L’Actualité Procès du groupe Amenhyd

Le coup de gueule d’Abdelmalek Sellal

  • Placeholder

Ali BOUKHLEF Publié 08 Janvier 2022 à 11:32

© D.R
© D.R

Le procès des anciens responsables et du groupe Amenhyd s’est poursuivi jeudi dernier avec l’audition de beaucoup de responsables, dont l’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal, accusé de corruption et d’avoir accordé d’indus avantages.

Cela doit s’arrêter”. Lors d’une énième comparution pour répondre aux questions du juge du pôle spécialisé du tribunal de Sidi M’hamed qui l’interrogeait sur son rôle dans le dossier de l’entreprise Amenhyd, l’ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a contenu difficilement sa colère, se montrant parfois dépité, malgré son tempérament calme et le ton qu’il a souvent adopté. Entouré d’une nuée d’avocats, vêtu d’une parka bleu nuit, Abdelmalek Sellal avait l’air fatigué. La voie calme, parfois triste, il est debout face au jeune juge chargé d’instruire une affaire aussi complexe que confuse qui a pour trame l’attribution d’un marché portant raccordement de plusieurs communes des wilayas de Bordj Bou-Arréridj et de Sétif en eau potable. 

Avant d’accepter de “répondre à tout” sur le fond, l’ancien Premier ministre s’est donné quelques minutes pour se livrer à un discours politique. “Je ne comprends pas pourquoi vous me convoquez à chaque fois pour m’expliquer sur des affaires dans lesquelles je n’ai rien à voir”, dit-il au magistrat. Avec une rare pédagogie, il explique à l’assistance qu’il était “un homme politique” et non “un fonctionnaire de l’État”. “Le Premier ministre est un homme politique. Ma fonction et mes prérogatives sont claires : je dois prendre des décisions pour trouver des solutions” aux problèmes, assène-t-il, avant d’ajouter, avec une colère difficilement contenue, que sa présence dans ce lieu “n’avait pas lieu d’être”. “Il n’existe nulle part au monde où un Premier ministre est mis en prison !”, tempête-t-il encore avec un bagout qu’on lui connaît peu.

Visiblement résigné, il ajoute : “Je réponds à vos questions, sans problèmes. Mais à un moment, il faut que cela s’arrête !” “Condamnez-moi à 100 ans si vous voulez ! Je n’ai peur de rien, car, si je dois me sacrifier pour le bien de l’État, je suis prêt”, s’est-il adressé au magistrat qui ne bronche pas. L’assistance est bluffée ! L’homme vient ainsi résumer une situation qui fait de lui un prisonnier atypique : il est, avec Ahmed Ouyahia, parmi les rares responsables politiques à être associés quasiment à tous les dossiers traités par la justice.

Cette mise au point faite, Abdelmalek Sellal revient sur le fond du sujet qui lui cause des déboires. Il ne renie rien de ses décisions et pour garder le cap sur le caractère politique de ses décisions, il tient à en situer le contexte. Il rappelle que l’option de raccorder les régions ouest de la wilaya de Bordj Bou-Arréridj n’était pas “ma décision”. Mais à l’époque, “cette région de Mansourah manquait d’eau souterraine, la population ne recevait que très peu d’eau”, a-t-il rappelé. Puis, “les rapports des services de sécurité qui me parvenaient rapportaient toujours des manifestations des populations à cause des pénuries récurrentes d’eau potable”, dit-il encore. “Je ne pouvais pas laisser les citoyens mourir de soif !”, a-t-il encore appuyé. En effet, tous les témoignages de la vingtaine de responsables, anciens walis et ministres ont convergé vers un seul point : l’attribution, en 2014, du marché de gré à gré à un groupement constitué de la société publique Foremhyd et de la société Amenhyd, propriété des frères Chelghoum. D’un montant de plus de 7 milliards de dinars, la transaction devait légalement se faire après un avis d’appel d’offres, comme le prévoit le code des marchés publics qui exige la concurrence dans les transactions dépassant 1 milliard de dinars. Mais, “le caractère urgent” du projet a poussé le directeur général de l’Algérienne des eaux (ADE), qui s’est appuyé “sur une décision du ministre” des Ressources en eau de l’époque, Hocine Necib, à proposer la formule de gré à gré, qui permet de gagner du temps. 

“La procédure d’avis d’appel d’offres pouvait durer au moins 18 mois. Pis encore, rien que l’élaboration et l’adoption du cahier des charges pouvaient prendre au moins 4 mois. Et encore ! pour accélérer les démarches, il fallait de solides appuis au ministère des Finances”, relate Sellal, qui suscite des rires gênés dans la salle. “Je dis la vérité : j’ai été ministre durant 10 ans, Premier ministre durant 5 ans et plusieurs fois wali. C’est cela la réalité de notre pays”, tempère-t-il. 

Abdelmalek Sellal explique que s’il ne pouvait pas être directement responsable de la décision, puisque “je n’ai fait qu’entériner une décision collégiale prise au sein du gouvernement”, il a justifié ainsi le recours à l’attribution du marché par la procédure de gré à gré. Il a emboîté le pas à l’ancien ministre des Ressources en eau, Hocine Necib, qui a expliqué le recours à cette procédure simple tout en niant avoir été celui qui a pris la décision.“Je n’ai aucun pouvoir pour décider d’octroyer un marché de gré à gré. Je n’ai fait que transmettre une demande émanant de l’ADE au gouvernement. Néanmoins, je reste convaincu que le caractère urgent du projet était totalement justifié”, a affirmé Necib, incarcéré depuis juin dernier dans le même dossier. 

Pourquoi le recours au gré à gré ?
En plus d’avoir attribué ce marché - et d’autres encore - par le procédé de gré à gré, le juge a interrogé les responsables présents sur les raisons qui ont justifié le choix de la société Amenhyd. “Le choix s’est imposé de lui-même, a répondu un ancien DG de l’ADE. La société avait déjà réalisé un projet de raccordement de 5 communes de Bouira dans des délais très raisonnables. Puis, elle avait du matériel sur place et les prix proposés en 2014 étaient ceux de 2012. Cela nous a permis de faire gagner au Trésor public 66 milliards de centimes.”  “Le groupe Amenhyd avait une bonne réputation”, a expliqué Hocine Necib. Ensuite, à Abdelmalek Sellal d’ajouter : “Je rappelle que ce n’était pas ma décision. Mais nous avons décidé de choisir cette entreprise pour différentes raisons : la première c’est qu’elle était en groupement avec une société publique, ForemHyd. Cela nous a mis en confiance, puisqu’il s’est agi de deux sociétés algériennes.

La deuxième est qu’elle avait promis d’achever le projet en 22 mois, ce qui est un exploit ! En plus de cela, les prix de la transaction étaient les mêmes que ceux de 2012, donc pas élevés. Nous n’avons donc pas regretté ce choix puisque l’entreprise a tenu ses promesses et les projets ont été réalisés.” Même tenue dans un tribunal, cette déclaration a suscité des applaudissements dans la salle.

Ce témoignage a été conforté par tous les anciens responsables de l’ADE et du ministère des Ressources en eau, présents comme accusés, mais venus libres. Une fois les réponses sur le choix de la société entendues, le juge a beaucoup insisté sur les raisons qui ont poussé les autorités à accorder des avenants aux entreprises de réalisations. Là aussi, les réponses étaient unanimes : les responsables de la société Amenhyd et les dirigeants ont expliqué que les reliefs de la région et surtout l’ajout de plusieurs localités qui n’étaient pas prévues dans le programme initial ont justifié des rallonges budgétaires. Concernant les retards, ils étaient dus essentiellement au relief montagneux de la région, mais surtout aux problèmes liés aux expropriations, ont expliqué les anciens ministres et Abdelmalek Sellal qui ont tenu à éluder l’accusation de corruption. “Parfois, les indemnisations étaient rejetées et les citoyens expropriés contestaient les montants proposés par les autorités”, a expliqué un ancien responsable de l’Algérienne des eaux. 

Outre ces chantiers, les responsables de la société Amenhyd ont été également poursuivis pour avoir obtenu des assiettes pour réaliser différents projets dans d’autres wilayas du pays. C’est le cas d’un terrain situé à Ouled-Fayet à Alger où le groupe des Chelghoum projette de créer un grand centre commercial. “Nous savions depuis 2017 que la commande publique s’amenuisait. Pour offrir des alternatives à nos salariés, nous avons pensé nous diversifier. C’est comme cela qu’un centre commercial qui pouvait permettre plus de 500 postes d’emplois directs s’était imposé à nous”, avait indiqué le P-DG du groupe, Djamel-Eddine Chelghoum. Interrogé sur les conditions de l’octroi de cette assiette, Abdelkader Zoukh, l’ancien ministre de l’Habitat, a expliqué que cela s’est fait “dans le cadre d’une concession”. 

L’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, Mohamed Hattab, interrogé comme ancien wali de Sidi Bel-Abbès, a donné la même réponse lors qu’il s’est agi d’expliquer l’octroi d’un terrain à Amenhyd pour la construction d’une usine de préfabriqué. La société s’est désistée et a même abandonné le projet. L’ancien wali de Blida a, de son côté, trouvé normal d’octroyer un terrain pour “une grande entreprise” pour ériger sa base logistique dans sa wilaya. Le procès se poursuivra demain avec le réquisitoire du procureur de la République et les plaidoiries des avocats des différentes parties. Le verdict est attendu pour la semaine prochaine.

 


Ali Boukhlef

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00