L’Actualité Ath Yenni sort péniblement de l’enfer

Le sommet du funeste

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Karim BENAMAR Publié 17 Août 2021 à 09:58

© D.R
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La fin tragique de Lyasmine, 26 ans, en sauvant ses voisines, ses amies, sa sœur, des femmes avec des nourrissons, résume l’effroyable drame vécu par la population d’Ath Yenni en flammes durant cette journée maudite du 9 août. Notre reporter revient de la région avec un récit glaçant.

Lyasmine, jeune fille de la montagne, 26 ans, et des rêves inachevés. Les incendies de forêt à Ath Yenni l’ont prise au piège et foudroyée mortellement. Ath Lahcen, son village natal, n’en revient toujours pas, cinq jours après l’horreur. Le deuil est impossible dans la montagne d’Idir. Vaillante était pourtant Lyasmine qu’on décrit, ici, dans toute la commune, comme un bourgeon printanier qui embaume la Colline de Mammeri. Elle aura tenu tête aux flammes de l’enfer, seule, pendant que tout le village organisait son évacuation, fuyant les boules de feu  qui se sont acharnées, quatre jours durant, sur la terre des joailliers. Quand la cité des 100-Logements est cernée par les flammes gigantesques, ce 9 août, le seul souci de Lyasmine était d’aider les femmes de sa cité à se sauver. Il faut vite organiser l’évacuation et monter dans le camion à benne dépêché sur place, dans l’urgence, pour extirper les habitants de la cité de la gueule des flammes. Les femmes et les enfants d’abord.

À la force des bras, elle réussit à faire monter dans le camion ses voisines, ses amies, sa sœur, des femmes avec des nourrissons ou encore une femme enceinte, avant de s’agripper, à son tour, au camion salvateur. L’engin démarre en trombe et réussit à s’échapper des flammes qui, à ce moment-là, lèchent déjà les immeubles de la cité perchée sur le bord d’une colline désormais tourmentée. À peine une dizaine de mètres parcourus par le camion, vers un lieu sûr, Lyasmine hurle et demande au chauffeur de s’arrêter net. Une non-voyante, selon plusieurs témoignages recueillis sur place, dont celui de sa sœur Sonia, restait debout et perdue au milieu de la cour de la cité. Il n’est pas question de l’abandonner aux flammes, devait se dire la vaillante Lyasmine.

Dans la panique générale, elle tente de descendre de la benne du camion pour arracher la non-voyante du feu prêt à tout dévorer sur son passage. Dans son geste héroïque, Lyasmine chute mortellement, la tête la première, et reste affalée et inerte sur le sol de longues secondes. Deux jeunes de la cité encore sous le choc, témoins de la scène, accourent à son secours. Ils relèvent le corps de la jeune fille, déjà sans vie, et tentent de la mettre à l’abri. Mais le fol incendie souffle de plus belle. Menacés par les flammes, ils finissent par lâcher le corps et abandonner Lyasmine au feu. Ils courent se réfugier dans une cage d’escalier du premier immeuble de la cité.

Lorsque le brasier a fini de dévorer tout le couvert végétal autour de la cité, on récupère le corps de la jeune fille carbonisé. “Un amas de cendres”, dit, bouleversé, un habitant de la cité qui jure avoir été face-à-face avec l’horreur.  Une semaine après, Ath Lahcène reste encore figé dans cette interminable séquence mortifère. Ses villageois refusent d’admettre que la pétillante Lyasmine ne scintillera plus dans les petites ruelles de cette montagne qui côtoie les cimes. Lyasmine était de ces bijoux forgés dans les hauteurs de Kabylie, face à la Main du Juif. Pleurez artisans d’Ath Yenni. “Tout le village la connaissait. Elle participait à toutes les actions sociales et culturelles d’Ath Lahcène.

Elle aimait surtout le dessin et les plantes”, raconte d’une voix asséchée Saïd Chenane, père de la disparue, le visage ravagé par la douleur et sur lequel transparaît l’ampleur de la dévastation des ravins des Ouacifs, des massifs d’Ath Toudert, de la rivière de Takhoukth, des oliveraies de Larbâa Nath Irathen et d’Asqif n’Tmana, qu’on distingue au loin, à Aïn El-Hammam. Le père de Lyasmine était également sur les lieux de l’horreur, comme tous les hommes qui sont restés sur place, luttant, en vain, à mains nues, contre les feux dévastateurs. Il n’a pas vu sa fille tomber du camion. Il n’a pas vu les flammes dévorer Lyasmine.

Ce dimanche 15 août, sa maison est restée ouverte aux hommes et aux femmes qui affluent, dans un cortège funéraire, de tous les villages voisins. Ils viennent présenter leurs condoléances à la famille éplorée. “Ne restons pas ici”, dit le père de Lyasmine. Il nous invite à faire le tour du village et à admirer plusieurs dessins qui ornent les murs des maisons. Il y a aussi ces pots de plantes suspendus aux fenêtres qui embellissent, en silence, la commune de Mohammed Arkoun. “Tous ces dessins, c’est elle. C’est Lyasmine avec les filles du village qui ont fait tout ça”, dit le père, en larmes. Sonia, la sœur de la victime, psychologue, raconte que Lyasmine devait commencer à travailler ce 6 septembre comme aide-soignante, après avoir réussi son concours à l’Institut paramédical de Tizi Ouzou. “Elle en était tellement fière…”, ajoute, effondrée, Sonia. 

“Un beau tableau défiguré”
Si les villages d’Ath Yenni, bâtis sur une crête de montagne qui caresse presque le ciel, gardent leur intérieur encore propre et leurs petites ruelles embellies par les pots de fleurs silencieux, tout autour, le contraste est saisissant. Depuis les balcons d’Ath Yenni, dominant les communes de Larbâa Nath Irathen et d’Aïn El-Hammam, au Nord, le regard fait face à un spectacle sombre et désolant. Pas une parcelle de terre n’a été épargnée par les gigantesques flammes des incendies de plus de 20 mètres de hauteur, selon les nombreux témoignages des villageois. Même décor en ruine, au Sud. Pas un seul olivier des Ouacifs, d’Ath Toudert ou encore de Beni Douala n’a survécu au désastre écologique. Depuis la terrasse du siège de la mairie, à Taourirt Mimoun, le paysage semble comme pétrifié. “34 km2 de couvert végétal sont partis en fumée”, dit Smaïl Deghoul, le jeune maire de la commune d’Ath Yenni. “D’ici, on admirait un beau tableau. C’est maintenant une toile défigurée et souillée par les cendres”, lâche le maire, abattu.

La faune n’y a pas échappé non plus. “Tous les animaux ont été décimés”, ajoute-t-il, le visage catastrophé. Les stigmates de l’horreur sont encore vifs, une semaine après que la Kabylie a plongé dans les ténèbres. La population, encore sous le choc, décrit des scènes apocalyptiques. C’est que pendant plusieurs jours, les flammes n’ont pas lâché les villages de la Colline oubliée, endeuillés par la perte de deux autres de ses enfants. Abed Hakim, 39 ans, et Adel Belkacem, 64 ans, ont été retrouvés morts, carbonisés. Le premier est natif de Taourirt Mimoun, chef-lieu de la commune, et le second d’Ath Lahcène, village de Lyasmine. “Nous n’avons jamais vu cela. On aurait cru que des boules de feu tombaient du ciel. Je n’ai jamais pensé, un jour, vivre une telle horreur”, dit Djaffar, un jeune ingénieur, qui dit être intrigué par la célérité avec laquelle la traînée de feu a tout consumé sur son passage, des dizaines de kilomètres à la ronde. “Du côté nord d’Ath Yenni, les massifs n’ont jamais été touchés par les feux. Humides, aucun feu ne prenait de ce côté. C’est vraiment étrange ce qui est arrivé ici. Les vieux du village ne se rappellent pas avoir connu un tel désastre”, affirme le jeune ingénieur.

La reconstruction
Livrée 4 jours durant aux flammes, Ath Yenni tente aujourd’hui de vite se réveiller du cauchemar. Ghani, une échelle à la main, Makhlouf, fouillant dans une boîte à outils, et Mohammed l’électricien, trois jeunes de la région, la trentaine, prêtent main-forte aux agents de Sonelgaz dépêchés sur les lieux du sinistre depuis deux jours. “Nous réparons les câbles électriques fondus sous la chaleur des incendies”, affirme Makhlouf. “Nous commençons tout juste à sortir des ténèbres”, dit, pour sa part, Ghani. C’est qu’Ath Yenni a été privé d’électricité pendant quatre jours, nous dit-on sur place. “L’eau, non plus, n’a pas coulé des robinets depuis le début des feux de forêt. C’est une malédiction”, lâche Mohammed. 

Comme ces jeunes villageois, toute la population est mobilisée pour réinventer Ath Yenni. “Tout le monde est mobilisé. Nous devons absolument panser les plaies du village et organiser un retour à la normale”, affirme le maire de la commune. Jeunes, femmes et vieux du village tiennent plusieurs fois par jour des réunions pour organiser leur sortie du brasier. Les jeunes, notamment, ont formé plusieurs équipes. Une pour le nettoyage, une pour prêter main-forte aux agents de Sonelgaz, une pour aider les agents de l’Algérienne des eaux (ADE) pour réparer les conduites AEP, une équipe accompagne les agents de la CTC pour recenser les maisons détruites par les feux et une dernière équipe se charge d’organiser la distribution des dons de solidarité. Il s’agit de ces dons de solidarité acheminés de tout le pays qui remplissent aujourd’hui les locaux de l’association Relais de solidarité de Taourirt Mimoun, chef-lieu d’Ath Yenni. Adel Abderrahmane, secrétaire général de l’association humanitaire, fait le tri des dons. Ici, des paquets de semoule, là-bas des cartons de médicaments, et dans un coin, une grosse pile de fardeaux d’eau minérale. Ému, Abderrahmane dit être émerveillé par cet élan de solidarité du peuple algérien qui “a accouru pour secourir la Kabylie”. Hier encore (samedi, ndlr), tient-il à témoigner, “c’est une caravane humanitaire de 40 voitures qui est arrivé de Ghardaïa”. À 19h, alors que le soleil brûlant part finir sa chute derrière les collines en cendres, Ath Yenni soigne doucement ses blessures et attend déjà le prochain printemps, en espérant revoir le jasmin refleurir.

 

De notre envoyé spécial : Karim Benamar

 

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