L’Actualité Mohamed Hennad, politologue

“Une vilenie qui déshonore toute une nation”

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Ali BOUKHLEF Publié 10 Janvier 2021 à 23:53

© D. R.
© D. R.

Dans  cet  entretien,  le  politologue  Mohamed  Hennad  décortique  les aveux  d’Ahmed Ouyahia  à  la cour d’Alger, dans  le  cadre du procès de l’automobile. 

Liberté : Lors  du  procès  de  l’automobile,  Ahmed  Ouyahia  a avoué avoir revendu, sur le marché informel, des lingots d’or offerts par des émirs des pays du Golfe. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Mohamed Hennad :  D’abord  un  sentiment  de  stupeur, puis  de dégoût, d’autant qu’Ouyahia ne semblait pas gêné du tout dans ses propos comme s’il s’agissait d’un fait tout à fait normal.

Tout le monde savait que le système était pourri mais pas à ce point, puisqu’il ne s’agit pas d’une charge retenue par la justice contre l’intéressé mais bel et bien d’un aveu de celui-ci pour, qui plus est, se justifier contre une accusation de corruption relative à des sommes inexpliquées déposées dans ses comptes bancaires !

Dans un de mes articles pendant le règne de la îssaba, j’ai décrit la corruption dans notre pays comme “un grand égout à ciel ouvert”, et voilà que l’actualité me donne raison !

Vu  que  les  procès  se  poursuivent,  peut-on  s’attendre  à  d’autres révélations ?
À mon avis, l’aveu d’Ouyahia ne représente que la partie émergée de l’iceberg de la corruption, laquelle était (l’est-elle toujours ?) devenue le sport national par excellence ! Si un simple (sic !) chef de gouvernement a pu commettre un tel acte, qu’en serait-il de responsables plus haut placés, notamment au sein de l’armée ? 

Pour répondre à votre question, je vous dirai qu’en matière de révélations de cas de corruption, notre pays est un véritable gisement presque à ciel ouvert ; il suffit de creuser un peu. Il faut se rendre à l’évidence que lors du règne de la îssaba, la corruption était devenue la règle et non pas l’exception à tel point qu’être honnête pour un responsable n’était point une sinécure ! 

Ce qui choque encore plus dans les dires d’Ouyahia, c’est le fait que les lingots d’or offerts par les émirs du Golfe (une pratique courante chez eux, semble-t-il) l’étaient au même titre pour “tous les responsables” algériens, dit-il. Sans doute, Ouyahia sait de quoi il parle ; ce qui devrait ouvrir la voie à beaucoup de cas du genre. 

Du  point  de  vue  politique, cela  peut-il  être  considéré comme  de la corruption ?
Je dirais plus grave que de la corruption ! C’est une forme de haute trahison, doublée d’une vilenie qui déshonore toute une nation. Le cas d’Ouyahia nous donne à réfléchir sur la personnalité de nos responsables et sur la nature de leur culture politique.

Les cadeaux offerts à Ouyahia ne l’étaient guère pour sa bonhomie légendaire, mais pour services rendus et à rendre. Ces émirs, quoique l’on puisse dire d’eux, ont un sens aigu de l’intérêt : les cadeaux étaient offerts pour, de l’avis même du bénéficiaire, permettre aux émirs du Golfe de continuer à chasser chez nous des espèces d’animaux, rares de surcroît. Avec, comme on le sait, toute la “logistique” qui devait accompagner ces émirs jouisseurs.

Cela dit, les faveurs accordées à ces émirs ne leur profitaient pas à titre personnel seulement mais ouvraient surtout la voie à des privilèges économiques aussi bien que politiques pour leur pays, comme l’attestent l’implantation, souvent contestée, d’intérêts émiratis immenses dans notre pays et les nombreuses visites de nos responsables, y compris militaires, aux Émirats arabes unis. 

Quel impact ces révélations peuvent-elles  avoir sur la scène politique ?
Ce qu’Ouyahia vient de déclarer va davantage éclairer notre lanterne. Cela va nous conforter dans l’idée que le pays était effectivement dirigé par des brigands qui étaient les vrais maîtres du marché noir, quasi officiel, de l’or et des devises étrangères.

Ouyahia lui-même reconnaît, candidement, qu’il a vendu les lingots d’or au marché noir parce que la Banque d’Algérie avait refusé de les lui acheter — selon ses termes bien entendu — comme s’il rendait celle-ci responsable de son comportement délinquant. C’est, tout simplement, le summum de la caricature !

Maintenant, l’opinion publique se doit de demander comment les choses ont pu en arriver là et si cette pratique odieuse a vraiment disparu à jamais suite à la chute du régime de Bouteflika.

Pour conclure, ceux qui sont aujourd’hui aux commandes de l’État algérien doivent reconnaître que la menace contre la souveraineté nationale ne vient guère de la population, mais bel et bien des hauts responsables du pays à cause de leur égoïsme puéril et de leur autoritarisme frivole. Or, la lutte contre la corruption ne pourrait aboutir que dans un système de gouvernance qui permette toute la transparence requise et la possibilité pour la population de demander des comptes à quiconque est investi d’une autorité en son nom.
 

Entretien réalisé par : ALI BOUKHLEF

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