L’Actualité Pr KAMEL SANHADJI, PRÉSIDENT DE L'AGENCE NATIONALE DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE, À “LIBERTÉ”

“Plus que grippée, la machine de la vaccination est en panne”

  • Placeholder

Karim BENAMAR Publié 21 Décembre 2021 à 23:12

© D. R.
© D. R.

À la question de savoir pourquoi les Algériens ne se vaccinent pas massivement, le professeur Sanhadji pointe du doigt la responsabilité des autorités. Mais pas que. “Je ne suis pas expert en la matière, mais il me semble qu’il y a des facteurs tout à fait irrationnels dans cette réticence coriace à la vaccination : El-mektoub, le poids de la religion.”

Liberté : Quelle est la situation de la pandémie de la Covid-19 en Algérie ? 
Pr Sanhadji : La situation est inquiétante. On s’installe dans la quatrième vague. Tous les éléments actuellement en notre possession indiquent qu’on aura une forte, voire une grave  propagation du variant Delta. Les contaminations seront graduellement ascendantes pour ensuite atteindre leur pic, probablement vers la fin janvier-début février, avec un taux d’hospitalisation du même niveau ou légèrement inférieur à celui des mois de juin et juillet passés. Il faut se préparer à une double crise. D’abord, celle liée à la gestion des contaminations et des hospitalisations liées au variant Delta, le plus virulent en ce moment, ensuite, il y a la crise qui pointe son nez avec l’arrivée, chez nous, du variant Omicron. Avec les deux situations combinées, nous vivrons, d’une certaine manière, deux crises en une seule.  

La situation est à ce point inquiétante ? 
Je ne souhaiterais pas jouer les alarmistes. Nous parlons d’une crise sanitaire mondiale. Les pays les plus avancés, les mieux lotis, font, en ce moment, face à une cinquième vague. Le virus circule dans le monde entier. L’Algérie ne sera pas épargnée. Il faut, cela dit, faire attention à ne pas tomber dans la confusion. En Algérie, la priorité est de se concentrer sur la lutte contre le variant Delta, dont nous connaissons d’ailleurs l’évolution et les dégâts, telle la crise de l’oxygène qu’il a provoquée. Il faut être d’autant plus vigilant sachant que le taux de vaccination en Algérie est très faible. Il faut s’attendre, de ce point de vue, au même scénario vécu déjà : un fort taux de pathologies chez les personnes non vaccinées, un impact violent de Delta sur les personnes âgées et/ou présentant des maladies chroniques. Pour ce qui est d’Omicron, nous devons surtout nous atteler à observer son évolution. La bonne nouvelle, c’est que ce variant qui nous vient d’Afrique du Sud est visiblement moins virulent. En dépit de sa propagation extrêmement rapide, son impact reste plus ou moins limité : depuis son apparition, Omicron n’a fait aucun mort en Afrique.

Alors, plus de peur que de mal ?
Ses effets secondaires ne sont pas importants. En tout cas, selon les analyses effectuées en Afrique du Sud notamment, ce variant ne présente pas de caractéristiques graves et mortelles. L’Afrique n’enregistre aucun décès à ce jour. 
Si ces données (forte contagiosité et pas de décès, ndlr) sont vérifiées ailleurs dans le monde, l’on pourra, me semble-t-il, envisager une solution, en laissant ce variant se propager pour atteindre une immunité collective. Cela peut être, en effet, une solution mondiale, à condition, et j’insiste sur ce point, de ne pas perdre de vue la bataille qu’il faudra gagner contre le variant Delta. Ce dernier, s’il se fait oublier, pourra générer à son tour d’autres variants.

L’Algérie est-elle préparée pour cette quatrième vague ? 
La question est peut-être à poser au département de la Santé, responsable de la gestion de la crise sanitaire, notamment dans son aspect logistique. En tant que professionnels de la santé, nous avons émis des avis et fait des propositions. Je suis rassuré de voir, par exemple, le département de la Santé prendre en compte notre proposition - c’est une demande que nous formulons depuis une année -, s’agissant des hôpitaux Covid. Il me semble que c’est une bonne décision de doter chaque wilaya d’un grand hôpital dédié exclusivement à la Covid.

En quoi est-ce concrètement une bonne mesure ?   
Pour plusieurs raisons. D’abord, d’un point de vue logistique, avec un seul et grand hôpital Covid dans chaque wilaya, la gestion est mutualisée autant, par exemple, sur le nombre de lits, la disponibilité de l’oxygène, du médicament, ou encore, et c’est important, une meilleure gestion du personnel soignant. 
Depuis l’apparition de la Covid-19, le personnel soignant - étant sur le premier front - a payé un lourd tribut. Les médecins, infirmiers et tout le personnel soignant sont aujourd’hui épuisés et sur les genoux. Cette formule d’un seul hôpital nous permettra de mieux gérer notre personnel, avec une alternance entre les équipes médicales. Aussi, et c’est notre objectif premier, à travers cette mesure, nous allons surtout circonscrire le virus en limitant sa propagation d’un service à un autre, comme notre expérience l’a démontré par le passé.

Seulement 27% de la population est vaccinée. Est-il désormais admis que c’est un échec ? 
Il ne faut pas avoir peur des mots. C’est, en effet, un échec. La machine de la vaccination est plus que “grippée”, elle est en panne. C’est même plus qu’un échec, en sachant que l’Algérie produit elle-même, depuis quelques mois, ses propres vaccins à Constantine. 
C’est un véritable paradoxe. Quand nous n’avions pas de vaccins, tout le monde en voulait, et maintenant qu’on dispose de notre propre unité de production de vaccins - et je vous assure que c’est une prouesse -, très peu de personnes se font vacciner.  

À qui incombe cet échec ? 
Il est multiforme. La réticence des Algériens à la vaccination peut s’expliquer par la composante sociologique algérienne qui a ses caractéristiques. Je ne suis pas expert en la matière mais il me semble qu’il y a des facteurs tout à fait irrationnels dans cette réticence coriace à la vaccination : El mektoub, le poids de la religion. À cela s’ajoutent les effets graves des fake news relayés massivement sur les réseaux sociaux notamment. 

La responsabilité des autorités ? 
Oui. La responsabilité des autorités est également engagée, par le manque, peut-être, de communication agressive. Un aspect important auquel il faut remédier. 

Que préconisez-vous pour changer cette donne ? 
Aller vers une communication agressive, avec beaucoup de pédagogie. N’oublions pas que la pandémie avance. 
Elle ne nous attend pas. Elle fait des dégâts, c’est un fait. Face à cette situation, je crois aussi qu’il est temps d’imposer des mesures radicales et là je fais allusion au passe sanitaire obligatoire dans tous les lieux 
publics.
 

Propos recueillis par : KARIM BENAMAR
 

 

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00