actualité Raouf Farrah, chercheur en géopolitique

“La situation au Sud demeure préoccupante”

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Karim BENAMAR Publié 05 Janvier 2021 à 23:48

© D. R.
© D. R.

Dans cet entretien, le chercheur en géopolitique Raouf Farrah revient sur les   dernières  opérations  antiterroristes  menées  par  l’ANP et analyse l’évolution   du  phénomène  terroriste  à   l’aune   des  développements régionaux.

Liberté :    L’armée  nationale  populaire   (ANP)  a  mené  récemment plusieurs opérations antiterroristes à travers le pays. Cela dénote-t-il d’une recrudescence de la menace terroriste ?
Raouf Farrah : Les récentes opérations  menées  par  l’Armée nationale populaire (ANP), notamment celle de Messelmoune à Tipasa dans la 1re Région militaire, où 3 vaillants soldats sont décédés, sont des opérations de recherche et de ratissage conduites sur la base de renseignements collectés par les détachements des régions.

À mon sens, ce genre d’opérations, même si elles permettent d’abattre un certain nombre de terroristes — six en l’occurrence — ne sont pas un indicateur d’une recrudescence du terrorisme en Algérie. D’abord, parce que ce sont des opérations régulières qui visent à mettre fin à ce que l’armée nomme “les résidus du terrorisme”.

Aussi, les armes récupérées sont usées et anciennes. De manière générale, les terroristes abattus sont souvent des individus pas jeunes, isolés dans des casemates aux conditions de vie très dures. La recrudescence du phénomène terroriste s’évalue sur d’autres critères, notamment sur le nombre de tentatives d’attentat, la capacité des groupes terroristes à recruter des jeunes. 

Y a-t-il, selon  vous, une  coordination entre  les  groupes  terroristes dont l’activité est signalée au centre, à l’est ou encore dans le sud du pays ?
Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) est une organisation affaiblie en Algérie. La désignation en novembre dernier de son nouveau chef, Abou Obeïda Youssef al-Annabi, après la mort de son chef historique, Abdelmalek Droukdel — tué par l’armée française au nord du Mali, ne va pas changer cette donne. La coordination entre les groupuscules encore “actifs” dans le nord de l’Algérie, notamment le long de la frontière algéro-tunisienne et au centre du pays, est faible.

Quant aux groupes présents à la lisière sud du pays, ils sont davantage orientés vers les organisations terroristes du Sahel, notamment Jama'at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) qui est elle-même affiliée à Aqmi. Néanmoins, l’arrestation, fin décembre 2020, par l’ANP, d’un terroriste à Jijel avec la somme de 80 000 euros (montant qui viendrait d’une importante opération de rançon effectuée au Nord-Mali selon l’ANP) suggère que certains terroristes entretiennent des liens étroits avec les groupuscules présents au nord de l’Algérie.

Traditionnellement, les groupes terroristes présents au sud de l’Algérie trouvent plutôt refuge dans les zones limitrophes, souvent à l’extérieur des frontières Sud, comme dans l’Adrar des Ifoghas au Mali ou dans la zone de la “montagne du Salvador”, un point de passage stratégique entre l’Algérie, la Libye et le Niger.

De quelle façon la situation sécuritaire en Algérie est-elle impactée par la question du paiement des rançons aux groupes terroristes ? 
L’Algérie est immédiatement touchée par “la politique du paiement de rançon”, car toute acquisition de ressources matérielles ou humaines contribue au renforcement des groupes terroristes.

En octobre, Bamako, sous la pression de la France, a libéré près de 200 jihadistes en échange de la libération de quatre otages et d’une somme de plusieurs millions d’euros — aucun chiffre précis ne peut être avancé avec certitude — par le groupe JNIM, mené par Iyad Ag Ghali. Paris nie tout paiement de rançon concernant cette opération, mais toutes les sources indiquent qu’un paiement “historique” a eu lieu.

Au-delà du renflouement des caisses du JNIM, c’est la libération de 200 terroristes qui pose de sérieux défis. Certains de ces jihadistes sont Algériens, et ils ont même été arrêtés au sud et au nord du pays. Alger semble ne pas avoir été informé de cette opération d’échange, au vu des frustrations exprimées par l’armée. Ce genre d’opération d’échange montre à quel point l’Algérie est immédiatement impactée par ce genre de développements. 

Comment, selon vous, l’armée s’y prendra-t-elle face à ces nouvelles donnes régionales ?
Je ne crois pas que  la  stratégie  de  lutte antiterroriste  menée  par  l’armée changera au cours des prochains mois.

La lutte amalgamée contre le terrorisme et le crime organisé  s’appuie sur le triptyque : 1- opérations de ratissage au Nord pour rechercher  et  mettre fin aux “résidus du terrorisme” ; 2- espionnage et collecte de renseignements sur les nouveaux foyers potentiels ; 3- sécurisation draconienne des frontières — plus  de 6 500  kilomètres — surtout à  l’est  et  au  sud  du  pays, avec  très souvent une approche hypersécuritaire et autoritaire qui gêne les communautés frontalières.

Bien que le risque terroriste soit faible, les événements de Jijel et de Tipasa doivent alerter les autorités et l’armée sur la nécessité de rester vigilants. La situation aux frontières, notamment au Sud, demeure préoccupante.
 

Propos recueillis par : KARIM BENAMAR

 

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