L’Actualité Leur quotidien a brusquement basculé

L’intenable vie des familles de détenus d’opinion

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Ali BOUKHLEF Publié 14 Décembre 2021 à 10:06

© D.R
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C’est la face invisible de l’histoire des détenus d’opinion. La souffrance dans le silence de leurs familles. Les mamans supportent difficilement l’emprisonnement de leurs fils, les enfants vivent traumatisés par l’absence d’un père, les épouses — dignes — reviennent le cœur brisé des parloirs. L’affaire des prisonniers a aussi des conséquences psychologiques sur leurs proches… Témoignages.   

“La prison n’est pas facile. Il n’y a que celui qui est enfermé qui peut ressentir la solitude.” Étranglée par l’émotion, Messaouda Chaballah raconte sa vie de femme de détenu. Cela fait quasiment six mois que son mari, Fethi Ghares, coordinateur national du Mouvement démocratique et social (MDS), est en détention provisoire dans l’attente d’un procès qui a été reporté à deux reprises. Même militante, malgré un soutien de l’entourage, la dame, qui s’exprimait début décembre devant d’autres familles de détenus réunies à Alger, ne supporte pas cette “injustice” faite à un homme qui “n’a ni volé ni tué” pour se retrouver en prison. C’est ce sentiment d’injustice qu’elle a mis en avant dimanche dernier devant le tribunal de Baïnem, lorsque le juge a décidé de reporter le procès de son mari parce que le procureur de la République a décidé de ne pas lui permettre de se présenter physiquement à son procès. Ce sentiment d’injustice est le leitmotiv chez beaucoup de familles de détenus. C’est ce que confirme Khaled Boumedine, le frère de Hamou détenu depuis juin dernier, sans perspective de procès.

L’emprisonnement du militant politique connu pour son engagement pacifique, surtout en enrichissant le débat public avec des contributions de haute facture intellectuelle fait mal à sa famille, comme en témoigne son frère Khaled. “Comme toutes les autres familles, nous vivons mal” cette “détention arbitraire”, fulmine Khaled. Cette sensation d’amertume est aggravée par les accusations qui pèsent sur leur parent. “On ne peut pas accepter que Hamou, un homme si gentil, soit accusé de terrorisme !”, objecte notre interlocuteur, calme et visiblement résigné. Il rappelle que Hamou Boumedine est considéré comme militant du Mak et terroriste, alors qu’il avait “dénoncé le séparatisme”. “Dans ses interventions médiatiques, il a toujours dit que la Kabylie doit rester dans l’Algérie”, a-t-il rappelé. 

Ce calme affiché par Khaled Boumedine, on le retrouve également chez Nouara Abdesselam. Son fils Abdennour est accusé d’appartenance au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK). “Abdennour n’a jamais tué, il a toujours eu le mot gentil. C’est un fils de moudjahid, il ne peut pas diviser son pays”, a-t-elle témoigné avec beaucoup de dignité à Berbère TV. “Pourquoi l’ont-ils arrêté, lui qui ne fait qu’appeler à la fraternité ?”, s’est-elle interrogée, ruminant sa douleur. “Il n’a jamais rien fait pour lui, mais tout pour les autres !”, se désole-t-elle. Nna Nouara, octogénaire, estime que son fils est “victime d’une injustice”, lui dont le père a combattu pour la libération du pays du joug colonial.

Au-delà des raisons de la détention, les parents des détenus souffrent terriblement de l’absence de leurs proches. Pour Khaled Boumedine, ces “injustices” ont engendré des “dégâts collatéraux”. “Ses enfants n’arrivent pas à supporter l’absence de leur père. Plus grave, ils ne comprennent pas pourquoi il est en prison ! Du coup, ils pleurent tout le temps”, témoigne-t-il. Pis encore, ses parents ne savent pas que leur fils est en prison. “Son père et sa mère ne savent toujours pas que leur fils est en prison. Ils sont âgés et malades, ils ne supporteraient pas un tel choc”, confesse-t-il. “Je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’il n’est plus là”, confie Messaouda Cheballah. “Je ne leur pardonnerai pas ce qu’ils m’ont fait et ce qu’ils ont fait à ses frères”, promet Nouara Abdesselam qui exprime son chagrin après l’emprisonnement de son fils. Des situations qu’a résumées Meriem Chekirine, une avocate qui défend beaucoup de détenus. “Des familles, souvent pauvres, sont désemparées !”, avait-elle déclaré lors d’une rencontre des familles de détenus, tenue début décembre.

Calmes et déterminés
Malgré ce chagrin, les parents décrivent des détenus “courageux” et “déterminés”. “À chaque fois que je vais le voir, il m’épate. Les rôles s’inversent ; c’est lui qui me console et m’encourage”, s’émerveille Messaouda Cheballah qui rend visite à son mari à la prison de Koléa, toutes les quinze jours. “Il se porte très bien et il a bon moral. Mais après tout, il ne faut pas se voiler la face : la prison est la prison !”, raconte Koceïla Abdesselam, fils d’Abdennour. “Je l’ai vu à travers une vitre. Il se porte bien”, s’est contenté de dire la mère de l’écrivain en tamazight. Hamou Boumedine “se porte bien et garde le moral, malgré la dureté des conditions de détention”, témoigne son frère Khaled.

Si Abdennour Abdesselam devait “rester en prison pour ses idées, qu’il y reste !”, tranche sa vieille maman. “Mon fils n’est pas un traître, un renégat !”, ajoute-t-elle. Fethi Ghares va plus loin. Régulièrement, il envoie des lettres de prison aux militants de son parti et à tous ceux qui partagent son combat pour les appeler à poursuivre la lutte. “Tous les détenus accusés d’appartenance au MAK ou à Rachad nient les accusations et continuent de clamer leur innocence”, rapporte Meriem Chekirine. En somme, ces quelques témoignages illustrent la situation intenable qu’endurent les familles, les épouses et les enfants des détenus d’opinion. Des drames humains. 

 


Ali Boukhlef

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