L’Actualité NACER DJABI, SOCIOLOGUE

“L’ACTIVITÉ SYNDICALE EST VITALE POUR LA SOCIÉTÉ”

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Karim BENAMAR Publié 17 Janvier 2022 à 23:48

© Archives Liberté
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“Ce n’est qu’à travers  la  modernisation  de  la  doctrine  syndicale des années 1930 et 1940 qu’on pourra réhabiliter l’action revendicative des travailleurs, avec un retour aux fondements mêmes des structures syndicales autour de la défense des droits des travailleurs”, explique, dans cet entretien, le sociologue Nacer Djabi.

Liberté : Les autorités veulent revoir les modalités d'exercice du droit syndical et plus précisément “éloigner définitivement” cette activité “des pratiques politiciennes et du lien organique entre les syndicats et les partis”.  Que signifie, pour vous, cette disposition ? 
Nacer Djabi : Cela me paraît, pour l’instant, vague. Nous ne savons pas encore avec précision quelle est la volonté des autorités à travers ces futures dispositions qui vont encadrer l’activité syndicale. Nous ignorons ce que veut réellement le législateur à travers ces dispositions. Y a-t-il une volonté réelle d’aller vers une véritable ouverture du champ syndical ? Si oui, nous sommes en droit de nous attendre, par exemple, à accorder l’autorisation d’exercice à la Confédération des syndicats autonomes (CSA) qui attend son agrément depuis plusieurs années. Je cite cet exemple pour dire, finalement, qu’au-delà du discours, il faut des décisions fortes et des actions concrètes comme la reconnaissance des syndicats autonomes et leur droit à se structurer autour d’une confédération. 
Dans une première hypothèse, et considérant que l’activité syndicale, aujourd’hui en Algérie, a besoin d’être restructurée avec un esprit en phase avec la modernité et de nouveaux paradigmes, les nouvelles dispositions annoncées, mais que nous attendons de voir concrètement, peuvent en effet apporter des choses positives. Le communiqué de la Présidence évoque un débat qui sera organisé sur cette question. C’est une bonne chose à condition que ce débat soit le plus large possible, en impliquant tous les acteurs du monde du travail : salariés, associations, syndicats autonomes, patronat, presse écrite et audiovisuelle. 

Quelle est la deuxième hypothèse ? 
À travers ces nouvelles procédures, qui pour l’instant ne révèlent en rien les intentions réelles du pouvoir, on peut imaginer le scénario du pire, en ce sens que par la formule "s'éloigner définitivement des pratiques politiciennes et du lien organique entre les syndicats et les partis", le pouvoir entendrait, en réalité, vider les structures syndicales de leur substance militante, ce qui poussera une partie des syndicats existants à disparaître et une autre partie à s’assujettir totalement au pouvoir politique. À ce propos, il est utile de rappeler que la loi interdit que des syndicalistes soient affiliés organiquement à des partis politiques. Cela d’une part. D’autre part, il convient de faire remarquer, avec la nuance que cela exige, que l’acte du syndicalisme est fondamentalement un acte de militance. On ne peut pas interdire, de ce point de vue, aux syndicalistes d’être des sympathisants de partis politiques. On ne peut pas interdire aux syndicalistes de porter leur choix sur telle ou telle formation politique. Ce serait, dans ce cas, un retour en arrière vers, par exemple, l’article 120 des années 1980 où le parti unique de l’époque exigeait une carte FLN pour pouvoir se syndiquer ! Une façon, à cette époque, d’éliminer toutes les influences du courant de la gauche progressiste dans le champ syndical. Je pense qu’il n’est pas dans l’intérêt du pouvoir de verrouiller cet espace de revendication des travailleurs au risque produire un nouveau maccarthisme en Algérie et de sombrer dans l’anarchie, au regard des politiques économiques de plus en plus austères.    

Que pouvons-nous attendre de ce débat annoncé ?
D’abord, comme je l’ai dit, il est très important d’ouvrir le débat sur ce dossier. C’est un grand chantier. Nous sommes un pays d’une grande expérience syndicale. Le syndicalisme a joué un rôle prépondérant dans l’histoire de notre pays depuis déjà le mouvement national, il a joué un rôle important également au lendemain de l’indépendance, il a eu un rôle important aussi dans l’élaboration des politiques économiques jusque dans les années 1980. Le syndicalisme, in fine, fait partie de la culture revendicative des Algériens. Il est ancré dans la société. Aussi, il est utile de souligner que l’activité syndicale en Algérie a toujours été pacifique. 

L’histoire est jalonnée de grèves menées par des syndicats et de manière totalement pacifique et sans violence. Ce débat annoncé peut être une occasion de capitaliser toutes ces expériences en les adaptant aux mécanismes actuels du monde du travail. Il est utile pour une refonte de la doctrine syndicale et la redéfinition des rôles de chacun, des droits et des devoirs de chaque partie : salarié, employeur, pouvoirs publics. L’activité syndicale est vitale pour la société. 

Quel pourra être l’avenir de l’UGTA dans la perspective d’une refonte de l’activité syndicale ? 
C’est la grande question. Traditionnellement, cette structure a toujours existé dans le giron du pouvoir. Il y a lieu de s’interroger, à travers toujours ces dispositions, sur la nature des relations futures pouvoir-UGTA. Est-ce que les autorités sont prêtes à aller jusqu’au bout, en revoyant leur rapport avec cette structure (UGTA), et en lui laissant le champ libre de son activité ? Encore une fois, traditionnellement, le pouvoir politique s’est toujours servi de ce syndicat, en lui imposant des orientations en contradiction totale avec ses missions naturelles. Le pouvoir a toujours imposé à l’UGTA des décisions politiques ou économiques. Pis encore, l’UGTA, ces dernières années, jusqu’en 2019, était tellement soumise au pouvoir politique qu’elle a fini par devenir carrément un gadget aux mains de l’oligarchie qui a existé à la périphérie du système politique. 
Il est intéressant de voir justement, à travers ces dispositions annoncées, comment donc cette ancienne et historique structure syndicale va évoluer à l’avenir. C’est de mon point de vue un marqueur important pour juger de la volonté réelle du pouvoir d’ouvrir la voie à une nouvelle expérience syndicale, libre et en phase avec les nouvelles exigences de la modernité. 

En quoi le syndicalisme est-il utile ?
L’Algérie a une grande expérience syndicale qui remonte aux années 1920-1930. Il y a de ce point de vue un héritage des luttes syndicales fort intéressant à explorer et exploiter aujourd’hui pour donner naissance à une nouvelle expérience plurielle, revendicative, démocratique et en accord avec les exigences du monde du travail d’aujourd’hui. 
Il faut sortir aujourd’hui de la vision qu’on a du syndicalisme. Le syndicalisme n’est pas une activité subversive comme veut bien le faire accepter une partie de l’élite dirigeante algérienne. Les syndicalistes ne sont pas des perturbateurs ou des agitateurs comme tendent à le penser certains. C’est d’abord un droit des travailleurs de se protéger et défendre les salariés de tous bords. C’est ensuite une activité vitale dans son acception sociale. De plus en plus de couches moyennes ont besoin aujourd’hui de cette protection, aussi bien dans le secteur public que privé. 
Aussi, avec l’intégration en force de la femme dans le monde du travail et du salariat, le syndicalisme devrait bien au contraire se généraliser avec des structures au niveau de tous les secteurs du travail. Il faut peut-être le rappeler encore une fois, le syndicalisme est aujourd’hui un outil de modernisation de la société.  

Que peuvent attendre les travailleurs de ces nouvelles procédures ? 
Une refonte doctrinale. Le travailleur s’attend à ce que les rapports travailleur-employeur soient redéfinis, en prenant en considération les défis de la modernité. Il s’attend à ce que le rapport entreprise-pouvoir politique soit revu et corrigé. Il s’attend à ce que ses droits soient protégés, que sa parole soit libre et entendue. 
Pour ce faire, je pense qu’il faut commencer par moderniser la doctrine syndicale héritée des années 30 et 40 et l’adapter aux nouvelles techniques du monde du travail. La classe ouvrière de cette époque n’est pas la même que celle d’aujourd’hui. En 2022, la classe ouvrière se caractérise par un niveau de qualification de plus en plus élevé. On ne peut pas la gérer avec les mêmes paradigmes du passé. 
Ce n’est qu’à travers cette modernisation qu’on pourra réhabiliter l’action syndicale et retrouver le fondement même de ces structures à savoir la défense des droits des travailleurs.
 

Entretien réalisé par : KARIM BENAMAR

 

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