
Plusieurs anomalies sont constatées dans la conduite du projet de pénétrante autoroutière d’Aïn Defla avec, notamment, la présence énigmatique de l’entreprise d’Ali Haddad, ETRHB, dans le groupement des entreprises de réalisation.
Le tribunal de Sidi M’hamed a ouvert hier un nouveau dossier de corruption de la période Bouteflika. L’ancien ministre des Travaux publics Amar Ghoul s’est expliqué sur l’attribution d’un marché à l’ETRHB Haddad. Nous sommes en 2008. L’autoroute Est-Ouest était en chantier depuis de longues années.
Le tronçon allant de Blida à Chlef sur 120 km est fachevé. Mais en l’absence de pénétrantes, il est inexploitable. La décision est alors prise de projeter deux ouvertures sur Chlef et Aïn Defla. “C’était urgent”, se rappelle Amar Ghoul qui, malgré la perte de son père le jour même de l’audience, a gardé son bagou.
La direction des travaux publics d’Aïn Defla a donc décidé de lancer le projet sans même que cela soit budgétisé ou même inscrit au niveau du ministère des Finances. “Si on devait respecter les procédures, le chantier aurait pris au moins 4 à 5 ans. Or, le tronçon de l’autoroute était déjà terminé. C’eût été irresponsable de le laisser à l’abandon. Et le recours au gré à gré nous a permis de terminer les travaux de la pénétrante de Sidi Rached en 12 mois”, a plaidé Amar Ghoul.
Pour entamer les travaux, la Direction des travaux publics d’Aïn Defla a choisi de confier le chantier à l’entreprise publique Altro, filiale du groupe Cosider. Sauf que dans la réquisition, le représentant de l’État a “suggéré” à la société étatique d’associer l’ETRHB. Pourquoi ? Interroge le juge. “C’était juste une suggestion parce qu’Altro avait des difficultés financières”, répond Ali Khelifaoui, directeur des travaux publics de l’époque, qui a été interrogé durant plus de trois heures.
“Mais qui vous a dit que la société publique avait des problèmes ? Cela ne figure nulle part”, l'interrompt le juge. Khelifaoui perd ses moyens. “Je ne me souviens plus”, dit-il, confus. “C’était une bonne initiative du directeur de wilaya”, s’est défendu Amar Ghoul, sans s’étaler.
Si les autorités ont effectivement choisi la société publique Altro pour réaliser la pénétrante de Sidi Rached, la présence de l’ETRHB tout au long du projet a posé de vraies questions.
En décembre 2008, trois mois après le début des travaux, la société des frères Haddad était déjà sur chantier “sans aucun document”, selon des témoins cités par le juge. Ce n’est qu’en mars 2009 que la société publique a demandé au groupe privé de faire de la “sous-traitance”.
Sauf que sur le terrain, l’ETRHB avait “la moitié du projet”. Pis encore, en septembre de la même année et bien après la fin du chantier en juin 2019, le directeur des TP a demandé à sa tutelle d’ajouter la société des Haddad à l’ordre de réquisition.
Autrement dit, à changer le début du chantier après sa finalisation. Pour se justifier, Ali Khelifaoui a plaidé l’oubli. Tout comme il dit ne pas savoir comment il savait qu’Altro avait des “problèmes financiers” qui nécessitaient le recours à l’ETRHB. “Ce sont des détails qui ne me concernent pas en tant que ministre”, a esquivé Amar Ghoul.
Même quand le juge a insisté sur l'absence de réaction des deux responsables lorsqu’ils ont trouvé la société Haddad en train de réaliser un projet qui ne lui était pas attribué, les deux hommes ont botté en touche. “L’essentiel pour moi est que le projet avance”, a simplement indiqué Khelifaoui.
En plus de ne pas avoir respecté les procédures, le projet de cette pénétrante n’avait pas été accrédité par le ministère des Finances. “C’était juste un oubli”, selon Amar Ghoul. Confronté à des témoignages qui l’accusent d’avoir donné “verbalement” des instructions pour laisser le projet à l’ETRHB, l’ancien ministre a nié. “Je n’ai jamais favorisé” cette entreprise, a-t-il affirmé.
Tout comme son représentant au niveau local, l’ancien ministre a nié toute relation avec l’homme d’affaires. Seulement, Khelifaoui a admis “des relations professionnelles” avec Ali Haddad. “Sans plus”, a-t-il insisté.
Le procès se poursuivait au moment où nous mettions sous presse avec l’audition de plusieurs accusés dont Ali Haddad qui comparaissait depuis la prison de Chechar, à Khenchela, où il est détenu.
Ali BOUKHLEF